Le Baiser de l’étrier
MAGASIN THÉÂTRAL
PIÈCES NOUVELLES
JOUÉES SUR TOUS LES THÉÂTRES DE PARIS
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
LE BAISER DE L’ÉTRIER
SCÈNES DE LA VIE DE GARÇON,
PAR
MM. ÉDOUARD BRISEBARRE ET EUGÈNE NYON.
PARIS
LIBRAIRIE THÉÂTRALE, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 12.
Ancienne Maison MARCHANT
1855
|
PERSONNAGES, | ACTEURS. | |
---|---|---|
TRISTAN |
MM. | René Luguet. |
GASPARD |
Schey. | |
GEORGETTE |
Mlle | Cico. |
Scène PREMIERE
GASPARD, ouvrant la porte. Par ici, monsieur, par ici !… au numéro quatre… c’est un des meilleurs cabinets de la maison.
TRISTAN, entrant. Va donc pour le numéro quatre !… Sur quoi cette fenêtre ouvre-t-elle ?
GASPARD. Sur le jardin de feu le Palais-Royal.
TRISTAN. Très-bien !… l’aspect de la verdure, ça égaie pendant qu’on dîne… Deux couverts, un verre d’absinthe et un journal !
GASPARD. De quelle couleur ?
TRISTAN. L’absinthe ?… verte… le journal, comme tu voudras… et des cigares !
GASPARD, se disposant à sortir. Oui, monsieur Tristan.
TRISTAN, étonné, le regardant. Plaît-il ?… Eh ! mais, c’est Gaspard !… mon vrai Gaspard !… l’ancien garçon du Café-Turc !
GASPARD. Moi-même, monsieur Tristan, qui voudrais avoir autant de pièces de cent sous que je vous ai versé de petits verres !… En absorbiez-vous des liquides avec vos camarades, ces sous-officiers de spahis !
TRISTAN. Je le crois pardieu bien !… après cinq ans du soleil d’Afrique.
Dans ces déserts, où la victoire
Guide nos pas sur les pas des Bédouins,
Pour nous s’unit à la soif de la gloire
Une autre soif que l’on satisfait moins.
Comme l’œillet, la tulipe ou la rose,
Dont la chaleur flétrit l’éclat vermeil,
Le spahis, brûlé du soleil,
Pour vivre a besoin qu’on l’arrose.
GASPARD. Et je l’arrosais joliment !… Ah çà, est-ce que vous avez quitté le service ?
TRISTAN. Oui, Gaspard, oui ; mais tu as donc, toi aussi, déserté la limonade ?
GASPARD. Pour rétablissement de M. Véry… c’est plus restaurant.
TRISTAN. Ah ! dis donc, il va venir ici une dame.
GASPARD. Parbleu !
TRISTAN, lui donnant amicalement une tape sur la tête. Farceur de Gaspard ! il a deviné.
GASPARD.[2] Avec vous, ça n’est pas difficile… En faites-vous, monsieur Tristan, en faites-vous !
TRISTAN. Oh ! je me rouille bien, va !… Tiens, prête-moi donc des ciseaux, je me suis brisé un ongle.
GASPARD, tirant des ciseaux de sa poche. Voilà, monsieur Tristan !
TRISTAN, les prenant. Merci !… Cette dame demandera le cabinet de M. Tristan.
GASPARD. Et je l’introduirai, soyez tranquille ! Encore une liaison qui commence.
TRISTAN, arrangeant son ongle. Tu crois ?
GASPARD. Oh ! nous connaissons ça !… Décidément, il n’y a que les restaurants pour les liaisons. (En sortant.) Sommelier, mon absinthe !
VOIX, en dehors. Boûm !
Scène II
Une liaison qui commence, dit ce brave Gaspard ?… Le fait est qu’on peut s’y tromper, et que voilà un dénouement qui ressemble beaucoup à une exposition !… Pauvre Georgette ! est-ce ma faute si je ne l’aime plus… d’amour ?… car, en ami… toujours !… Mais, en conscience, après deux ans, elle ne peut se plaindre !… On a tort de rester avec une femme si longtemps que ça !… On s’acoquine, on se fait des habitudes. Je sais bien que ça a un certain charme… mais ça ne mène à rien… au contraire ! On a tous les inconvénients du mariage sans en avoir les agréments. Par exemple, j’avais beau dire, elle se faisait appeler madame Tristan dans le quartier… C’est ennuyeux, ça gêne, ça fait du tort près des autres femmes !… Et puis un beau jour, elle aurait fini par me dire : « Mon ami, il faudrait régulariser notre position, elle est bien fausse !… J’ai été obligée de refuser à dîner chez la dame du troisième, qui m’a dit : « Venez donc avec votre mari !… » Et à force de s’entendre corner ça aux oreilles, moitié par lassitude, moitié par insouciance, un beau matin, on va importuner le maire de son arrondissement, et voilà un jeune homme confisqué, un avenir perdu !… Pas de ça !… Quand on fait tant que de se marier, il faut au moins que ça serve à quelque chose. Cette bonne Georgette ! j’aurais peut-être dû l’avertir… mais, ma foi, je n’ai pas osé… Et puis je déteste les cris, les jérémiades, les colères… Mon Dieu, à quoi bon s’arracher les yeux ? ça ne profite qu’aux oculistes.
Allons, ma belle.
Point de querelle !
Séparons-nous… tout finit ici-bas.
