A. – La période allemande

L’Alsace-Lorraine n’a pas eu d’existence propre avant la guerre de 1870. Son acte de naissance résulte du traité de Versailles par lequel la France a cédé à l’Empire allemand le Bas-Rhin et certaines parties du territoire des départements du Haut-Rhin, de la Moselle, de la Meurthe et des Vosges.Dès le 14 août 1870, après l’occupation de l’Alsace par les troupes allemandes, un ordre signé par le roi de Prusse en sa qualité de commandant en chef des troupes confédérées constitua un gouvernement d’Alsace-Lorraine à peu près dans les limites actuelles des trois départements de l’Est, en lui donnant une organisation provisoire pour la durée des hostilités. L’instruction du 21 août qui fixait la compétence du nouveau gouverneur général n’a pas été publiée. Il est certain toutefois qu’elle lui reconnaissait des attributions très étendues. Par décret du 26 août 1870, on adjoignit au gouverneur général un commissaire civil dont la mission fut de diriger l’administration générale du pays. Ces deux administrateurs réorganisèrent les services publics arrêtés par le départ des fonctionnaires français. On forma un département de la Lorraine allemande et on plaça à la tête des trois départements des préfets chargés de les administrer d’après les lois françaises. Les pouvoirs du gouverneur général durèrent après le traité de Francfort jusqu’à ce qu’une organisation nouvelle ait été régulièrement établie en Alsace-Lorraine. Le transfert de souveraineté juridique se fit le 2 mars 1871, date de l’échange des instruments de ratification des préliminaires de paix de Versailles du 26 février 1871 dont l’article 1 fixait les nouvelles frontières des deux États français et allemand. Le traité de paix de Francfort du 10 mai 1871 confirma la cession des territoires en ne la modifiant que légèrement. Les instruments de ratification furent échangés le 20 mai 1871.

1. L’organisation constitutionnelle et administrative de l’Alsace-Moselle

La cession ainsi réalisée a été faite à la collectivité des États formant le nouvel Empire. L’Alsace-Lorraine devint donc un « Reichsland », une terre d’Empire. Ainsi furent donc écartés, pour des raisons essentiellement politiques, les autres modes d’organisation plus traditionnels auxquels on avait songé : annexion de l’Alsace-Lorraine à un ou plusieurs des États confédérés, transformation des territoires annexés en un État fédéré autonome qui aurait pris sa place parmi les autres membres de l’Empire ou même constitution d’un État tampon indépendant entre la France et l’Allemagne. Ce choix institutionnel résulta de la loi d’Empire du 9 juin 1871 concernant la réunion de l’Alsace-Lorraine à l’Empire d’Allemagne. Comme il y avait eu jadis dans le Saint Empire des entités relevant directement de l’Empire, ainsi l’Alsace-Lorraine devint une province immédiate, gouvernée et administrée directement par la puissance impériale. Le traité du 2 mars 1871 contenait d’ailleurs dans l’article 1 la disposition que la France renonçait en faveur de « l’Empire allemand » à tous les droits et prétentions sur le territoire cédé. La cession n’était donc pas faite à tel ou tel État de la confédération, mais à l’Empire allemand. Si, à raison même de son statut de fédération, l’Empire n’avait que des droits limités, déterminés par sa constitution sur les États fédérés, pour le nouveau Reichsland d’Alsace-Lorraine, le pouvoir qui fut transféré à l’Empire comprit par contre la totalité des droits qui appartenaient auparavant à l’État français, la souveraineté entière sur ces territoires.

Le régime de la loi de Réunion

La loi du 9 juin 1871, dite « loi de réunion » resta plusieurs années la loi constitutionnelle du pays. En effet, l’introduction immédiate de la constitution de l’Empire dans le territoire d’Alsace-Lorraine rencontrait diverses difficultés. Cette loi ne mit donc en vigueur dans ces territoires que le seul article 3 relatif à la modification de la constitution et permit l’introduction d’autres dispositions constitutionnelles par ordonnance impériale soumise à l’approbation du Conseil fédéral (Bundesrat). Ce qui fut réalisé à différentes reprises pour des dispositions d’importance secondaire. A défaut d’application de la constitution, la loi du 9 juin 1871 eut pour charge de définir l’organisation constitutionnelle et législative de la Terre d’Empire. En vertu de ce texte, l’empereur n’avait pas une situation de souverain (Landesherr) de la Terre d’Empire mais seulement de délégué de l’Empire, les actes pris dans cette fonction devant être contresignés par le chancelier qui en assumait la responsabilité politique. Le pouvoir législatif était exercé par l’empereur mais avec l’assentiment du Conseil fédéral.

La date d’application de la constitution de l’Empire allemand en Alsace-Lorraine fut fixée par la loi du 9 juin 1871 au 11 janvier 1873 (échéance reportée au 1er juin 1874 par une loi du 20 juin 1872), les populations alsaciennes purent envoyer des députés au Reichstag (Diète). À compter de cette date, cette Chambre devint un élément de la législation alsacienne lorraine, les lois ne pouvant dès lors plus être proclamées par l’empereur qu’avec son assentiment (en plus de celui du Bundesrat). Enfin la loi du 9 juin 1871 précisa les conditions dans lesquelles l’empereur pouvait exercer un pouvoir réglementaire en Alsace-Lorraine. Un tel pouvoir ne lui était attribué que par délégation législative. Par contre, en tant que ministre pour l’Alsace-Lorraine, il disposait d’une compétence générale pour prendre des ordonnances administratives.

En ce qui concerne le pouvoir exécutif, en vertu de la loi de 1871, le chancelier était le ministre de l’empereur pour les affaires d’Alsace-Lorraine. Afin d’assurer la mise en œuvre de cette compétence, une section spéciale de la Chancellerie fut constituée à Berlin. Il s’agissait cependant d’une structure trop lointaine et dès le 30 décembre 1871, la loi sur l’organisation de l’administration en Alsace-Lorraine créa un président supérieur d’Alsace-Lorraine délégué de l’empereur, installé à Strasbourg.

La Délégation d’Alsace-Lorraine

Le nouveau pouvoir eut assez rapidement le souci de créer une représentation parlementaire afin de décharger les organes de l’Empire de l’obligation de légiférer pour une province particulière et de permettre à la population alsacienne lorraine de régler elle-même ses propres affaires. C’est ainsi qu’un rescrit impérial du 29 octobre 1874 donna naissance à la « délégation d’Alsace-Lorraine» (Landesausschuss) : les Conseils Généraux furent appelés à nommer des délégués qui constituèrent un comité consultatif chargé d’examiner et de discuter les projets de loi et de budgets avant leur approbation par le Reichstag. Cet organe fut confirmé et renforcé par la loi d’Empire du 2 mai 1877 qui en fit un véritable organe constitutionnel : le vote d’une loi par le Landesausschuss remplaça l’approbation par le Reichstag, l’acceptation par le Bundesrat subsistant (Le Reichstag n’était cependant pas totalement écarté puisque l’empereur pouvait à tout moment lui demander de statuer sur des projets de loi applicables à l’Alsace-Lorraine ; mais cette possibilité fut peu employée en pratique et servit surtout de moyen de pression sur le Landesausschuss durant les périodes de difficultés. En outre l’empereur avait conservé, malgré la loi de 1877, une prérogative que lui avait accordée une loi du 23 juin 1873, de rendre sous certaines conditions des ordonnances ayant force de loi en cas d’absence du Reichstag avec l’assentiment du Conseil fédéral, et l’assentiment du Reichstag dès la réouverture des cessions). Ainsi, selon les époques et les circonstances, les lois pour l’Alsace-Lorraine furent promulguées par l’empereur tantôt avec l’assentiment du Conseil fédéral et de la délégation, tantôt avec l’assentiment du Conseil fédéral et du Reichstag, et enfin, parfois avec l’assentiment du seul Conseil fédéral. Quant aux lois d’Empire adoptées pour être appliquées sur l’ensemble du territoire de l’Empire allemand, elles devaient faire l’objet d’une introduction expresse de la part du législateur avant le 11 janvier 1874 et elles étaient applicables de plein droit en Alsace-Lorraine après cette date, en raison de la mise en vigueur de la Constitution.

