inquiétude plus graves y étaient contenus, que le temps, loin d’apaiser, n’a fait qu’approfondir. Il semble que nous voici parvenus à une époque oie la question va se poser de l’appartenance de l’intelligence. L’intelligence est-elle bien particulier ou propriété sociale ? Est-elle la chose de l’individu en qui elle habite, peut-il en « user et abuser » à sa guise, ou au contraire la société garde-t-elle sur elle certains droits, peut-elle la réquisitionner à son profit, exiger tout au moins quelle s’infléchisse dans le sens de l’intérêt général ?
La question n’est pas de droit seulement, mais de fait aussi. On peut se demander si, de par les conditions que crée la vie moderne à l’intelligence, celle-ci ne va pas fatalement se trouver conduite, rien que pour pouvoir continuer de s’exercer normalement, à adopter une sorte de démarche collective. Le vaste mouvement qui tend à la socialisation progressive des activités humaines va-t-il s’arrêter au bord de l’activité intellectuelle, ou au contraire, verrons-nous celle-ci gagnée peu à peu par les principes et par les habitudes qui régissent déjà la grande industrie ? L’avenir de la pensée est-il désormais au prix de sa désindividualisation ?
Comme on voit, il ne s’agit plus de décider si les exigences de la vérité doivent ou non passer avant celles du bien public ; on veut savoir si pour l’obtention même de la vérité, qui reste la fin dernière de l’intelligence, une certaine discipline sociale ne doit pas être acceptée, une certaine alliance entre les esprits n’a pas besoin d’être conclue. Peut-être, en se compliquant chaque jour, l'objet de la connaissance va-t-il finir par échapper à la prise individuelle ? Peut-être va-t-il falloir renoncer à le voir saisi