Si d’une chaîne
Le poids me gêne,
Je la dénoue et ne la brise pas.
Qu’un gai repas aujourd’hui nous rassemble,
Couvrons de roses un épineux sentier,
Et que du moins, en le passant ensemble,
Le dernier jour ait l’éclat du premier.
Qui me dégage,
En m’éloignant, je lui fais tout savoir.
Cruelle lettre,
Tu vas peut-être
Coûter des pleurs que je ne veux pas voir.
J’éprouve, hélas ! un trouble involontaire
En me disant : C’est la dernière fois !
Doux souvenirs, silence ! il faut vous taire !
La raison parle, et j’écoute sa voix !
Allons, ma belle.
Point de querelle.
Séparons-nous ; tout finit ici-bas !
Si d’une chaîne
Le poids me gêne,
Je la dénoue et ne la brise pas !
Scène III
GASPARD, entrant.[3] L’absinthe demandée… voilà !
TRISTAN. Ah ! c’est bien heureux ! (Il s’assied devant le verre d’absinthe.)
GASPARD. Et le journal ?
TRISTAN, prenant le journal. Lisant. « Rien en rade… » Hein ?… (Il regarde le titre.) Bon ! c’est le Courrier du Havre.
GASPARD. Bah !… j’ai cru que c’était le Corsaire.
TRISTAN, buvant. Tu y as mis le temps… pour te tromper.
GASPARD. Pardon, monsieur Tristan, c’est que j’étais occupé, là, dans le cabinet à côté, à dresser le couvert pour un vieux brave, qui vient toutes les semaines ici, avec une petite dame, faire de gentils dîners… soignés !
TRISTAN. Grand bien leur fasse ! Dis-moi, Gaspard, cette pendule va-t-elle bien ?
GASPARD.[4] Elle va comme on veut, monsieur. (Faisant avec la main le geste de tourner les aiguilles) Crrrrac !…
TRISTAN, avec dépit. Et moi qui veux partir à huit heures.
GASPARD.[5] Eh ! bien, soyez tranquille ! à huit heures précises, je viendrai vous apporter l’addition. Qu’est-ce que vous voulez manger ?
TRISTAN. Est-que je le sais ? Tout ce que tu voudras… pourvu que ce soit bon.
GASPARD. Laissez-moi faire !… je vais vous commander un joli petit dîner.
TRISTAN. Ah ! tiens ! (Il jette une pièce d’argent sur la table.) À toi, Gaspard !
GASPARD. Cinq francs !… merci, monsieur Tristan !
TRISTAN, lui remettant la lettre qu’il tient toujours dans la main. Et cette lettre… dès que je serai parti, à huit heures, tu la remettras, sous le premier prétexte, à la personne qui va dîner avec moi.
GASPARD, surpris. Ah ! bah !
TRISTAN. Oui. (À lui-même.) C’est la dernière chose qu’elle recevra de moi… Triste présent !… Il me semble que j’aurais dû… oui… un souvenir… une bagatelle… c’est mal de n’y avoir pas songé… ça lui aurait fait tant de plaisir !… et à moi aussi !… Eh ! que diable ! il y a des bijoutiers dans la galerie… c’est cela, un bracelet, une broche, un camée, n’importe quoi, mais quelque chose de joli, puisque c’est le dernier cadeau ! (À Gaspard qui dépose le couvert.) Gaspard ?
GASPARD. Monsieur ?
TRISTAN. Si cette dame arrive, dis-lui que j’arrive à l’instant, et prie-la d’attendre… je suis ici dans dix minutes. (À part, en sortant.) Pourvu que je trouve quelque chose qui lui plaise !
Scène IV
Ce n’est plus ça ! (bis.)
Lui qui prenait par escalade
Toutes les places qu’il força,
Aujourd’hui battant la chamade,
Il fait la guerr’ par ambassade !
Ce n’est plus ça ! (4 fois.)
Mais moi, je vous lui dirais… et plutôt deux fois qu’une… Mademoiselle… (Il cherche à continuer, puis, ne trouvant plus le mot.) Oh ! je me connais ! oh ! le service des cabinets particuliers, ça produit des effets… terribles !… ça vous métamorphose un homme !… Oui… au Café-Turc, ça n’était pas la même chose… l’influence de l’orgeat, de la limonade…
Ce n’est plus ça ! (bis.)
Comme un carafon d’eau glacée,
Froid et calme dans ce temps-là,
Je n’avais pas une pensée,
Et je marchais… tête baissée…
VOIX D’UN GARÇON, en dehors. Gaspard !
GASPARD, ouvrant la porte et sortant à moitié. Voilà ! voilà !
LA VOIX, en dehors. Une dame pour le numéro quatre !…
Scène V
GEORGETTE, paraissant sur le seuil. Est-ce ici le cabinet de monsieur Tristan ?
GASPARD. C’est ici même… Si madame veut entrer.
GEORGETTE, après être entrée et avoir regardé autour d’elle. Eh bien ! il n’y est pas ?
GASPARD. Il est descendu un instant, madame… ne vous impatientez pas… il va remonter… (À part.) Voilà une jolie femme et qui m’irait énormément, à moi !
GEORGETTE, se débarrassant de son chapeau, etc. Ah ! il va revenir ? (À part.) Oui, c’est cela… profitons du moment ! (Haut.) Garçon ?
GASPARD. Madame !
GEORGETTE, lui donnant une pièce d’argent. Tenez !
GASPARD, surpris. Cinq francs !