Création d’un Gouvernement local

Ce système resta cependant encore insuffisamment décentralisé et une loi du 4 juillet 1879 créa un véritable gouvernement local sinon autonome en Alsace-Lorraine, comprenant deux organes nouveaux dont le siège était à Strasbourg : le Statthalter (délégué de l’empereur) et le ministère d’Alsace-Lorraine. Dans le cadre de cette nouvelle Organisation, le chancelier se réservait seulement certains pouvoirs essentiels tels que la promulgation des lois, la dissolution du Landesausschuss, etc. Le Statthalter se voyait reconnaître les autres attributions souveraines dont l’empereur était investi pour l’Alsace-Lorraine. Le Statthalter était une institution présentant une double nature : ses pouvoirs étaient en partie ceux d’un souverain, en partie ceux d’un ministre. Il était le représentant de l’empereur exerçant ses pouvoirs par délégation et en même temps l’héritier, et non seulement le délégataire, des pouvoirs du chancelier, ces derniers lui étant attribués en propre, de sorte qu’il était « le chancelier de l’Empire pour l’Alsace-Lorraine ». Quant au ministère, il n’était pas constitué par un collège de ministres, tous les pouvoirs étant concentrés entre les mains d’une seule personne, le secrétaire d’état d’Alsace-Lorraine qui remplissait vis-à-vis du Statthalter un rôle de ministre et de suppléant. Sous son autorité étaient placés plusieurs sous-secrétaires d’État chargés des différents services ministériels d’Alsace-Lorraine que représentaient les différentes sections du ministère.

En dehors des pouvoirs qu’il tenait de la délégation des prérogatives souveraines et sa substitution légale aux attributions du chancelier, le Statthalter se voyait également conserver les pouvoirs extraordinaires conférés au président supérieur, par l’article 10 de la loi du 30 décembre 1871. Cet article, communément désigné de « paragraphe de la dictature », correspondait en fait au maintien en vigueur des pouvoirs prévus par la loi française du 9 août 1849 et permettait à l’autorité administrative de prendre toutes les mesures jugées nécessaires en cas de danger pour la sécurité publique. Cette disposition ne fut supprimée qu’en 1902.

Organisation administrative

La loi du 30 décembre 1871 a créé, en remplacement des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et des parties annexées de la Lorraine, trois districts de Haute Alsace, de Basse Alsace et de Lorraine, les présidents de ces districts héritant des pouvoirs des préfets. Par ailleurs, le découpage en arrondissements fut revu, leur nombre étant sensiblement augmenté (passant de 12 à 22), leur dénomination changée en Kreis (cercle) et un directeur de cercle (Kreisdirektor) étant nommé à leur tête. En vérité, la similitude avec la structure administrative française des préfectures et des arrondissements n’était pour une bonne part qu’une apparence, car le rôle des présidents de district a été très nettement réduit par rapport à celui des préfets en raison, d’une part, de l’institution d’un véritable gouvernement du Land à Strasbourg et du renforcement considérable, d’autre part, du rôle des directeurs de cercle, lesquels se sont vus transférer divers pouvoirs appartenant auparavant au préfet, notamment dans le domaine de la tutelle des communes. Enfin, la loi du 24 janvier 1873 a fait revivre les Conseils généraux et les Conseils d’arrondissements sous le nom d’assemblée de district et d’assemblée de cercle, élues toutes deux au suffrage universel mais investies de pouvoirs d’importance secondaire.

En ce qui concerne les questions de principe et 1es options fondamentales, il est clair que ce régime maintenait le centre réel du pouvoir à Berlin : le concours du Bundesrat et de l’empereur restait indispensable à la confection des lois ; l’empereur nommait librement le Statthalter et les principaux hauts fonctionnaires ; les ministères n’étaient responsables que vis-à-vis de l’empereur et non de la délégation ; celle-ci n’était qu’une « assemblée de notables » (V. F. Igersheim, L’Alsace des notables, 1870-1917, Strasbourg, 1981, Bf éd.) qui recherchait dans les négociations de couloir et d’antichambre, des arrangements de détails plutôt que des occasions de conflits. D’un autre côté, il s’agissait d’une décentralisation authentique qui permettait à une représentation de la population alsacienne lorraine d’influer de manière fondamentale sur les budgets du Reichsland et sur l’élaboration des lois spéciales à l’Alsace-Lorraine. Et surtout, l’administration était, pour l’essentiel, assurée à partir de Strasbourg. Même si elle le fut pour une grande part par des Allemands, cette administration était méthodique, efficace et soucieuse de tenir compte des réalités locales. La centralisation de divers services à Strasbourg eut aussi comme résultat de réduire sensiblement les attributions des trois présidents de district (préfets), déjà fortement amoindries par le renforcement des pouvoirs des directeurs de cercle (sous-préfets). Seule la résistance des Lorrains, qui ne voulaient pas voir abaisser Metz au rang d’une simple sous-préfecture, empêcha la suppression des préfectures. En fin de compte, malgré les critiques acerbes que les élus alsaciens et lorrains ne cessèrent de formuler, du moins formellement, sur cette organisation, celle-ci leur offrait des avantages incontestables.

Réforme constitutionnelle

Cependant, surtout après 1890, lorsque la génération des « protestataires » (c’est-à-dire de ceux qui refusaient toute forme de collaboration avec les autorités allemandes) a cédé de plus en plus nettement la place à celle des « autonomistes » (qui voulaient obtenir un statut d’autonomie plus complet et de reconnaissance plus poussée de leur spécificité à l’intérieur de l’Empire), l’opinion publique réclama avec une énergie croissante une modification de l’organisation institutionnelle du Reichsland de sorte à faire reconnaître à l’Alsace-Lorraine un statut de véritable Land. C’est ce résultat que permit partiellement d’atteindre la loi constitutionnelle du 31 mai 1911 qui fit de l’Alsace-Lorraine une « manière d’État ». Le Reichsland eut désormais un véritable Parlement, le Landtag composé de deux Chambres dont l’une était élue au suffrage universel direct et l’autre comprenant, à côté de membres de droit (les deux évêques, les présidents du Consistoire de l’Église d’Augsbourg et du Synode de l’Église réformée, le premier président de la Cour d’appel, des représentants désignés dans leur sein par certaines corporations de droit public telles que l’Université, le Consistoire israélite, les grandes villes, les chambres de Commerce et des Métiers, les organisations agricoles), un nombre au plus égal de membres choisis par l’empereur sur proposition du Conseil fédéral. Le pouvoir législatif pour l’Alsace-Lorraine était exercé par ce Parlement, l’empereur conservant la fonction de promulguer les lois. Ce Landtag votait également le budget et avait le droit d’interpellation. Le pouvoir exécutif resta cependant entre les mains de l’empereur, administrateur direct du pays au nom de la confédération par l’intermédiaire du Statthalter, assisté du ministère d’Alsace-Lorraine, dirigé par le secrétaire d’État. Le Parlement ne pouvait donc pas renverser cette autorité exécutive. La Constitution de 1911 donna par ailleurs à l’Alsace-Lorraine le pouvoir de déléguer trois représentants au Conseil fédéral avec voix délibérative, contrairement à la situation antérieure. Mais comme ces mandataires de l’Alsace-Lorraine recevaient leur ordre du Statthalter, qui était lui-même à l’ordre de l’empereur, lequel se confondait avec le roi de Prusse, il fut décidé que les voix de l’Alsace-Lorraine ne compteraient pas lorsqu’elles permettraient à la Prusse de s’assurer la majorité au Conseil fédéral.

La loi constitutionnelle du 31 mai 1911 correspondait à un équilibre instable car elle n’apportait pas la satisfaction souhaitée aux populations du Reichsland. Cette Constitution n’eut d’ailleurs pas l’occasion de s’appliquer longtemps puisque, quelques années plus tard seulement, la première guerre mondiale éclata et, l’Alsace-Lorraine devenant zone de combat, des lois d’exception y transférèrent l’essentiel du pouvoir à des autorités militaires. Le Parlement ne put se réunir de 1915 à 1918 qu’en se voyant interdire la discussion publique de toutes les questions politiques et militaires, si bien qu’il perdit un peu plus chaque année de la considération et de l’autorité dont il jouissait auprès de la population. Ce n’est qu’au moment de l’écroulement de l’Allemagne en octobre 1918 que Berlin décida enfin d’accorder au Reischsland le traitement d’un véritable État membre de l’Empire et procéda à la désignation d’un Statthalter alsacien. Mais cette reconnaissance venait trop tard.

