1^6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
plus à dessiner des caractères ; à de très rares exceptions près, il n'est plus conçu que comme un recueil d* "im- pressions " sur l'âme, de " paysages introspectifs ".
Au premier abord, Proust peut sembler ^n'avoir rien fait d'autre que porter ce genre à sa perfection. N'est-il pas un prodigieux " évocateur " de sensations et de senti- ments ? A quoi s'attache-t-il, sinon à faire revivre sous les yeux du lecteur tout son passé intérieur ?
— Sans doute ; mais il y a la manière. Il ne compte pour cela sur aucune baguette magique. Il ne va pas faire " surgir " devant nous " du fond des eaux " son âme comme une île entière et tout équipée. J la recherche du Temps perdu : ce titre dit tout ; il implique une certaine peine, de l'application, de la méthode, de l'entreprise ; il signifie une certaine distance entre l'auteur et son objet, une distance qu'il aura sans cesse à franchir par la mé- moire, par la réflexion, par l'intelligence ; il sous-entend un besoin de connaissance ; il annonce une conquête discursive de la réalité poursuivie.
Et en effet Proust laisse tomber dès l'abord tous les moyens littéraires qui participent le moins du monde de l'en- chantement. Il se prive, avec quelque sévérité même, de la musique; on voit qu'il ne veut pas suggérer, mais retrouver.
Il s'attaque aux sentiments, aux caractères, par le détail ; il n'abdique pas toute prétention à en montrer le contour et la silhouette ; mais il sait que cela ne doit, ne peut venir qu'à la longue. Grignoter d'abord. C'est un rongeur : il fera beaucoup de débris, avant que l'on puisse comprendre que ça n'en est pas, que ce sont les matériaux d'une vaste et magnifique construction.
�� �