sa substance, ses accidents de figure et de position, les pensées très éloignées qu’il rappelle à ma distraction, — tout cela est égal… Toutes choses se substituent, — ne serait-ce pas la définition des choses ? » Le nihilisme de la pensée de Valéry, c’est le nihilisme d’une pensée devant laquelle toutes choses ne cessent de défiler, mais qui semble ne pouvoir prendre contact avec chacune d’elles que par l’opération même qui l’en détache. L’écho, la répercussion dans la conscience est instantanée ; et aussitôt la pensée éprouve qu’elle est différente, étrangère, qu’elle est toujours en plus : c’est la conscience même qui lui interdit à tout jamais de s’identifier à quoi que ce soit. Nihilisme de la pensée qui n’a plus d’objet, — nihilisme qui distille une tristesse si vaste, si généralisée dans sa cause, qu’elle atteint à une pureté inhumaine. Dans l’ordre intellectuel il n’est pas de spectacle empreint d’un tragique plus auguste que celui de la faculté de penser aboutissant par son acuité même au néant et à l’autonégation. C’est vraiment ici le règne de « la solitude et de la netteté désespérée ».
Que reste-t-il donc à qui sait que la pensée « ne mène à aucun fond véritable » ? L’esprit court alors le risque d’être frappé de stérilité irrémédiable ; dans un passage de Note et Digressions, M. Paul Valéry marque d’un trait définitif la nature exacte du mal : « Je répondais si promptement par mes sentences impitoyables à mes naissantes propositions, que la somme de mes échanges, dans chaque instant, était nulle. » Sur la paralysie possible de la force créatrice par l’autocritique, jamais diagnostic plus net ni mieux motivé n’a été porté. Dans la vie de tous ceux qui prétendent extraire de leur cer-