2. La législation en Alsace-Lorraine durant la période d’annexion
Maintien de principe du droit français

Au moment du rattachement des territoires annexés à l’Empire allemand, la plupart des lois françaises restèrent en vigueur dans ces territoires. Outre le fait que cette solution correspondait à la conception allemande du droit des gens applicable en cas d’annexion de territoires et la circonstance que dans l’arsenal législatif hérité du second Empire français l’État allemand trouvait une réglementation suffisamment restrictive pour satisfaire ses propres tendances autoritaires, ce choix était surtout adapté au caractère fédéral du nouvel État qui venait de se constituer en Allemagne. Compte tenu de ce que le droit fédéral était encore embryonnaire à cette époque, sauf à introduire en Alsace-Lorraine le droit applicable dans l’un des États membres de la fédération, ce qui aurait présenté plus d’inconvénients que d’avantages, la solution la plus simple était donc, du moins dans un premier temps, de continuer à faire appliquer dans la province conquise le droit qu’elle connaissait antérieurement, sous réserve d’en éliminer les règles d’organisation des pouvoirs publics incompatibles avec le nouveau régime.

Introduction du nouveau droit fédéral

Dans les années qui suivirent, progressivement, au fur et à mesure de l’assimilation de la province, un droit allemand nouveau vint remplacer un nombre croissant de règles françaises. Tel fut d’abord le cas pour les nouvelles lois fédérales applicables à l’ensemble de l’Allemagne et également introduites en Alsace-Lorraine. La Constitution allemande du 16 avril 1871 donnait compétence à la fédération, notamment pour les questions de nationalité, de droit d’établissement, de douane, de droit commercial, de poids et mesures, de droit bancaire, de propriété industrielle, littéraire et artistique, de navigation, de chemin de fer, de poste et téléphone, de droit civil, de droit pénal, de procédure judiciaire, en matière médicale, vétérinaire, en ce qui concerne les voies d’exécution, la presse et le droit des associations. Dans le cadre de ce large catalogue de compétences, l’Alsace-Lorraine se vit appliquer notamment la loi d’organisation judiciaire et le Code de procédure civile des 27 et 30 janvier 1877, la loi du 10 février 1877 sur la faillite, la loi du 1er juillet 1878 sur la juridiction gracieuse, la loi du 18 août 1896 rendant applicable le nouveau Code civil allemand, le Code local des professions du 26 juillet 1900, le Code des assurances sociales du 19 juillet 1891, la loi sur le statut des fonctionnaires du 31 mars 1873, la loi sur le contrat d’assurance du 30 mai 1908, etc. Beaucoup de ces lois fédérales étaient accompagnées d’une loi d’exécution comportant habituellement des dispositions transitoires ou des mesures d’adaptation et des lois d’introduction spécifiques à chaque Land chargé de préciser les conditions d’application de la loi nouvelle dans le cadre du contexte juridique spécifique de ce Land. C’est ainsi que la mise en application du Code civil allemand, rendue applicable dans tous les États de l’Empire à partir du 1er janvier 1900, fut l’œuvre de la loi d’exécution du 18 août 1896 de caractère fédéral et d’une loi d’introduction du 17 avril 1899, précisant les conditions d’insertion de ce nouveau Code civil dans le droit local alsacien mosellan, tandis qu’une loi du 29 novembre 1899 abrogea parallèlement une centaine de textes français d’avant 1870 ainsi qu’une trentaine de textes d’adaptation postérieure à l’annexion.

Développement d’une législation régionale

À côté de ces textes de caractère fédéral, des lois propres au Reichsland furent élaborées. Parmi celles qui ont joué un rôle encore après 1918, on peut citer notamment la loi communale du 6 juin 1895, la loi locale du 2 juillet 1891 sur les eaux, la loi du 7 février 1891 sur la chasse, les lois du 24 juillet 1889 et du 22 juin 1891 sur le régime foncier, la loi du 21 mai 1879 sur la taxe des riverains, etc. Du fait de l’importance de la compétence reconnue à la fédération en matière de droit civil, pénal et commercial, ces lois locales spécifiques à l’Alsace-Lorraine ont été particulièrement importantes, surtout après 1900, dans le domaine de l’organisation administrative et du droit public. Durant la période de l’annexion, un débat s’était institué sur la nature juridique exacte de ces lois. Selon certains auteurs, il s’agissait d’un véritable droit fédéré même si, encore après 1879 et du moins avant 1911, des organes d’Empire intervenaient dans les édictions de cette législation. Pour d’autres auteurs, il fallait considérer qu’en raison du contrôle que conservaient les institutions impériales sur les édictions de cette législation, celle-ci n’avait qu’un caractère provincial, c’est-à-dire qu’elle restait dans le fond une législation d’Empire applicable seulement à une partie de l’Allemagne, à savoir l’Alsace-Lorraine. La portée de ces distinctions fut en réalité surtout théorique, voire politique.

Règlements administratifs

En plus des textes de loi proprement dits, de nombreux textes réglementaires, et notamment des ordonnances de l’empereur ou du Stadthalter, sont venus compléter l’arsenal juridique de la province. Il est particulièrement difficile aujourd’hui de définir la nature et l’étendue exactes du pouvoir réglementaire que détenaient les autorités exécutives à l’époque de l’annexion, compte tenu d’un système institutionnel profondément différent de celui qui fixe aujourd’hui le cadre d’intervention du pouvoir réglementaire. Conformément à la théorie juridique allemande de l’époque, on distinguait deux catégories de textes réglementaires : les Rechtsverordnungen (règlements) et les Verwaltungsverordnungen (instructions administratives). Les instructions administratives constituent des ordres de service donnés par les autorités supérieures. Elles correspondent donc à des circulaires ou à des directives et leur autorité se fonde sur le pouvoir hiérarchique d’une instance administrative. Elles n’ont donc en principe de force juridique qu’à l’intérieur des structures administratives. En pratique, certains de ces textes ont joué, et jouent encore, un rôle pratique très important. Ces instructions ont été publiées pour l’Alsace-Lorraine dans le Bulletin officiel central des services (Central-und Bezirksamtsblatt). Les règlements par contre, sont comparables à des lois, au sens matériel. Ils ne peuvent être édictés que sous réserve d’avoir été prévus par une disposition législative, et doivent respecter les limites de cette habilitation Aucune des lois impériales ou locales applicables en Alsace-Lorraine n’a donné à l’autorité exécutive une délégation générale pour l’édiction de règlements. Pour déterminer si une question pouvait être réglée par voie réglementaire, il fallait, en ce qui concerne les lois d’origine française, se référer aux principes généraux du droit public français maintenus en vigueur après l’annexion, en liaison avec les principes figurant dans la Constitution pour l’Empire allemand. En ce qui concerne les règlements d’exécution pour les lois d’Alsace-Lorraine, les compétences de l’autorité exécutive restaient déterminées par l’article 6 de la Constitution française du 14 janvier 1852 et l’article 14 du Sénatus Consulte du 21 mai 1870. En application de ces textes, le chef d’État avait le pouvoir de prendre les règlements et décrets nécessaires pour l’exécution des lois, même sans habilitation législative expresse. D’un autre côté, la loi d’Empire du 7 juillet 1887 (R.G.B., p. 377) avait institué au profit de l’empereur un pouvoir particulier d’édiction de règlements ayant pour objet d’assurer la bonne mise en œuvre du droit fédéral dans le territoire d’Alsace-Lorraine. Enfin, il existait la possibilité pour l’empereur de prendre par voie d’ordonnance des mesures urgentes qui devaient être ratifiées ultérieurement par le Reichstag. En pratique, même si la définition théorique du pouvoir réglementaire reconnu aux autorités exécutives par le droit applicable dans le Reichsland était plus restrictive que les conceptions existantes à l’époque en France, l’absence d’un contrôle juridictionnel autonome sur 1’usage fait de ce pouvoir a permis un développement conséquent de l’arsenal juridique par voie réglementaire.

Ainsi en 1918, la législation en vigueur en Alsace et en Lorraine comportait-elle trois éléments : d’une part des textes français antérieurs à 1870, d’autre part des lois dites d’Alsace-Lorraine à caractère local, et enfin les lois dites d’Empire valables pour toute l’Allemagne. Cette juxtaposition de textes n’était pas toujours sans poser des problèmes de détermination du droit applicable. Mais, somme toute, abstraction faite des considérations idéologiques ou politiques, cet édifice juridique apparaissait alors dans son ensemble comme moderne, interventionniste, adapté aux besoins de l’époque, socialement et techniquement très élaboré.

