646 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
C'est cette vallée que j'ai peinte et c'est notre maison, dans V Immoraliste. Le pays ne m'a pas seulement prêté son décor ; à travers tout le livre, j'ai poursuivi profon- dément sa ressemblance ; mais il ne s'agit pas de cela pour l'instant.
��11 sautait aux yeux que le corps de logis principal était de construction bien plus récente, sans autre attrait que le manteau de glycine qui le vêtait. Le bâtiment de la cuisine, par contre, et la poterne, de proportions menues mais exquises, présentaient une agréable alter- nance de briques et de chaînes de pierre. Des douves entouraient l'ensemble, suffisamment larges et profon- des, qu'alimentait et avivait l'eau détournée de la rivière ; un ruisselet fleuri de myosotis amenait celle-ci et la déversait en cascade. Comme sa chambre en était voi- sine, Anna l'appelait ma cascade " ; toute chose appar- tient à qui sait en jouir.
Au chant de la cascade se mêlaient les chuchotis de la rivière, et le murmure continu d'une petite source cap- tée qui jaillissait hors de l'île, en face de la poterne ; on y allait cueillir pour les repas une eau qui paraissait glacée et, l'été, couvrait de sueur les carafes.
Un peuple d'hirondelles sans cesse tournoyait autour de la maison ; leurs nids d'argile s'abritaient sous le rebord des toits, dans l'embrasure des fenêtres, d'où l'on pouvait surveiller les couvées. Quand je pense à La Roque, c'est d'abord leurs cris que j'entends ; on eût dit que l'azur se déchirait à leur passage. J'ai souvent revu ailleurs des hirondelles ; mais jamais nulle part
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