GEORGETTE, lui remettant un billet. Et cette lettre.
GASPARD, stupéfait. Elle aussi ?
GEORGETTE. Elle est pour la personne avec laquelle je vais dîner.
GASPARD. Monsieur Tristan ?
GEORGETTE. Justement ; mais vous ne la lui remettrez que lorsque nous nous serons séparés.
GASPARD, à part. Encore comme l’autre.
GEORGETTE. Vous comprenez ?
GASPARD. Parfaitement ! (À part.) Je n’y comprends rien du tout !… Des gens qui vont dîner ensemble et qui s’écrivent !… c’est probablement une manie… ou bien un vœu… (Haut.) Madame désire-t-elle un verre d’absinthe ?
GEORGETTE, souriant. Non, merci. (On sonne fortement en dehors.)
GASPARD. Voilà ! voilà ! (À part, en sortant, les yeux fixés sur Georgette.) Dieu ! la charmante femme !… Je suis sûr que j’aurai des songes terribles !
Scène VI
Je vais jurer d’être fidèle,
D’être fidèle,
Et de chercher mon seul abri
Près d’un mari !
La chose, hélas ! se pourra-t-elle ?
Jacque est fait d’un si laid modèle !
Un seul moment (bis.)
Peut emporter mes vœux et mon serment !
Et mon serment !
C’est égal !… ce n’est pas pour s’amuser que l’on se marie !… Et il ne faut tromper personne !… Aussi je ne reverrai plus Tristan… jamais ! parce que il n’y a pas à dire…
J’aurai juré d’être inflexible !
D’être inflexible !
De repousser les doux propos,
Vieux ou nouveaux !
Avec lui serait-ce possible ?
Un vieil ami c’est si terrible !
Un seul moment (bis)
Peut emporter les vœux et le serment !
Et le serment !
Peut emporter les vœux et le serment !
Ce pauvre garçon ! ça me fera de la peine ! oh ! je penserai souvent à lui… mais qui sait ? Il m’oubliera peut-être bien vite !
TRISTAN, en dehors. Gaspard !… allons donc, Gaspard !
GASPARD, en dehors. Voilà ! monsieur Tristan !… voilà !
GEORGETTE. C’est lui ! (Se regardant dans la glace.) Une larme !… ah ! qu’il ne la voie pas ! (Elle s’essuie vivement les yeux.)
Scène VII
GASPARD, ouvrant la porte à Tristan. Cette dame est arrivée.
TRISTAN, entrant. Georgette !
GEORGETTE, gaiement à Tristan. Mais venez donc, monsieur… voilà deux heures que je vous attends !
TRISTAN. Il ne faut pas m’en vouloir, mon bon chat… c’est toi qui en es la cause !
GEORGETTE. Moi ?… et comment cela ?
TRISTAN. Tu le sauras, curieuse ! (Il la regarde.) Dieu ! que tu as une petite robe qui te va bien !
GEORGETTE.[7] Tu trouves ? J’avais envie pourtant d’en mettre une autre, de me parer pour faire honneur à ton invitation.
TRISTAN. Oh ! que tu aurais eu tort !
Des dames aux riches costumes
Le plaisir ne s’approche pas ;
Car il voit l’ennui sur les plumes
Et dans les plis des falbalas.
Mais près de nos simples grisettes
Il s’aventure sans danger :
Le plaisir aime les toilettes
Qu’il ne craint pas de déranger.
GEORGETTE. Vraiment ! (Le regardant.) Oh ! comme tu es ébouriffé !… viens donc ici que je t’arrange tes cheveux ! (Elle le fait asseoir sur le divan.)
Bien souvent, de frisure
Quand elle avait besoin,
De cette chevelure
Mon amour a pris soin.
TRISTAN.
L’homme, hélas ! est si bête !
À l’amour, en effet,
Nous livrons notre tête…
Dieu sait ce qu’il y met !
TRISTAN. Aïe !… tu m’arraches les cheveux !
GEORGETTE, le baisant au front. Veux-tu te taire, menteur !
GASPARD, à part. Nom d’un petit bonhomme ! Ils ne pensent plus à moi !… Manifestons ma présence, ou ils vont me mettre dans une position affreuse !… (Haut, et en jetant à terre une assiette qui se brise.) Je crois qu’il est temps de servir.
TRISTAN. Tiens ! Gaspard qui est là ! je l’avais oublié ! Sers, mon vieux, sers… puis tu nous laisseras !
GASPARD, à part, en sortant. Est-il pressé !… oh ! scélérat de monsieur Tristan !
TRISTAN, à part de loin, regardant Georgette. Pauvre fille !… si elle savait que…
GEORGETTE, de même. Pauvre garçon !… s’il se doutait…
GASPARD, rentrant avec des plats, ainsi qu’un autre garçon, et disposant tout sur la table. Voilà le potage ! (Il le met, tout en regardant Georgette, à côté de la table et manque de le jeter par terre.)
TRISTAN, gaiement. À table !… j’ai une faim.
GEORGETTE[8], de même. Et moi donc ?
GASPARD. Monsieur n’a pas d’autres ordres à me donner ?
TRISTAN, avec intention. Non, ma foi ! Tu te souviens bien de tout ce que je t’ai dit ?
GASPARD, de même. Oh ! oui, monsieur.
GEORGETTE, de même. Nous verrons si vous n’oubliez rien.