B. – Le retour à la France et l’entre-deux-guerres

Les territoires désannexés avaient appartenu pendant quarante-huit ans à un État fédéral. Ils faisaient retour à un État strictement unifié. L’alignement immédiat et complet sur le système institutionnel juridique français était aussi difficilement concevable que le maintien des structures fédérales existantes à l’époque allemande. Il fallait en tout état de cause des mesures d’adaptation.

Durant les années de guerre, les autorités françaises s’étaient préparées au retour de l’Alsace Lorraine à la France. La Conférence d’Alsace-Lorraine, mise en place en février 1915 et présidée par Louis Barthou, est chargée d’étudier l’ensemble des problèmes administratifs, religieux et scolaires que posera le rattachement de l’Alsace-Lorraine à la France et fait un certain nombre de propositions sous forme de vœux, qui doivent orienter l’action du gouvernement. Une Mission militaire administrative en Alsace gère les territoires de la vallée de Thann occupés dès 1914 par les troupes françaises. Dès 1915, le ministère de la guerre (Etat Major, 2e bureau) publie des ouvrages intitulés « Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine (Paris Imprimerie Nationale, 1915) qui resteront pendant des années la référence pour connaître les textes de droit local. Les services d’Alsace-Lorraine font l’objet d’une première organisation au cours de l’été 1917. Un décret du 5 juin 1917 place l’administration d’Alsace-Lorraine sous l’autorité directe du ministre de la Guerre, et un Service d’Alsace-Lorraine doit fournir à la Conférence d’Alsace-Lorraine une documentation et des éléments de travail. Un décret du 15 septembre 1918 réorganise l’administration d’Alsace-Lorraine, en fusionnant les divers services existant tant au ministère de la Guerre qu’au ministère de l’Intérieur en un Service général d’Alsace-Lorraine, sous l’autorité de la Présidence du Conseil.

1. Les institutions transitoires de l’Alsace-Lorraine de 1918 à 1925
Les premières mesures de désannexion

Par la convention d’armistice du 11 novembre 1918, l’Allemagne abdiqua tous droits et prétentions sur les territoires de l’Alsace et de la Lorraine. Toutefois, la réintégration des départements recouvrés n’était pas encore consacrée par un traité. – Le Traité de Versailles ne sera signé que le 26 juin 1919 ( et ratifié par une loi du 12 octobre 1919 mais publiée seulement par un décret du 12 janvier 1920), Cependant les dispositions de la convention de La Haye du 28 juillet 1899 relative à l’occupation des territoires d’un autre État, en vertu desquelles l’État occupant devait respecter les lois en vigueur. Dès l’occupation des trois départements recouvrés par les troupes françaises, en exécution de cette convention, deux décrets des 15 et 26 novembre 1918 mirent en place une nouvelle organisation. Ces textes, parfois appelés « Constitution de novembre / Novemberverfassung car ils se substituaient, à l’ordre politique constitutionnel antérieur

Sur le plan local, on substitua purement et simplement des départements aux trois districts en mettant à leur tête des fonctionnaires appelés Commissaires de la République, remplissant les attributions des préfets, tandis que des sous-préfets furent nommés à la tête des cercles redevenus arrondissements. Rattachés non pas au Ministère de l’intérieur mais directement au président du Conseil, les trois Commissaires de la République de Lorraine, de Haute Alsace et de Basse Alsace exerçaient en fait les fonctions des anciens présidents de district. Le Commissaire de Basse Alsace fut chargé de faire fonctionner les services provinciaux de l’ancien Reichsland. Le titre de haut-commissaire lui échut de ce fait.

Le Service Général d’Alsace et de Lorraine

Cependant, la réalité du pouvoir était exercée par une organisation centrale à Paris, un service général d’Alsace et de Lorraine, constitué auprès du président du Conseil et placé sous l’autorité d’un sous-secrétaire d’État à cette présidence. Ce service général d’Alsace et de Lorraine traduisait l’idée de centralisation qui avait inspiré les décrets du 15 et du 26 novembre 1918. Il avait comme mission de centraliser l’action administrative exercée par les Commissaires de la République et de mettre en œuvre, en liaison avec les divers départements ministériels, le règlement des questions soulevées par la réintégration des territoires d’Alsace et de Lorraine.

Le sous-secrétaire d’État était assisté d’un organe consultatif, le Conseil Supérieur d’Alsace et de Lorraine, instance essentiellement administrative dont tous les membres étaient nommés par le Gouvernement et qui constituait le développement d’institutions créées pendant les hostilités pour étudier les questions d’Alsace-Lorraine, plus particulièrement de la conférence d’Alsace-Lorraine créée en 1915 et chargée de préparer la réadaptation de l’Alsace-Lorraine à la mère patrie, cette conférence subsistant parallèlement au Conseil Supérieur d’Alsace et de Lorraine.

Ces structures administratives furent complétées par un décret du 31 décembre 1918 qui créa un office d’études législatives ayant pour fonction d’assurer la mise en œuvre des mesures d’intégration juridique de l’Alsace et de la Lorraine. Ce régime administratif provisoire se prolongeait par un régime financier transitoire mis en place pour éviter de troubler trop profondément la vie normale du pays. Le budget de l’ancien Land ne pouvant être complètement remis en cause, on maintint donc une entité budgétaire Alsace-Lorraine à un titre provisoire. L’organisation issue des décrets des 15 et 26 novembre 1918 provoqua de vives critiques du fait de son excessive centralisation et d’une départementalisation trop hâtive des provinces reconquises. Ces critiques entraînèrent la mise en place d’un nouveau régime administratif institué par le décret du 21 mars 1919 et la loi du 17 octobre 1919.

Le régime du commissariat général

Ainsi que cela avait été demandé dès le 25 février 1919 par le Conseil Supérieur d’Alsace et de Lorraine, on regroupa l’administration des territoires recouvrés à Strasbourg et on la confia par délégation permanente du président du Conseil à un Commissaire général de la République ayant rang de ministre et dont le premier titulaire fut Millerand, lequel voyait dans cette organisation une expérience susceptible de servir de modèle à une future régionalisation de la France.

On put voir dans l’organisation de ce commissariat général une véritable reconstitution du ministère d’Alsace-Lorraine d’avant 1919, le Commissaire général agissant sous l’autorité directe du président du Conseil et réunissant sous son autorité tous les services afférents aux administrations d’Alsace et de Lorraine. Le commissariat général restait cependant dégagé de l’organisation départementale, les trois Commissaires de la République résidant à Strasbourg, Metz et Colmar continuant à assurer sous son autorité l’administration de leur territoire. On laissa à l’initiative du premier Commissaire général le soin de créer et d’organiser ses services. Ceux-ci prirent la forme d’une série de directions correspondant aux différents ministères. Selon une décision du 16 avril 1919, les directions exerçaient pour les affaires ressortissant à leur compétence les attributions générales des directions d’administration centrale des ministères.

Parallèlement à la réorganisation des services administratifs, on modifia les organes consultatifs. La conférence d’Alsace et de Lorraine fut supprimée par un décret du 10 mai 1919. L’organisation du Conseil Supérieur d’Alsace et de Lorraine fut profondément modifiée ; son siège fut transféré à Strasbourg et sa composition modifiée. Composée désormais de trente-deux membres, onze français de Vieille France et vingt et un alsaciens lorrains, il était présidé par le Commissaire général de la République.

Le Conseil Supérieur d’Alsace et de Lorraine cessa d’exister dès le 8 mars 1920 conformément à ce qui avait été prévu par la loi du 17 octobre 1919, le législateur considérant qu’un tel organe n’avait plus sa raison d’être du moment que les représentants élus de l’Alsace et de la Lorraine siégeaient au Sénat et à la Chambre des députés. On envisagea un temps la création de conseils régionaux sur l’ensemble du territoire. Ce projet n’ayant pas abouti et la situation spéciale en Alsace et en Lorraine rendant indispensable l’existence d’un organe consultatif par le truchement duquel les représentants des populations pouvaient faire valoir leurs intérêts en ce qui concerne le travail législatif d’assimilation, un décret du 9 septembre 1920 créa un Conseil Consultatif d’Alsace et de Lorraine, institué près du commissariat général de la République. Comme pour ses prédécesseurs, cet organe n’avait que des fonctions consultatives et ses membres étaient nommés par le gouvernement. Mais l’élément électif y jouait un rôle important puisque sur les trente-cinq membres qui le composaient, trente étaient des élus soit du Parlement, soit des conseils généraux. Présidé par le Commissaire général, cet organisme devait être obligatoirement consulté sur un certain nombre de questions telles que le budget d’Alsace et de Lorraine, les projets de lois et de règlements généraux intéressant l’ensemble des populations des trois départements, les projets de grands travaux publics, etc. Ce conseil consultatif fut lui-même supprimé par décret du 14 novembre 1924 qui lui substitua un comité consultatif d’Alsace et de Lorraine ayant un caractère purement technique et placé auprès du président du Conseil. Le rôle de ce dernier comité était seulement de formuler un avis sur les projets destinés à introduire des lois françaises dans les trois départements. La composition de ce comité devait être déterminée par un arrêté ultérieur du président du Conseil. Cet arrêté n’est jamais intervenu.

