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Page:NRF 14.djvu/661

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SI LE GRAIN NE MEURT 655

sorte que lui s'en amusait plutôt. Longtemps après qu'il était devenu presque aveugle, elle mettait encore en doute, ainsi que beaucoup d'autres, cette nuit envahis- sante ; ou du moins accusait Monsieur Dorval d'en jouer, et de n'être « pas si aveugle que ça. » Hlle le trouvait obséquieux, entrant, retors, intéressé, féroce ; il était un peu tout cela; mais il était musicien. Parfois, aux repas, son regard, à demi-voilé déjà derrière ses lunettes, se perdait ; ses puissantes mains posées, comme sur un clavier, sur la table, s'agitaient; et quand on lui parlait, revenant à vous soudain, il répondait :

— Pardon ! J'étais en mi bémol.

Mon cousin Albert Démarest — pour qui je ressentais déjà une sympathie des plus vives, malgré qu'il eût vingt ans de plus que moi — s'était particulièrement lié avec celui qu'il appelait cordialement : le père Dorval. Albert, seul artiste de la famille, aimait passionnément la musique et jouait lui-même fort agréablement du piano ; la musique était leur seul terrain d'entente ; par- tout ailleurs ils s'opposaient. A chaque défaut du père Dorval correspondait, dans le caractère d'Albert, un relief. Celui-ci était aussi droit, aussi franc, que l'autre était retors et papelard ; aussi généreux que l'autre cupide ; et tout ainsi; mais par bonté, par indiscipline, Albert savait mal se conduire dans la vie ; il soignait peu ses propres intérêts et, souvent, ce qu'il entrepre- nait tournait à son désavantage, de sorte que, dans la famille, on ne le prenait pas tout à fait au sérieux. Monsieur Dorval l'appelait toujours « ce gros Bert », avec une indulgence protectrice où perçait un peu de pitié. Albert, lui, admirait le talent de Monsieur Dorval ; quant

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