[go: up one dir, main page]

Aller au contenu

Page:NRF 14.djvu/264

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

258 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qu'elle fut remontée. Chaque soir je faisais ce petit geste, cette répétition qui ressemblait à la manie d*un nerveux. Ce que je redoutais,c'était Tarrêt de ma montre. J'imaginais la cessation de la marche des aiguilles, les deux longues du cadran des heures, la petite de celui des secondes dont la hâte saccadée est si visible. J'imaginais cela parfois durant ma marche ; je me voyais n'ayant plus par mon oignon le contact avec le temps et obligé de vivre sur sa nuance. Enfin ce fut Mogounga ! Lorsque j'y arrivai Montert allait et venait devant son logis. Il fumait une longue pipe de terre : la marche du fumeur la faisait osciller à sa bouche. La tête basse, le dos voûté, les mains aux fesses, il ne me vit pas survenir. Je lui criai de loin : " Eh ! Eh !.. Montert !.. Montert !.. "

Il tressaillit et tourna vers moi un visage en terre glaise. Je sus durant cette première journée que dans huit jours commencerait sa quatrième année de séjour dans la région de la Kadeï.

Il me le dit après le déjeuner. Nous nous attardions à fumer nos pipes sous le chimbeck. Moi je l'écoutais en regardant la forêt. Il parlait, et la forêt était devant moi, noire, toute luisante d'eau : des troncs, des troncs énormes qui me paraissaient en caoutchouc.

Brusquement, parut devant nous le chef du village. Il fut pour moi soudain comme une apparition. Cet homme était un colosse, nu, le sexe seulement voilé d'une pièce de toile crasseuse. La peau de son corps était si rugueuse pour nos yeux, si crevassée de longues rides, que ce noir était tout semblable à des troncs de sa forêt à épaisse écorce. Montert lui dit quelques mots que je ne compris pas, et l'homme sourit et s'assit à même le sol. Il restait là, les

�� �