Dès l’origine, le régime du commissariat général avait été présenté comme transitoire. Il était destiné à disparaître, soit que la législation existante fut étendue à l’Alsace-Lorraine, soit qu’une régionalisation du territoire permit de généraliser cette expérience. Une telle réforme régionale n’ayant pu se réaliser, le commissariat général fut donc une institution dont le but paradoxal était de se diminuer lui-même en travaillant à une assimilation qui rendrait son existence inutile. Ce travail d’assimilation commença dès la fin de 1920 et se poursuivit dans les années suivantes en se traduisant notamment par le rattachement progressif d’un nombre croissant de services du commissariat général aux ministères respectifs à Paris. Ces rattachements successifs, effectués d’ailleurs sans plan d’ensemble, ont amoindri peu à peu la substance même du commissariat général. Progressivement la vie s’est retirée de cet organisme dont l’administration a été confiée dès le 14 juillet 1924 au secrétaire général du commissaire général. Finalement ce commissariat a été supprimé par la loi du 24 juillet 1925, laquelle a prévu son remplacement par une direction générale rattachée à la présidence du Conseil.

Avec la loi du 24 juin 1925 sur la direction générale d’Alsace et de Lorraine, l’Alsace Moselle est réintégrée dans le cadre administratif de droit commun. Les préfets sont rétablis dans leur titre et dans leurs pouvoirs normaux avec cette seule différence qu’ils continuent de relever directement du président du conseil au lieu du ministère de l’Intérieur. Les services administratifs fonctionnent comme dans le reste de la France, sauf qu’est instituée à Paris sous l’autorité du président du conseil des ministres une direction générale à laquelle ressortissent tous les services des trois départements qui n’ont pas été rattachés à un ministère. Ces derniers ne sont qu’au nombre de quatre : le service de l’instruction publique, le service des cultes, l’office des assurances sociales et un service chargé de l’application des statuts locaux du personnel administratif. L’organisation de la direction générale d’Alsace-Lorraine a subsisté jusqu’à la deuxième guerre mondiale. A la libération, cette direction ne fut pas reconstituée. Les services locaux de l’instruction publique et de l’office des assurances sociales tout comme le service des statuts locaux ont été supprimés. Par contre, fut créée au ministère de l’intérieur un service général d’Alsace-Lorraine. Ce service a vu son importance décroître progressivement pour finalement disparaître : à la fin des années 1970, il n’existait plus que deux bureaux chargés des affaires d’Alsace-Lorraine. d’une part un bureau d’Alsace-Lorraine de compétence générale, et d’autre part un bureau des cultes déconcentré à Strasbourg.

2. Le maintien d’une législation locale malgré le principe de l’unification législative

Au moment du retour de l’Alsace-Lorraine à la France en 1918, était-il concevable de substituer immédiatement aux dispositions locales l’ensemble des textes de la législation française. Une autre solution a cependant prévalu : celle d’une introduction progressive et sélective des lois françaises. Cette démarche progressive n’était pas vraiment souhaitée par les responsables au niveau national. Ceux-ci auraient plutôt préconisé une harmonisation aussi immédiate et complète que possible. Cette assimilation ne convenait cependant ni aux responsables politiques, ni aux praticiens du droit, ni enfin à la population de la région. Les conditions dans lesquelles le régime dur doit local fut mis en place sont relativement mal connues et peu étudiées. Beaucoup de décisions importantes ont été prises dans la discrétion sans débat public. Même les publications techniques ne reflètent guère les enjeux.

La Loi du 17 octobre 1919 sur le régime transitoire de l’Alsace-et de Lorraine

Cette loi avait été précédée par celle du 12 octobre 1919 qui ratifiait le traité de Versailles du 26 juin 1919 (promulgué ultérieurement par un décret du 12 janvier 1920), lequel consacrait le rétablissement de la souveraineté française dans les trois départements avec effet rétroactif au 11 novembre 1918 (Traité art. 51). Ainsi fut donc consacrée la légalité de toutes les dispositions prises antérieurement. La loi du 17 octobre 1919 fut essentielle pour l’existence du droit local. C’est elle qui confirma le maintien en vigueur provisoire de la législation locale et précisa le mécanisme de l’introduction des lois françaises dans les territoires recouvrés. En outre, du fait de l’application immédiate dans ces territoires des lois constitutionnelles, elle y organisa le régime électoral selon les lois françaises. Enfin, en vertu de cette loi, le Commissaire général, qui disposait jusque-là d’un quasi pouvoir législatif puisqu’il lui revenait par arrêté, soit d’introduire la législation française, soit d’abroger les textes de droit local (ces arrêtés devant par la suite faire l’objet d’une ratification législative), se vit chargé de préparer les textes d’introduction. Il lui fut reconnu par ailleurs un certain pouvoir réglementaire ainsi que le droit de nommer les fonctionnaires en place dans les trois départements recouvrés.

Raisons du maintien de la législation locale

En dehors des effets nuisibles que comportait forcément le remplacement brutal dans une économie déjà complexe d’un système de législation par un autre, méthode rigide à laquelle les Allemands avaient eux-mêmes renoncé, on se plaisait à souligner la plus grande modernité, voire la supériorité d’un certain nombre de lois allemandes ou locales par rapport aux solutions en vigueur en France. Dans un certain nombre de secteurs (sécurité sociale, régime des sociétés, livre foncier, liberté communale, etc. ), l’application pure et simple des lois françaises eut été pour l’Alsace-Lorraine une véritable régression. D’ailleurs, le législateur français de l’époque envisageait de modifier à brève échéance un certain nombre de lois reconnues comme anachroniques ou insatisfaisantes. Il apparaissait dès lors inutile d’introduire dans les trois départements, pour un laps de temps réduit, des textes devant de toute façon être modifiés ou abrogés. Au surplus, l’occasion était bonne de voir fonctionner dans un contexte national des dispositions étrangères dont on pouvait éventuellement s’inspirer pour réformer le droit français. Enfin, dans certains domaines, le droit allemand avait élaboré une législation d’ensemble qui n’avait pas d’équivalent en France ( sur les assurances, code des professions, sécurité sociale, etc.). Il était évidemment exclu que le législateur français abroge ces dispositions sans en avoir d’autres pour les remplacer.

Ces considérations « rationnelles » n’étaient cependant pas les seules ni même les premières qui fondaient l’attachement de la population des provinces recouvrées à ce droit local. Celles-ci étaient avant tout soucieuses du maintien de certains principes fondamentaux caractérisant l’ordre social existant en Alsace Moselle et consacrés par le droit local. Parmi ces principes, il faut avant tout citer le statut religieux des départements recouvrés, c’est-à-dire le régime concordataire et la place de la religion à l’école. À côté de cette question des relations entre l’État et l’Église, il faut également citer l’organisation de certaines professions, principalement de l’artisanat, et l’existence de libertés communales. Ce sont ces matières-là, parfois qualifiées de « franchises locales », qui ont surtout animé la discussion autour du droit local.

Mécanismes juridique du maintien et procédures d’introduction

Finalement, un décret du 6 décembre 1918 (trouvant son fondement dans la législation de guerre), puis la loi du 19 octobre 1919 décidèrent que les départements recouvrés continueraient à être provisoirement régis par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, avant la désannexion, jusqu’à ce qu’il ait été procédé à l’introduction des règles correspondantes de droit français. Cette introduction ne devrait se faire que par des textes spéciaux qui en fixeraient à chaque fois les modalités ainsi que les délais d’application.

