Le Centaure blessé
Je t’ai vu devant moi surgir. Tu étais beau.
Le soleil au déclin, de la croupe aux sabots,
T’empourprait tout entier de sa splendeur farouche.
Ardent de ta vitesse et cabré de ta course,
Tu dressais, sur le ciel derrière toi sanglant,
Homme et cheval, le double effort de ton élan
Où le poitrail de bête et la poitrine humaine
Respiraient d’un seul souffle et d’une seule haleine.
Alors, dans ce ciel rouge où tu m’es apparu,
Comme un fatal présage, ô Centaure, j’ai cru
Voir monter tout à coup, en un reflet lointain,
La tragique rougeur du fabuleux festin
Où, sous les yeux d’Hercule et de sa blanche Épouse,
Votre troupe avinée et brusquement jalouse
Mêla, dans un combat fameux et hennissant,
À la pourpre du vin la pourpre de son sang !
J’ai tremblé. Ton galop remplissait mon oreille,
Sonore de l’écho de sa rumeur vermeille,
Et j’ai tendu mon arc en invoquant les Dieux !
Et l’air porta vers toi mon trait victorieux…
Tu tombas. Maintenant je maudis ma prière,
Ma flèche trop certaine et ma peur meurtrière,
Cher monstre ! je te pleure et je revois encore
Ta main d’homme presser à ton flanc, ô Centaure,
Ta blessure et j’entends, au fond du soir, j’entends
Le cri humain jailli de ton hennissement !