ne m’étais pas demandé si le chant que j’entendais en moi tenait à la répétition des imparfaits ou des participes présents. Sans cela je n’aurais jamais pu le transcrire. C’est un travail inverse que j’ai accompli aujourd’hui en cherchant à noter à la hâte ces quelques particularités du style de Flaubert. Notre esprit n’est jamais satisfait s’il n’a pu donner une claire analyse de ce qu’il avait d’abord inconsciemment produit, ou une recréation vivante de ce qu’il avait d’abord patiemment analysé. Je ne me lasserais pas de faire remarquer les mérites, aujourd’hui si contestés de Flaubert. L’un de ceux qui me touchent le plus parce que j’y retrouve l’aboutissement des modestes recherches que j’ai faites, est qu’il sait donner avec maîtrise l’impression du Temps. À mon avis la chose la plus belle de l’Éducation Sentimentale, ce n’est pas une phrase, mais un blanc. Flaubert vient de décrire, de rapporter pendant de longues pages, les actions les plus menues de Frédéric Moreau. Frédéric voit un agent marcher avec son épée sur un insurgé qui tombe mort. “Et Frédéric, béant, reconnut Sénécal !” Ici un “blanc”, un énorme “blanc” et, sans l’ombre d’une transition, soudain la mesure du temps devenant au lieu de quarts d’heure, des années, des décades (je reprends les derniers mots que j’ai cités pour montrer cet extraordinaire changement de vitesse, sans préparation) :
“Et Frédéric, béant, reconnut Sénécal.
Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, etc. Il revint.
Il fréquenta le monde, etc.
Vers la fin de l’année 1867, etc.”