GASPARD, de même. Soyez tranquille ! (À part.) Dieu de Dieu ! je donnerais dix sous pour être à la place de monsieur Tristan. (Il s’assied sur le divan, Tristan le voit, se lève, le prend par le bras, et le jette à la porte.)
Scène VIII
TRISTAN. Ah ! nous voilà seuls ! chez nous !… c’est bon d’être ensemble !… veux-tu dîner ?
GEORGETTE. Comme tu voudras. (Ils s’attablent tous deux.)
TRISTAN. Quelle bonne soirée nous allons passer là… tous les deux !
GEORGETTE, distraite. Oui… charmante.
TRISTAN. C’est-à-dire… jusque huit heures.
GEORGETTE. Ah !
TRISTAN. Eh ! oui… on dirait que le diable s’en mêle, ma parole d’honneur !… Il me tombe une affaire sur les bras.
GEORGETTE. Tiens !… c’est comme à moi.
TRISTAN, cherchant ses mots. Mon… mon ancien capitaine.
GEORGETTE, de même. Ma… ma maîtresse d’apprentissage.
TRISTAN. Qui a la goutte.
GEORGETTE. Qui a des rhumatismes.
TRISTAN. Pauvre femme !
GEORGETTE. Pauvre capitaine !
TRISTAN, servant Georgette. Tiens… du poulet ?
GEORGETTE. Très-peu… et toi, tu n’en prends pas ?
TRISTAN. Ah ! c’est vrai ; mais tu ne manges pas, Georgette ?
GEORGETTE. Ni toi non plus.
TRISTAN. Je te regarde… c’est drôle !… je ne t’ai jamais trouvée si jolie.
GEORGETTE. C’est singulier !… Tu ne m’as jamais paru si aimable !
TRISTAN. Ce que c’est que de s’aimer depuis longtemps !… Car sais-tu bien qu’il a déjà longtemps, Georgette ?
GEORGETTE. Mais oui… deux ans !
TRISTAN. Je croyais que c’était trois.
GEORGETTE, réfléchissant. Tu as peut-être raison… mais non !
TRISTAN. C’est juste… il n’y a que ça ! (Souriant.) Dis donc, me vois-tu d’ici… passage Véro-Dodat, faisant le pied de grue devant ton magasin de lingerie, entrant tous les matins pour acheter… un faux col ?… j’en ai quatre-vingt-dix-neuf !… pour toute ma vie !… j’aurais acheté le centième… et toute la boutique, si tu n’avais pas enfin accepté… une entrevue… et un petit dîner.
GEORGETTE. Parce que tu m’avais fait accroire que nous serions trois.
TRISTAN. Certainement !… pour vaincre ta résistance, que je ne m’expliquais pas… et que j’ai très-bien comprise depuis. Vrai, je ne me serais jamais attendu à ça de la part d’un magasin de lingerie !… Sapristi ! ça m’a bien étonné !
GEORGETTE, baissant les yeux. Tristan !
TRISTAN
Air de Mazaniello.
Partout la confusion règne
Aujourd’hui dans les magasins ;
Moi, je me fiais à l’enseigne
Que je lisais tous les matins ;
Je comptais là-dessus, ma chère :
Qui diable se serait douté
Qu’une boutique de lingère
Tenait aussi… la nouveauté ?
GEORGETTE, d’un ton de reproche. Veux-tu te taire !
TRISTAN, changeant de ton. Veux-tu du homard ?
GEORGETTE. Non, merci !
TRISTAN. Depuis ce moment-là, que de beaux jours, tous deux, chez moi, dans mon petit logement de garçon !
GEORGETTE. Vivant… comme mari et femme !
TRISTAN. Mangeant ensemble jusqu’à ma dernière pièce de cent sous.
GEORGETTE, avec intérêt. Comment !… Est-ce que tu serais gêné, Tristan ?
TRISTAN. Allons donc !… ce n’est pas ça, d’ailleurs, qui nous empêcherait de nous aimer.
GEORGETTE, vivement. Oh ! non… car si tu étais pauvre, vois-tu.
TRISTAN. Eh bien !
GEORGETTE. Rien… un enfantillage… donne-moi à boire !
TRISTAN, lui versant à boire. À nos amours passées !
GEORGETTE, levant son verre. À ton bonheur futur !
TRISTAN.
À l’esprit ! à la grâce !
GEORGETTE, debout, élevant son verre.
À mon premier vainqueur !
TRISTAN, posant son verre.
Veux-tu que je t’embrasse ?
GEORGETTE, de même.
Oh ! oui, de tout mon cœur !
Toujours aimable et bonne !
GEORGETTE, l’embrassant.
Ce baiser, je le donne
Sans me faire prier.
TRISTAN, à part.
Hélas ! c’est le dernier !
GEORGETTE, à part.
Me ferais-je prier,
Lorsque c’est le dernier ?
TRISTAN.
Mais ce baiser si tendre,
Pour ne te devoir rien,
Je voudrais te le rendre.
GEORGETTE.
Tristan, je le veux bien !
Maintenant chacun aura le sien.
Scène IX
LA VOIX, partant du côté droit. Sacrebleu ! garçon !… ce cabinet-là est grand comme la main… et madame a le soleil dans l’œil, mille tonnerres !
TRISTAN, écoutant.[10] Mazette !… voilà un gaillard qui n’est pas endurant ! (Se tournant vers le cabinet de droite.) Modérez-vous, jeune homme ! (À lui-même.) On est comme dans une lanterne, ici… on entend tout.
