6l6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
faite sienne, tout cela a vécu. Une forme de vie s'est dérobée à elle, sans retour.
La révolution allemande n'est que le signe de cet effondrement d'une chose du dehors. Elle n'est pas encore genèse, promesse d'une formation intérieure. La critique qu'en fait Rathenau n'est pas d'un réactionnaire regrettant l'ordre ancien, mais d'un théoricien d'avant- garde qui se désole de ne pas voir poindre l*esprit nouveau. En vain il le recherche sous les dehors révolutionnaires ; au lieu d'une volonté de prendre enfin des responsabilités, il ne découvre qu'un « mouvement de rancune ». Il y avait en Allemagne des mécontents prêts à s'en prendre aux personnes ; il n'y avait pas de révolutionnaires. Les socialistes, soucieux uniquement d'intérêts matériels, doutant du parlementarisme, admirant le militarisme, ont avec les masses accepté la guerre profitable. Rathenau n'hésite pas à dire que 1914 résolvait en une force unanime tout ce qui était épars dans l'atmosphère allemande. Si la révolution est arrivée c'est « par mégarde ». Une chaîne tombait d'elle-même, rouillée. et non brisée par une volonté. Nul mouvement du cœur que le dégoût. Ni théorie, ni aspiration révolutionnaire. Toujours l'ancienne admiration pour l'autorité qui ne faisait que changer de nom et passer du militaire au civil, de la caste d'en haut à la caste d'en bas. Et du pouvoir qui lui est échu, la Sozial Demokratie, candidate aux jouissances bourgeoises, ne sait que faire, l'objet de la jouissance étant ôté. Il n'est que les partis extrêmes qui soient animés d'un levain d'idéalisme — mais ils n'ont d'idéal que celui de Marx qui leur revient par le détour de la Russie. « Un an encore de cette misère, écrit Rathenau, en juin 1919, qu'un contre-révolutionnaire résolu apparaisse, et un peuple sans virilité lui obéira. »
Qu'importe, après tout, cet accident possible au prophète de « la prochaine guerre mondiale qui approche malgré la police des nations ». Ce ne sont pas les Allemands qi;i la déclencheront, pense-t-il, et il n'annonce pas quelle forme elle prendra. Mais il voit venir comme une fatalité des bouleversements nouveaux. La mécanisation contre laquelle il s'élève avait été portée en Allemagne à l'extrême. C'est pourquoi l'Allemagne la première s'est brisée. Mais il est d'autres victimes désignées. Les peuples qui voulaient incarner l'esprit en lutte contre la matière, succombent à leur tour à son emprise. Pour vaincre la Prusse il se sont prussianisés. L'esprit étouffe sous la lourde machine qu'ils ont montés. L'individu qui se croyait une fin, est devenu chez eux aussi un moyen. Des institutions caduques ont chez les peuples de l'Entenie repris apparence de vie. La hiérarchie ancienne réaffermie sous la pression de circonstances passagt'res se survit. Et la place y manque pour les valeurs nouvelles que rien pourtant ne sert de nier, dont rien n'arrêtera le flot montant. Seuls ceux qui les comprendront vivront. Ceux qui les premiers s'empareront d'elles orienteront le monde. Il reste à dire comment Rathenau conçoit cette orientation.
FKLIX BERTAUX
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