Deux procédures avaient été prévues. Le principe était celui de l’introduction par voie législative. En cas d’urgence, l’introduction pouvait également être réalisée par décret devant être soumis à la ratification du Parlement dans un délai d’un mois. En fait, « l’urgence » devint la règle et, sauf pour les lois les plus importantes, un nombre considérable de textes français fut introduit entre 1919 et 1924 par voie de décret. Parmi les dispositions introduites dès les premiers mois figurent les lois pénales (D. 25 nov. 1919), les lois sur la nationalité (D. 7mars 1920), les lois électorales, les lois sur l’organisation judiciaire, les lois sur l’armée, le contentieux administratif (D. 29nov. 1919), les dommages de guerre (D. 3sept. 1920), etc.

Loi du 24 juillet 1921 sur les conflits entre la loi française et la loi locale.

Des difficultés de concordance des deux droits applicables s’étant multipliées, on rechercha une solution dans la promulgation d’une loi du 24 juillet 1921 sur les conflits entre la loi française et la loi locale d’Alsace-Lorraine en matière de droit privé (voir Fasc. 309). Cette loi est encore en vigueur actuellement pour celles de ses dispositions qui ne sont pas contraires au deux lois d’introduction de 1924. Mais ce texte, qui était l’œuvre intellectuelle du professeur Niboyet, ne pouvait résoudre tous les problèmes. Il était problématique de maintenir dans l’ampleur initiale cette dualité de législation, notamment en raison des effets négatifs sur le commerce juridique entre l’Alsace-Lorraine et la France. La nécessité d’avancer rapidement vers une plus grande unification était donc admise de façon très générale. Toutefois l’on divergeait sur les méthodes à employer.

Après la période des mesures de détail qui s’est poursuivie jusque vers la fin de 1919, vint l’heure d’aborder les questions d’ensemble. Deux démarches différentes furent utilisées pour l’introduction de la législation française. D’une façon générale, les textes spéciaux ou particuliers furent examinés par les services du commissariat général puis soumis pour avis au Conseil consultatif. Par contre, les études préparatoires à l’introduction des grands codes furent confiées à quatre commissions instituées, les trois premières (pour le droit pénal, le droit civil et le droit commercial) par arrêté du 26 août 1919 et la quatrième (commission de procédure civile) par arrêté du 21 octobre 1919. Ces commissions composées de quelques spécialistes de haut niveau dégagèrent certains principes d’action. La règle suivie fut dans l’ensemble de rechercher autant que possible l’introduction intégrale de pans entiers de législation et de prévoir seulement, d’une part, des dispositions transitoires ou des adaptations de forme et, d’autre part, de ne conserver que les institutions juridiques locales qui répondaient à la triple condition de n’avoir pas d’équivalent en droit français, d’avoir fait la preuve de leur supériorité technique et enfin d’être susceptibles d’être intégrées ultérieurement dans la législation française générale à l’occasion d’une réforme d’ensemble. En réalité, les exceptions au principe de l’introduction intégrale furent assez nombreuses.

Introduction des lois françaises par « paquets ».

La commission de droit pénal fut la première à achever ses travaux et c’est ainsi que la législation pénale put être introduite par arrêté du 25 novembre 1919. Si en vertu de ce texte, l’ensemble de la législation pénale et de procédure pénale entrait ainsi en application dans les trois départements, un second décret de la même date apporta à cette règle diverses exceptions, notamment pour les règles pénales qui n’étaient que l’accessoire de lois locales maintenues, par exemple dans le domaine des cultes, de l’éducation, des associations, du droit du travail, de la chasse, etc. Par ailleurs, toujours en application de l’idée que l’accessoire doit suivre le principal, il fut admis que les règles du droit pénal général allemand seraient maintenues dans les domaines où des lois pénales locales resteraient en vigueur.

Les autres commissions aboutirent moins vite. L’une d’elles dut même renoncer à achever sa tâche, à savoir la commission de procédure civile, parce que l’introduction de la procédure civile française, jugée très archaïque, se heurtait à de très fortes résistances. Les deux autres commissions poursuivirent leurs travaux jusqu’en 1921. Les projets furent alors soumis au Conseil consultatif puis à partir de 1922 à l’appréciation des membres des professions juridiques intéressées. Les textes furent déposés à la Chambre des députés en 1923, mais ne furent transmis au Sénat qu’en 1924. Finalement les deux grandes lois d’introduction de la législation civile et commerciale furent promulguées le 1er juin 1924 et entrèrent en application le 1er janvier 1925.

Le principe de l’introduction du droit commercial n’était pas contesté. Le commerce et l’industrie s’accommodent mal de la coexistence dans un même État de deux législations différentes. Seuls furent discutés la nature et le nombre des dispositions locales à conserver. On a finalement maintenu quelques institutions particulières telles que la procura, les lois régissant la navigation rhénane ou les dispositions de législation sociale relative aux employés ou aux représentants de commerce. En outre ont été prévues diverses mesures transitoires au profit des sociétés anonymes. Des spécificités ont également été conservées en ce qui concerne l’organisation judiciaire dans le domaine de la faillite et pour ce qui est de l’organisation de juridictions commerciales.

La loi d’introduction de la législation civile constitue un ensemble beaucoup plus complexe que la loi commerciale et illustre les difficultés de l’unification de cette législation. On admit que, dans le domaine civil, le maintien d’une certaine dualité de législation présentait moins d’inconvénients que dans le domaine commercial. On a donc dérogé assez largement au principe de l’introduction intégrale et de nombreuses dispositions de droit local furent maintenues. Mais cette loi apporta aussi une innovation au demeurant critiquée par certains : au lieu de conserver simplement en vigueur certaines dispositions locales, elle en reprenait la substance dans des dispositions nouvelles mieux adaptées au contexte du droit général. Il en fut ainsi notamment pour les règles de publicité foncière, de partage judiciaire et ventes judiciaires d’immeubles, d’exécution forcée sur les biens immeubles, de procédure d’ordre . La loi comporte aussi diverses dispositions de procédure et de conflits de loi ainsi que d’importants principes généraux. Enfin elle traite du régime des tutelles et comporte des dispositions transitoires. La plupart des dispositions spéciales adoptées par cette loi étaient d’ailleurs elles-mêmes affectées – d’un caractère transitoire.

Ce principe du caractère provisoire du maintien en vigueur du régime juridique propre aux trois départements était concrétisé par une disposition de la loi du 1er juin 1924 fixant un délai de 10 ans au processus d’unification. Cette échéance fut prolongée jusqu’au 1er janvier 1945 par une loi du 23 décembre 1934. D’autres lois ultérieures repoussèrent encore davantage cette échéance, sans toutefois remettre en cause le caractère transitoire du régime local.

Les deux grandes lois civile et commerciale d’introduction comportent également des dispositions relatives à d’autres matières. C’est ainsi que certaines dispositions du Code du travail et du Code rural furent partiellement introduites. Cependant, en ce qui concerne le droit public, la législation sociale et les lois fiscales, le maintien du droit local resta la règle, en dehors de dispositions directement liées à l’organisation des pouvoirs publics et les domaines pour lesquels des textes particuliers étaient intervenus. Dans la plupart de ces domaines plutôt techniques, la question de l’introduction des lois françaises, bien que touchant à des intérêts importants, resta largement circonscrite à un cercle de spécialistes. C’est la volonté du gouvernement Herriot (Cartel des Gauches) d’introduire également en Alsace Moselle les lois sur la laïcité qui provoqua les passions. Dans son discours à la Chambre du 17 juin 1924, Herriot estima interpréter correctement le vœu des chères provinces enfin rendues à la France, en hâtant la venue du jour où seront effacées les dernières différences de législation entre les départements recouvrés et l’ensemble des territoires de la République – et en annonçant l’introduction des lois laïques en Alsace Moselle. Cette déclaration fut l’une des principales causes de la flambée de l’autonomisme en Alsace ; les Alsaciens étaient farouchement attachés au Concordat et à la loi Falloux sur laquelle reposait pour l’essentiel encore leur organisation scolaire. La menace de la suppression de ce régime confessionnel provoqua dans la province des troubles d’une intensité considérable, si bien que le gouvernement Herriot et les gouvernements ultérieurs renoncèrent à ce projet et se montrèrent par la suite plus circonspects quant à la poursuite de l’assimilation législative.