LA VOIX, en dehors. Allons, ça suffit, mille carabines !… puisque vous n’en avez pas d’autre… mais servez-nous vite, cornes du diable !
Scène X
TRISTAN. Ah çà ! mais c’est une machine à jurer que cet Olibrius-là !… (À Georgette.) Un peu de gelée au rhum !
GEORGETTE. Merci… je n’ai plus faim.
TRISTAN. Ni moi !… c’est étrange… nous n’avons rien mangé du tout !… Ce juron ambulant t’aura effrayée ?… Parbleu, la femme qui est avec lui doit avoir de l’agrément.
GEORGETTE. Eh ! mon Dieu ! quand on s’aime, on se passe bien des choses.
TRISTAN. Oui… et ils doivent s’aimer… ou ils en sont bien près… puisqu’ils viennent ici, ensemble, en cabinet particulier.
GEORGETTE, soupirant. Comme nous… il y a deux ans.
TRISTAN. C’est vrai ! (Il regarde autour de lui.) Ah ! Georgette !… Je ne me trompe pas…
GEORGETTE. Quoi donc ?
TRISTAN, regardant toujours. Oui, c’est cela… je me souviens… ce cabinet.
GEORGETTE. Eh bien ?
TRISTAN. C’est celui de notre premier rendez-vous !
GEORGETTE. De notre premier dîner ?
TRISTAN. De notre premier amour !… et là, là… regarde dans le coin de cette glace…
GEORGETTE. Nos deux noms que nous avions écrits…
TRISTAN. Après… dîner.
GEORGETTE. Avec ton diamant.
TRISTAN. Les deux noms y sont encore… (Regardant sa main.) Mais le diamant n’y est plus… (Regardant Georgette.) Comme tant d’autres choses.
GEORGETTE, avec émotion. Charmants souvenirs !
TRISTAN, de même. Ça rajeunit.
GEORGETTE.
Temps heureux des amours,
Moments, hélas ! si courts,
Vous fuyez !… c’est dommage !
TRISTAN.
Mais un long souvenir
Fait sur notre avenir
Refléter leur image.
GEORGETTE.
Rappelle-toi
Comme, alors, près de moi,
Ta voix était pressante !
TRISTAN.
Mon cœur battait
Et le tien s’agitait
Sous ma main frémissante !
GEORGETTE.
Chaque jour nous jurions
Que nous nous aimerions
Sans cesse et sans partage.
TRISTAN.
Puis, le jour s’écoulait,
Et le soir, il semblait
Qu’on s’aimât davantage !
GEORGETTE.
Vois-tu d’ici,
Que de papier noirci !
Que de lettres charmantes !
TRISTAN.
Le cœur parlait,
Et la plume volait
Sur ces pages brûlantes !
ENSEMBLE.
Temps heureux des amours,
Moments, hélas ! si courts,
Vous fuyez !… c’est dommage !
Mais un long souvenir
Fait sur notre avenir,
Refléter votre image !
GEORGETTE. Ces lettres que je t’écrivais, j’aurais bien aimé à les revoir !… Tu les portais toujours sur toi, Tristan ?
TRISTAN. Oui, j’avais tant de plaisir à les relire !… Mais, toi aussi, Georgette, tu portais les miennes ?
GEORGETTE. Sans doute !… Prête-les-moi donc !
TRISTAN. Montre-les-moi.
GEORGETTE. Je les ai oubliées dans ma robe neuve…
TRISTAN. Je les ai laissées dans mon vieil habit.
GEORGETTE, à part. Il ne me les rendrait peut-être pas !
TRISTAN, à part. Elle n’aurait qu’à les garder !
GEORGETTE, à part. Elles me consoleront… quand je serai vieille.
TRISTAN, à part. Quand je serai vieux, elles me ranimeront !
GEORGETTE, regardant la main de Tristan. Tiens ! tu as remis à ton doigt cette petite bague que je t’avais donnée ?
TRISTAN. Et toi… tu as repris ces modestes boucles d’oreilles en corail… mon premier cadeau ?
GEORGETTE. Oui, une idée… une fantaisie !
TRISTAN. C’est comme moi, tout à l’heure, avant ton arrivée, je me disais : Cette pauvre Georgette !… je ne lui ai jamais donné grand’-chose !… Et j’ai couru dans la galerie, chez un bijoutier, t’acheter ce bracelet. (Il le lui donne.)
GEORGETTE, le prenant vivement. Voyons !… Dieu ! qu’il est joli !
TRISTAN. Tu le porteras toujours, n’est-ce pas, en souvenir de moi ?
GEORGETTE, émue. Oh ! oui !… toujours !… Ah ! mon Dieu !… et moi qui n’ai rien à te donner !… pas le plus petit bijou !… rien !… Ah ! (Elle prend sur la table les ciseaux que Tristan y a jetés précédemment, se place devant la glace, coupe vivement une boucle de ses cheveux, puis la lui donnant.) Tiens !… tu la garderas toujours, n’est-ce pas ?
TRISTAN.[11] Toujours ! (À part.) Suis-je bête ! j’ai le cœur gros !
GEORGETTE, à part. Mes yeux se mouillent malgré moi !
TRISTAN, à part. Allons !… que diable !… il faut être homme ! (Haut.) Je crois qu’il n’est pas loin de huit heures… Tu sais que j’ai une affaire ?…
GEORGETTE. Et moi aussi.
TRISTAN. Il faut nous séparer, Georgette.
