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586 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

compromise serait attacher à la culture européenne une importance qu'elle n'avait certainement pas, et se méprendre sur l'orientation effective de la pensée occidentale. Nous avons maintenant des élé- ments qui nous permettent de discerner combien précaire et relatif fut le mouvement des esprits entre i88o et 1914. La guerre a con- firmé en effet les inductions de romanciers, de sociologues, de poètes dont une éducation «classique», des traditions psychologi- ques; un individualisme exaspéré nous incitaient à méconnaître l'importance. Sous des formes très diverses et inégales Zola, Rosny aîné, Paul Adam, Espinas et Durkheim, Jules Romains et Duhamel avaient annoncé le règne humain. Pendant la guerre nous avons éprouvé sa réalité concrète. L'homme a pu discerner dans ses rap- ports avec la société davantage qu'un conflit de forces antagonistes oii le conformisme et la dissidence l'emportent alternativement. Il a compris le sens profond de sa dépendance à l'égard du groupe. C'est au sein d'un milieu social qu'il se forme et se développe ; c'est de la conscience collective qu'il revoit les éléments d'une vie spiri- tuelle et morale, la vie en commun est bien la source de toutes les énergies, de tous les modes d'activité. 11 apparaît alors que l'intelli- gence elle aussi a des conditions sociales. La vie intellectuelle devient trop étroitement dépendante de notre être biologique et de notre être social pour que nous puissions jamais lui accorder cette sorte de liberté inconditionnelle à l'examen de qui les métaphysi- ciens consument leurs veilles. Il apparaît alors que l'intelligence a une fonction sociale et que l'exercice de la pensée ne saurait être ni une aventure, ni un jeu, ni un luxe.

Dès que l'activité intellectuelle est replacée au sein d'une activité plus vaste, l'idéal d'une culture universelle devient irrecevable. Admettre une culture universelle, c'est prêter aux vérités scientifi- ques et morales les caractères que les théologiens accordent aux vérités révélées ; c'est les considérer comme un corps -de vérités unique, extérieur à l'homme, transcendant, vers lequel tendraient également notre intelligence et notre volonté; c'est recevoir comme articles de foi les propositions des Critiques de la Raison Pure et de la Raison Pratique ou celles du monisme scientifique. Or, de ce que nos vérités soient impersonnelles, il ne s'ensuit pas qu'elles soient extérieures à l'homme et universelles. C'est au sein d'un groupe

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