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174 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de préférence. Une grande armoire formant bibliothèque en occupe le fond. Les deux fenêtres ouvrent sur la cour ; Tune d'elles est double et entre les deux châssis fleurissent dans des pots, sur des soucoupes, des crocus, des hyacinthes et des tulipes du duc de Thol. Des deux côtés de la cheminée, deux grands fauteuils de tapisserie, ouvrage de ma mère et de mes tantes ; dans l'un d'eux ma mère est assise. Mademoiselle Shackleton, sur une chaise de reps grenat et d'acajou, près de la table, s'occupe à un ouvrage de broderie sur filet. Le petit carré de filet que veut agrémenter son travail est tendu sur un cadre de métal ; c'est un arachnéen réseau à travers lequel court l'aiguille. Elle consulte parfois un modèle où les dessins de fil sont marqués en blanc sur fond bleu. Ma mère regarde à la fenêtre et dit :

— Les crocus sont ouverts : il va faire beau. Mademoiselle Shackleton la reprend doucement.

— Juliette, vous serez toujours la même : c'est parce qu'il fait déjà beau que les crocus se sont ouverts ; vous savez bien qu'ils ne prennent pas les devants.

Anna Shackleton ! Je revois votre calme visage, votre front pur, votre bouche un peu sévère, vos souriants regards qui versèrent tant de bonté sur mon enfance... Je voudrais, pour parler de vous, inventer des mots plus vibrants, plus respectueux et plus tendres. Raconterai-je un jour votre modeste vie ? Je voudrais que, dans mon récit, cette humilité resplendisse, comme elle resplendira devant Dieu le jour où seront abaissés les puissants, où seront magnifiés les humbles. Je ne me suis jamais senti grand goût pour portraire les triomphants et les glorieux de ce monde, mais bien ceux dont la plus vraie gloire est cachée.

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