NOTES 299
en repenser dans une autre langue la ligne, le timbre, Tessence. La traduction de Poe par Baudelaire est avec celle de Plutarque par Amyot la seule qui ait un style français et dont une page, sans nom d'auteur, soit aussi reconnaissable à l'oreille qu'une page de Rabelais ou de Flaubert.
Peut-être trouvera-t-on à ce mot de favorisé de la fortune, appliqué à un être aussi foncièrement malheureux que le fût Poe, une touche d'ironie déplacé. C'est que je parle seulement de l'existence qu'il contracta après sa mort, — tel qu'en lui- même enfin l'éternité le changea. Mais dans l'ordre de cette existence même sa destinée fut étrange et un bonheur extra- ordinaire compensé par des accidents extraordinaires. Si ses traducteurs l'incorporèrent de manière unique à une autre littérature, en revanche il fut et il est resté tragiquement la proie de ses biographes.
Cela commença dès le lendemain de sa mort. Un ami qu'il avait choisi comme exécuteur testamentaire, Griswold, l'en récompensa en écrivant une biographie de Poe pleine de malveillance et de haine, par laquelle a été créée la légende enace qui en fait un vagabond, un ivrogne et un fou. Ses biographes américains se sont élevés contre les accusations de Grisw^old, nous ont donné un Poe doué de beaucoup de vertus domestiques et même membre d'une société de tempérance. La biographie de Poe a été ainsi conçue en Amérique sous les deux aspects alternés du réquisitoire et du plaidoyer. Dans ce pays des convictions absolues et rapides elle ne pouvait pas encore avoir bénéficié sensiblement de la critique, de la mesure et du détachement qui sont de mise en ces matières d'histoire et de psychologie.
En France, " il y a une thèse... " Ce mot, qu'on entend souvent dans le monde de l'érudition, se prononce parfois avec une certaine mélancolie, comme s'il signifiait que la thèse tient juste assez de place pour empêcher de naître un livre qui pourrait être bon. La thèse est d'un professeur d'anglais.
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