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��SI LE GRAIN NE MEURT
FRAGMENTS (l) II
J'imagine le dépaysement de ma mère, lorsque, sortant pour la première fois du confortable milieu de la rue de Crosne, elle accompagna mon père à Uzès. Il semblait que le progrès du siècle eût oublié la petite ville ; elle était sise à l'écart et ne s'en apercevait pas. Le chemin de fer ne menait que jusqu'à Nîmes, ou tout au plus à Remoulins, d'où quelque guimbarde achevait le trimbal- lement. Par Nîmes le trajet était sensiblement plus long, mais la route était beaucoup plus belle. Au pont Saint- Nicolas, elle traversait le Gardon ; c'était la Palestine, la Judée. Les bouquets des cistes pourpres ou blancs cha- marraient la rauque garrigue que les lavandes embau- maient. Il soufflait par là-dessus un air sec, hilarant, qui nettoyait la route en empoussiérant l'alentour. Notre voiture faisait lever d'énormes sauterelles qui tout à coup déployaient leurs membranes bleues, rouges ou grises, un instant papillons légers, qui retombaient un peu plus
I. Voir la Nouvelle Revue Française du i" Février 1920.
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