RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 575
tirer de ces constatations aucune conclusion pessimiste : la littéra- ture a ses lois, la vie politique et sociale a les siennes, et conclure trop rapidement de l'une à l'autre constitue précisément l'une des usurpations de la littérature.
ALBERT THIBAUDET
��J'écrivais dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue Française que je parlerais aujourd'hui sur la question soulevée par M. Marcel Proust au sujet de Sainte-Beuve, de la critique des vivants et de la critique des œuvres du passé. J'aurais signalé l'injustice, tout à fait naturelle et en quelque sorte professionnelle, avec laquelle la plu- part des écrivains tendent à voir dans la première, qui les concerne, l'essentiel de la besogne du critique. Je me disposais à prendre la défense de M. Daniel Halévy. Heureusement M. Daniel Halévy m'a dispensé de cette besogne en écrivant lui-même dans la Minerve Française un excellent article sur la question, où il a dit mieux que je n'aurais fait la plus grande partie de ce que je me proposais d'écrire.
On trouvera également la question traitée d'un point de vue très sévère et très juste, dans le sixième chapitre du Miroir des Lettres, de M. Fernand Vandérem. Parmi les points qui sont -à approuver tout particulièrement dans son livre, je dois retenir la place très haute qu'il fait dans la critique moderne à Jules Lemaître, auquel on ne donne pas aujourd'hui son vrai rang comme écrivain, moraliste, conteur, critique, et que je mettrais immédiatement après Sainte- Beuve. Précisément sur la question qui divisa M. Proust et M. Halévy, je citerai ce passage de Jules Lemaître :
« Il n'y a peut-être de critique digne de ce nom que celle qui a pour objet des œuvres suffisamment éloignées de nous et dont nous sommes personnellement détachés. Encore faut-il qu'elle porte sur d'assez vastes ensembles pour que nous y puissions saisir les justes relations que soutiennent entre elles les œuvres particulières. La critique au jour le jour, la critique des ouvrages d'hier n'est pas de la critique : c'est de la conversation, ce sont propos sans impor- tance. »
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