GEORGETTE. C’est vrai !… Adieu, Tristan !
TRISTAN. Non pas adieu… au revoir !
GEORGETTE. Il me semble que tu ne m’as pas embrassée ?
TRISTAN. Oh ! plutôt deux fois qu’une ! (Il l’embrasse.) Adieu, Georgette !
GEORGETTE. Adieu, Tristan !
TRISTAN, ému. Sommes-nous drôles, hein ?… Nous nous disons cela, comme si nous partions pour la Cochinchine !
GEORGETTE.[12] C’est juste… et pourtant…
TRISTAN, à part. Sapristi ! coupons court aux adieux… ou je sens que je vais pleurer comme un veau. (Il tire la sonnette et appelle.) Gaspard ! Gaspard !
GEORGETTE. Ne te presse pas, je vais partir la première.
TRISTAN. Non… c’est moi… arrange-toi à ton aise !
GEORGETTE, à part. Et ma lettre ?
TRISTAN, à part. Et mon billet ?
Scène XI
GASPARD. L’addition demandée.
TRISTAN, regardant. Vingt-sept francs soixante quinze !… En voici trente !
GASPARD. Merci, monsieur.
ENSEMBLE.
TRISTAN, à part.
Elle va, dans ce lieu,
Recevoir mon message ;
Il le faut… du courage !
GEORGETTE, à part.
De mon cruel aveu
Il souffrira, je gage !…
Il le faut, du courage !
GASPARD, à part.
Quelle taille, corbleu !
Et quel charmant visage !
Son souvenir, je gage,
M’fera mourir à petit feu !
Scène XII
GEORGETTE, à elle-même.[14] Il est parti… et ma lettre ?
GASPARD, à part. Elle est seule… voilà le moment de lui glisser le poulet de monsieur Tristan… (Haut.) Madame…
GEORGETTE. Mon Dieu !… je sais… ce n’est pas votre faute.
GASPARD, lui présentant une lettre. Tenez, voici la lettre.
GEORGETTE. Mais non… courez sur ses pas, et remettez-la-lui.
GASPARD. C’est ce que je vais faire… mais ça ne vous empêche pas de prendre celle-ci.
GEORGETTE. Comment ?
GASPARD. Elle est pour vous. (Il lui donne une lettre et lui en montre une autre.) Je vais lui remettre la vôtre. (Il sort en courant.) Eh ! monsieur Tristan ! monsieur Tristan ! (En sortant, sans quitter des yeux Georgette, il se cogne violemment à la porte, et disparaît en criant.) Voilà, voilà.
Scène XIII
Une lettre ?… pour moi ?… Ce garçon se trompe… (Elle l’ouvre.) Ah ! mon Dieu ! Elle est de Tristan !… (Lisant haut.) « Ma bonne petite Georgette… tout a une fin dans ce monde ; il faut nous séparer. Je te laisse mon petit mobilier… — Dans le tiroir de mon bureau, tu trouveras cent francs… c’est la moitié de ce qui me reste… partageons !… Ne sois pas fâchée, et pense à moi… quand tu auras le temps. Ton ami pour toujours… Tristan. » — Et j’ai sacrifié deux de mes plus belles années à cet être-là !… J’ai toujours hésité à le tromper !… Et voilà ma récompense !… Mais c’est abominable ! c’est infâme ! c’est ignoble !… Oh ! les hommes !… je voudrais qu’ils fussent tous… ce qu’ils sont assez généralement, du reste !… Ah ! je veux le revoir une dernière fois… lui dire tout ce que j’ai sur le cœur !
Scène XIV
TRISTAN, rentrant vivement, une lettre à la main. Par exemple ! voilà qui est dégoûtant !
GEORGETTE, à part.[15] C’est lui !
TRISTAN, à part. C’est elle !
GEORGETTE. Arrivez, monsieur… que je vous fasse compliment de votre conduite.
TRISTAN. Je vous conseille de parler !… Et la vôtre, donc ?
GEORGETTE, lui montrant sa lettre. Vous vouliez me quitter ?
TRISTAN, de même. Eh bien !… et vous ?
GEORGETTE. Me direz-vous vos raisons ?
TRISTAN. Me direz-vous les vôtres ?
GEORGETTE. Oh ! je n’en manque pas… et elles sont excellentes !
TRISTAN. Qui sait ?… les miennes sont peut-être meilleures !
GEORGETTE. Au bout du compte, il fallait en finir un jour ou l’autre.
TRISTAN. C’est ce que je me suis toujours dit.
GEORGETTE. Ça se trouve à merveille.
TRISTAN. Il ne faut pas se fâcher pour ça !
GEORGETTE. Est-ce que vous croyez que je vous en veux ? Vous vous tromperiez beaucoup.
TRISTAN. Et moi, donc ?… Vous n’avez pas, j’espère, la prétention de me croire irrité ? (Ils déchirent petit à petit les lettres qu’ils tiennent à la main.)
GEORGETTE. On vit chacun de son côté… voilà tout !
TRISTAN. Parbleu ! ça n’empêche pas de rester bons amis.
GEORGETTE. Certainement.
De cette route, où nous marchions ensemble,
L’amitié doit être le but.
TRISTAN.
Mais il serait malheureux, ce me semble,
Que l’un marchât et que l’autre courût ?
GEORGETTE.
Oui, sans doute, il faut qu’on la suive,
Du même pas, en se donnant la main.
TRISTAN.