Troisième législation

À côté de ces problèmes proprement politiques, l’introduction du droit français s’est heurtée également à des problèmes d’ordre technique. La formule du remplacement pur et simple du droit local par le droit général s’avéra fréquemment impossible, l’extension des textes français dans une matière se heurtant à des dispositions locales qu’il était impossible d’abroger intégralement, en raison des liens les unissant à d’autres matières non encore introduites. Pour ces raisons d’ordre technique et afin de conserver certaines solutions du droit local tout en les adaptant au nouveau cadre juridique du droit général, on vit se développer ce que l’on allait appeler « la troisième législation » : dans certaines matières, tout en abrogeant le droit local, on introduisit non la loi française ordinaire, mais on établit une législation nouvelle et spéciale aux trois départements, qui empruntait au droit français et au droit allemand ses meilleurs éléments pour former un droit nouveau spécifiquement alsacien lorrain. De telles dispositions particulières à l’Alsace et à la Moselle figurent notamment, ainsi qu’on l’a vu dans les lois civiles et commerciales du 1er juin 1924 (par ex. en ce qui concerne l’état et la capacité des personnes, le registre matrimonial, le livre foncier, le régime des inscriptions hypothécaires, le certificat d’hérédité, le partage et la vente judiciaires, l’exécution forcée des biens d’immeubles, diverses règles de procédure, etc. ). Plus tard, la troisième législation s’étendit à d’autres secteurs (régime fiscal, réglementation de l’indemnisation des dégâts causés par le gibier, etc. ). Cette tierce législation était parfois vue avec défaveur car elle perpétuait un particularisme que l’on souhaitait résorber. Malgré cela, elle s’est développée, généralement sur les décombres du droit local antérieur, à l’occasion de l’introduction de dispositions générales qui nécessitaient des aménagements.

Si la troisième législation consacrait et renforçait le particularisme juridique alsacien lorrain, le progrès de l’unification était par contre favorisé par la modernisation du droit français, les dispositions nouvelles étant applicables uniformément dans les trois départements comme dans le reste du territoire. Dans divers cas, ce furent d’ailleurs les solutions du droit alsacien lorrain qui furent étendues à l’ensemble de la France, entraînant par là-même la disparition de ce droit local en tant que tel. Ainsi, selon les matières, diverses solutions furent finalement retenues : maintien du droit local, introduction du droit français, création d’une troisième législation spécifique aux trois départements, création d’un droit nouveau applicable tant à l’Alsace Moselle qu’au reste de la France.

À partir des années 30, un certain essoufflement put être constaté dans l’effort d’unification législative : dans la mesure où l’intégration des trois départements dans la communauté nationale s’était désormais suffisamment affirmée, le maintien d’un certain nombre de textes locaux sembla présenter moins d’inconvénients sur le plan de l’unité nationale. D’un autre côté, la poursuite de tensions autonomistes incitait en la matière à une démarche prudente. Enfin, l’aggravation de la situation économique et politique et la dégradation des relations internationales avaient fixé aux autorités publiques et à l’opinion des préoccupations autrement prioritaires. Le principe du caractère provisoire du maintien du droit local ne fut cependant jamais remis en cause durant toute cette période. Ce droit particulier n’était qu’un régime « en sursis » jusqu’à ce que les circonstances d’une harmonisation complète soient trouvées.

C. – La deuxième guerre mondiale et l’après-guerre
L’occupation nazie

Une nouvelle période troublée commença en 1940. A partir de juin, l’Alsace fut annexée de fait au 3e Reich allemand et la plupart des lois et règlements allemands y furent introduits, notamment en ce qui concerne les règles de droit public, le droit pénal, l’organisation des professions, les règles de commerce, etc. Les dispositions correspondantes du droit local furent abrogées. On peut dire que le droit local avait disparu durant cette période. Il en était ainsi notamment de la législation locale relative aux cultes.

Libération

L’ordonnance du 15 septembre 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine a annulé tous les textes édictés par la puissance occupante, sous réserve de mesures transitoires. Les autorités de la libération auraient pu être tentées de ne pas rétablir des dispositions locales qui avaient cessé d’être appliquées. Mais elles ont considéré que le droit local devait rétabli au même titre que le reste de la législation française. Ces dispositions n’ont cependant pas été sans susciter des difficultés en ce qui concerne la détermination des engagements valablement conclus durant la période d’occupation. Une ordonnance de 1945 disposait par ailleurs que la législation locale d’avant 1940 restait provisoirement en vigueur mais que les actes de l’autorité de fait (régime de Vichy) pourraient être déclarés exécutoires par décret dans les trois départements, qu’ils soient compatibles ou non avec cette législation particulière. Quant aux textes d’Alger, une ordonnance du 24 mai 1945 les a introduits en bloc, mais dans la mesure seulement où ils ne dérogeaient pas aux règles locales appliquées en 1940. En pratique, le droit local a été mis entre parenthèses entre 1940 et 1945, mais, sauf en des domaines particuliers, il a continué à s’appliquer à partir de 1944-1945 dans les termes dans lesquels il était en vigueur avant 1940.

Les opposants au droit local estimèrent que l’occasion de la libération était bonne pour le faire disparaître d’un bloc en profitant de l’enthousiasme du moment. Cette solution brutale fut écartée parce qu’on estima qu’une mesure aussi grave ne pouvait émaner que des représentants qualifiés des populations intéressées. Toutefois, les efforts d’unification législative ont retrouvé à la libération une nouvelle vigueur : de nouvelles commissions d’études furent instituées, l’une dès 1944 au niveau du ministère de la Justice en matière de législation civile, commerciale et pénale, l’autre en 1945, auprès du ministère du Travail pour les questions d’assurances sociales. Enfin, un arrêté du 15 janvier 1947 créa auprès du ministère de l’intérieur une commission d’unification législative dans laquelle tous les ministères étaient représentés. Cette commission était chargée d’une mission d’étude et d’information pour l’ensemble du droit local et d’un examen plus particulier du domaine du droit public local. On recensa les textes encore régis par le droit local et on fit des propositions de réforme.

Plusieurs textes ont concrétisé ces efforts dans le domaine du droit public : dans le domaine fiscal, l’unification a été quasiment achevée par des ordonnances de 1945, sauf en matière d’impôts locaux (pour lesquels il ne pouvait être question d’introduire le système vétuste des « principaux fictifs » dont on annonçait une réforme pour laquelle les trois départements allaient servir de banc d’essai). En matière d’assurances sociales, l’ordonnance fondamentale du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale réalise l’unification sur le plan des principes tout en aménageant des mesures particulières et « transitoires » pour tenir compte des éléments du droit local qui restaient plus favorables. Diverses dispositions du droit du travail furent également introduites dès 1945 en remplacement des textes correspondants du Code local professionnel (hygiène, sécurité, travail de nuit, règlement intérieur, etc. ). Plus tard on étendit aux trois départements des dispositions relatives à l’organisation et aux finances communales, la législation sur la pêche (1946), les monuments historiques (D. 19 avril 1947), la législation vétérinaire (L. 31 déc. 1949). les dispositions relatives aux édifices menaçant ruine, la législation sur l’enseignement technique et on abrogea d’autres dispositions diverses du Code local professionnel. La commission du ministère de l’intérieur n’a cependant plus été réunie après 1956. Après un brillant début, ses projets n’ont plus été retenus que rarement par le législateur de l’époque, les réformes étant bloquées par le jeu d’intérêts professionnels opposés.

L’après-guerre

Dans le domaine du droit civil, la modernisation du droit civil général engagée à partir de la fin des années 50 dans les domaines de la tutelle, de l’émancipation, du droit des incapables majeurs, de l’autorité parentale et de la filiation, s’est pour une large part réalisée dans la méconnaissance du droit local correspondant, c’est-à-dire sans l’abroger sauf exception, mais en le marginalisant dans une situation plus ou moins sclérosée et en lui faisant souvent perdre son intérêt pratique, les dispositions nouvelles de la loi générale étant soit similaires, soit supérieures du point de vue de la technique juridique à celles demeurant applicables dans les trois départements.

Parfois l’inadvertance du législateur est même venue aggraver la dualité de législation : par exemple, lorsqu’en 1967 une ordonnance vint modifier les règles concernant la péremption hypothécaire, on précisa que ces prescriptions nouvelles ne s’appliqueraient pas aux trois départements, oubliant que cette matière y avait déjà été introduite par la loi de 1924. De ce fait, on continue à appliquer en Alsace Moselle en ce domaine le droit général ancien au lieu des dispositions nouvelles… Dans d’autres cas, on oublia l’existence du droit local : par exemple, lorsque la loi du 16 décembre 1964 créa le bail à construction, on omit de préciser selon quelles modalités ce nouveau droit réel serait publié au livre foncier. On a ainsi vu naître ce que certains auteurs ont appelé le « droit local accidentel »…

De la même manière un certain nombre de matières sont restées à l’écart du mouvement de réforme législatif et réglementaire, parce que non pris en charge par aucun groupe social ou politique précis : ces règles locales ont vieilli et sont devenues hétéroclites, voire anachroniques, au bord de la désuétude de fait. Ainsi, dans de nombreux domaines, il n’y a eu ni introduction du droit général, ni réforme du droit local, mais simplement érosion progressive de ce dernier. Renonçant aux mesures d’abrogation pure et simple, le législateur a semble-t-il décidé de laisser agir le temps. D’un droit essentiellement temporaire, correspondant à une situation jugée provisoire dans l’attente d’une œuvre de synthèse législative, le droit local est devenu un droit statique, végétant en marge du droit français, un particularisme local que l’on s’est mis progressivement à ignorer dans de nombreuses matières qui relèvent encore de son champ d’application.

À côté de ce vieillissement, la marginalisation du droit local a encore été favorisée par d’autres évolutions : même lorsqu’il est resté en vigueur, le droit local a été intégré dans un cadre juridique de conception différente si bien que certaines de ses institutions ont radicalement changé de sens : soumis à une pratique juridique ou administrative française, ce droit a perdu sa signification originelle. D’autre part, avec le remplacement des générations, le nombre des juristes qui connaissent bien le droit local, soit parce qu’ils ont encore connu la période allemande, soit parce qu’ils ont contribué à sa formation, est devenu de plus en plus réduit. Au demeurant, ce droit local n’a fait, dans les facultés de droit, que l’objet d’un enseignement de plus en plus réduit et de surcroît facultatif. Les juristes, les fonctionnaires et les gestionnaires issus des jeunes générations, éduqués principalement sur la base du droit général, se sont sentis de moins en moins à l’aise dans le vieux droit local. En outre, les secteurs nouveaux et dynamiques de l’activité économique et sociale ont été presque tous régis par des lois nouvelles, donc de droit général. Enfin, le droit local a été également marginalisé d’un point de vue statistique, son application étant de plus en plus exceptionnelle.

Au début des années 1970, le mouvement d’abrogation a repris de la vigueur, notamment en raison de la modernisation de la législation générale. En 1972, a été créée une Commission d’harmonisation de la procédure civile, ayant son siège à Strasbourg, chargée de proposer dans le cadre de la réforme en cours de la procédure civile les harmonisations possibles et souhaitables entre les dispositions locales et les dispositions du droit général. En effet, une refonte fondamentale du vieux Code de procédure civile de 1806 était engagée, alors que le Code de procédure locale était resté lui-même figé dans sa forme de 1877 remaniée en 1900 et apparaissait dépassé sur un certain nombre de points. Le nouveau Code de procédure civile, qui est entré en vigueur dans le reste de la France le 1er janvier 1976, fut également rendu applicable en Alsace Moselle le 1er juillet 1977, sans qu’il y ait eu cependant absorption pure et simple du droit local par le droit général : en effet, un nombre important de règles de ce nouveau code ont été inspirées par le droit local ; par ailleurs, les textes de procédure locale qu’il apparaissait nécessaire de maintenir en vigueur sans pouvoir les étendre à l’ensemble de la France, furent intégrés dans une annexe de 46 articles au nouveau code avec les aménagements et les réformes souhaitables. A partir de 1977, cette commission d’harmonisation a repris ses travaux pour l’examen de nouveaux textes (arbitrage, injonction de payer, procédure prud’homale et diverses questions de droit civil). Ces études ont débouché sur de nouveaux textes mis en vigueur dans les années 1980.

Dans le domaine du droit communal, un grand pas vers l’harmonisation a été réalisé en matière de tutelle administrative par la loi du 31 décembre 1970 sur la gestion municipale et les libertés communales, dans le sens d’un rapprochement des règles du droit général de celles du droit local. Ce mouvement d’alignement sur le droit local a été complété par les lois récentes des 2 mars et 22 juillet 1982 sur les droits et libertés des communes. En matière d’apprentissage, c’est une loi du 16 juillet 1971 qui procède à l’unification, en confiant toutefois à un décret le soin de prendre pour les trois départements des mesures spécifiques d’adaptation. Pour ce qui est de l’enseignement religieux, un décret de 1974 confirme l’effacement de fait toujours plus prononcé de la loi Falloux. Quant au Code local professionnel, son érosion s’est également poursuivie avec le remplacement par le droit général des dispositions relatives aux hôpitaux privés et aux professions ambulantes. Enfin, tout récemment, la loi du 6 mai 1982 a supprimé le régime local des prud’hommes.

D. – Redécouverte du droit local

En 1981, le Premier ministre a confié une mission temporaire sur le droit local au député du Haut-Rhin, Jean-Marie Bockel. Dans son rapport rendu public en 1982, ce parlementaire proposait en particulier de mieux veiller à éviter des altérations « accidentelles » ou insuffisamment étudiées du droit local en veillant à un meilleur suivi de ces questions. En vue de la concrétisation de ce rapport, le ministre de l’intérieur a chargé, en 1984, un conseiller de tribunal administratif, M. Jean-Marie Woehrling, d’une mission sur le droit local. Celui-ci a, dans le cadre de cette mission, suscité la création d’un organisme d’étude et de documentation sur le droit local, l’Institut du Droit local Alsacien-Mosellan. Ce dernier a entrepris à partir de 1985 un travail d’inventaire et d’analyse des dispositions juridiques spécifiques aux trois départements de l’Est. Parallèlement, a été reconstituée en 1985 la commission d’harmonisation du droit local alsacien-mosellan avec le droit général. Cette commission, dont le premier président fut M. Rudloff, sénateur-maire de Strasbourg, et composée de juristes des départements du Rhin et de la Moselle, a fait au Gouvernement des propositions d’aménagement du droit local, et étudie l’incidence des textes nouveaux sur ce droit.

Durant les années qui ont suivi, le droit local a continué à être élagué de textes divers, dans un souci de « dépoussiérage » et de clarification (voir les lois n° 90-1248 du 29 décembre 1990 portant diverses mesures d’harmonisation et n° 91-422 du 6 mai 1991 sur le contrat d’assurance). Mais il y a eu aussi un effort nouveau de modernisation du droit local par l’adoption de textes nouveaux propres aux trois départements de l’Est, grâce à un regain d’intérêt pour cette législation particulière de la part des responsables politiques et du public (Loi n° 94-392 du 29 avril 1994 sur l’informatisation du Livre foncier ; Loi n° 94-637 du 27 juillet 1994 créant une instance locale de gestion pour le régime local de sécurité sociale ; Loi n° 96-549 du 20 juin 1996 d’actualisation du droit de la chasse). Toutefois, à partir du milieu des années 1990, cet intérêt s’est de nouveau estompé rendant plus difficile l’œuvre de modernisation. Par ailleurs des conceptions plus rigides en matière « d’orthodoxie républicaine » font peser de nouvelles menaces sur le droit local (cf. J.-M. Woehrling, Menaces sur le droit local ? Revue du Droit Local, sept. 1999, n° 28 p. 11). Dans les années les plus récentes, c’est le statut constitutionnel du droit local qui a suscité questions et débats. La discussion de la réforme constitutionnelle qui a conduit à l’institution de la « question prioritaire de constitutionnalité » avait incité des parlementaires locaux à demander des garanties pour le droit local (débats Ass. Nationale 9 juillet 2008 ; Sénat 16 juillet 2008). La première QPC sur le droit local ( Cons. Const ; 5 août 2011 Sté Somodia n° 2011-157 QPC) a conduit le Conseil constitutionnel a reconnaître un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » assurant une protection relative du droit local existant (Commentaire de Jean-Marie Woehrling, à la RFDA 2012 p. 131). La campagne présidentielle de début 2012 a suscité une discussion sur l’abrogation ou la constitutionnalisation du régime local des cultes.

À l’issue de cette évolution historique, le droit local a cessé d’être un « système de droit » pour ne plus constituer qu’une collection de particularismes plus ou moins intéressants. A l’examen on y découvre néanmoins certains caractères communs.