Et trop souvent, quand l’un des deux arrive,
L’autre est encore au milieu du chemin. (bis.)
GEORGETTE. Il paraît que nous sommes arrivés en même temps, nous ?
TRISTAN. C’est encore un effet de la sympathie.
GEORGETTE. Probablement !… (Changeant de ton.) Ah ! dites donc, est-ce que vous ne m’avez pas redemandé vos lettres tout à l’heure ? (Cherchant dans sa robe.) Je viens de m’apercevoir que je les ai sur moi… les voilà !
TRISTAN, les prenant, puis fouillant dans sa poche. Ah ! ma foi, c’est comme les tiennes… je croyais les avoir oubliées, et elles étaient dans ma poche.
GEORGETTE, les prenant. Grand merci !
TRISTAN. Il n’y a pas de quoi.
GEORGETTE. Elles y sont toutes ?
TRISTAN. J’espère qu’il n’en manque pas ?
GEORGETTE. Il y en a peut-être quelques unes dont j’ai fait des papillotes.
TRISTAN. À moins qu’il n’y en ait plusieurs avec lesquelles j’aie allumé mon cigare.
GEORGETTE, comptant les lettres. Une, deux…
TRISTAN, de même. Trois, quatre…
Scène XV
(On entend une sonnette agitée violemment.)
VOIX, en dehors. Garçon ! garçon !… Mais, sacrebleu, garçon !… et ces filets aux truffes !
TRISTAN. Est-il permis de demander un filet de bœuf avec un pareil filet de voix ? En voilà des cabinets que je retiendrai peu !… avec leurs diables de cloisons volantes. Allons donc, Gaspard, emplis la bouche à cet homme-là… et qu’il se taise.
VOIX DU GÉNÉRAL, en dehors. Sacré mille millions !…
GASPARD, en dehors. Voilà… voilà…
Scène XVI
TRISTAN, écoutant. Ah ! plus rien !… il prend sans doute sa nourriture. (Se mettant à cheval sur une chaise, puis déployant une des lettres et lisant.) « Mon bichon bien-aimé, voilà une demi-heure à peine que tu m’as quitté, et j’éprouve le besoin de t’écrire pour te répéter que je t’aime, et que mon amour ne finira qu’avec ma vie… Tristan ! »
GEORGETTE, à demi-couchée sur le divan. Il y a cela ?
TRISTAN. Eh ! vraiment, oui… Est-on ridicule, hein, dans les premiers moments ?
GEORGETTE. Oh ! ça, oui ! (Regardant à son tour une lettre qu’elle a dépliée.) Comment c’est moi qui ai écrit ces bêtises-là ? (Lisant.) « Mon gros loulou chéri… »
TRISTAN. C’est moi qui étais le loulou !
GEORGETTE, continuant. « Et cœtera… et cœtera… celle qui t’aimera jusqu’à son dernier soupir… »
TRISTAN. Ah ! oui, je me souviens… soupir avec un e au bout !
GEORGETTE. Eh bien ! qu’importe un e de plus ou de moins ?
TRISTAN. Tiens, voici une autre lettre, qui date d’une époque plus tranquille. (Haut.) « Ma vieille… »
GEORGETTE. Comme c’était galant !
TRISTAN, lisant. « J’ai rencontré un ancien maréchal des logis du régiment ; il m’a invité à manger une gibelotte avec des lapins qui reviennent d’Afrique… je n’ai pas pu refuser… et je crains que ça ne se prolonge un peu avant dans la soirée… je vais faire tous mes efforts pour rentrer de bonne heure… ne t’inquiète pas et sois sûre que ça m’ennuie bien… » Et en post-scriptum… « Ne m’attends pas avant sept heures du matin. »
GEORGETTE, dépliant une autre lettre. « Mon cher Tristan, dîne sans moi… je vais au spectacle avec la dame du numéro vingt-huit, qui m’a tourmentée pour l’accompagner. »
TRISTAN. Je n’ai jamais cru à ce spectacle-là, moi.
GEORGETTE. Je n’ai jamais cru au dîner du maréchal des logis.
TRISTAN, riant. Eh bien !… franchement, là, je peux te l’avouer maintenant… c’était une idée de garçon… (vivement) qui n’a pas eu de suites… (à part) longues.
GEORGETTE, riant. Et moi… c’était le banquier de la rue Chauchat qui voulait m’offrir un petit coupé.
TRISTAN. Un coupé ?
GEORGETTE. Avec deux chevaux !
TRISTAN. Diable !
GEORGETTE.
J’ai tout refusé ; mais ma foi !
Alors, bien loin de me défendre,
Si j’avais prévu, croyez-moi,
Ce qu’aujourd’hui je viens d’apprendre…
TRISTAN.
Le coupé du vieux scélérat
Et ses chevaux t’auraient séduite ?
GEORGETTE.
Oui, car lorsqu’on fuit un ingrat,
On ne saurait aller trop vite !
Lorsqu’on s’éloigne d’un ingrat,
On ne saurait aller trop vite !
TRISTAN. Et moi qui ai eu la niaiserie de te rester fidèle… (À part.) De temps en temps… (Feuilletant toujours les lettres, et haut.) Qu’est-ce que je vois ?
GEORGETTE, même jeu. Eh ! eh ! je ne me trompe pas.
TRISTAN. Cette bâtarde n’est pas la mienne.
GEORGETTE. Cette anglaise m’est étrangère.
TRISTAN. Une lettre d’un autre homme !
GEORGETTE. Un billet d’une autre femme !
TRISTAN, jetant un coup d’œil du côté de Georgette, à part. Diable ! la lettre de ma future !
GEORGETTE, même jeu. Dieu ! la lettre de mon cousin !
TRISTAN. Voyons donc la prose de ce monsieur.
GEORGETTE. Qu’est-ce que peut dire cette dame ? (Lisant.) « Mon cher Tristan… » (Le regardant.) Ah ! ah !
TRISTAN, brusquement. Eh bien !… après ?
GEORGETTE, lisant. « Vous êtes fatigué, m’avez-vous dit, d’une liaison illégitime… »
TRISTAN. On se fatigue de tout.
GEORGETTE. Qui vous empêchait de la légitimer ?
TRISTAN, à lui-même. Merci !
GEORGETTE, continuant. « Avec une femme sans éducation… » (Soupirant.) C’est vrai… je n’en ai pas !
TRISTAN. Je n’ai pas dit ça positivement.
GEORGETTE. Oh ! si, monsieur !… Et vous avez eu raison… (Lisant.) « Sans famille… »
TRISTAN. Georgette !
GEORGETTE. C’est encore vrai ! mais c’est peut-être mal, Tristan, d’avoir dit tout cela de moi ?
TRISTAN. Mon Dieu !… c’est possible !… (Allant à Georgette qui s’est assise sur le divan et la consolant.) Voyons, que tu es bête… écoute donc.
GEORGETTE. Laissez-moi tranquille.
TRISTAN. Admettons que j’ai eu tort… mais qui me dit que je suis le seul ?… et que cette lettre… Voyons donc ! (Lisant.) « Ma chère cousine… » Ah !
GEORGETTE. Oui… un parent éloigné… ne lisez pas… je vous en prie.
TRISTAN. Pourquoi donc ! Vous avez bien lu la mienne ! Est-ce que nous allons nous gêner à présent ? (Lisant.) « Puisque tu as bien réfléchi, et que tu me dis que tu es lasse de vivre avec un brutal… » (À Georgette.) Ah !
GEORGETTE, confuse. Il y a ça ?
TRISTAN. En six lettres !… (À lui-même.) Un brutal !… Eh bien ! oui, c’est vrai… je le suis… quelquefois… j’ai mes jours… mais si vous me l’aviez dit, Georgette, j’aurais tâché de me corriger. (Lisant) « Un ivrogne… »
GEORGETTE, avec embarras. Il y a ça ?
TRISTAN. En sept lettres ! moi ! ivrogne ! Si l’on peut dire de pareilles choses !
GEORGETTE, timidement. Cependant, Tristan, rappelez-vous… quand parfois vous rentriez… et que…
TRISTAN. Tu me faisais du thé… Oui… je me souviens… j’avais aussi mes jours… les jours de gibelotte… Oh ! si j’avais su que ça te déplaisait… (Lui montrant la lettre.) Y en a-t-il encore ?
GEORGETTE. Oh ! mon Dieu ! lisez tout… allez… pendant que vous y êtes.
TRISTAN. En effet, ça me donnera une idée exacte de l’opinion que je peux avoir de moi-même. (Il lit bas.) Bien ! bien !… courage !… Le portrait est peut-être ressemblant, mais, à coup sûr, il n’est pas flatté !… Que vois-je ?… (Il lit haut.) « Le paysan réparera la faute du bourgeois… et, malgré ton passé, je te nommerai ma femme… » Toi… mariée !… Georgette ![16]
GEORGETTE. Oui, monsieur, oui !
TRISTAN, presque à lui-même. Il a du bon, ce paysan-là !
GEORGETTE. Ai-je donc eu tort d’accepter l’offre désintéressée d’un honnête garçon, puisque vous… Oh ! je ne vous blâme pas… vous pensiez à en épouser une autre… voilà mon excuse, à moi !
TRISTAN. Eh ! mon Dieu, chacun a la sienne, ici-bas !
GEORGETTE. Vous aussi, peut-être ?
TRISTAN. Pourquoi pas ?… J’étais arrivé au bout de mon rouleau… plus le sou… à peu près !… et je suis paresseux !… La vie militaire… ça déshabitue du travail… on n’est plus bon à grand’chose… il ne me restait plus qu’à reprendre du service… ou à me brûler la cervelle.
GEORGETTE. Oh !
TRISTAN. Bast ! c’est sitôt fait !… Quand un camarade, mon ami Trinquet, me dit un jour : Que tu es bête, Tristan ! Comment, tu es un ancien maréchal des logis chef aux spahis, tu es bel homme, décoré…
GEORGETTE. Ah ! vous avez la croix, Tristan ?… et vous ne me l’avez jamais dit ?
TRISTAN. Non… je ne la porte pas… parce que… un bambocheur… un ivrogne… comme vous dites… on ne sait pas ce qui pourrait arriver… et il est des choses qu’il faut respecter, Georgette. Je gardais ça pour un temps plus calme !… — « Profite donc de tes avantages, me répétait l’ami Trinquet, marie-toi ! » — Et un beau matin, il m’a conduit chez un monsieur… Bonnefoi, je crois… un particulier qui fait des mariages au plus juste prix, et qui m’a dit : Mais j’ai votre affaire ; un parti superbe, cent mille francs… élevée à Saint-Denis… On m’a présenté… le physique a produit son effet ordinaire… j’ai été accepté… Ah ! par exemple, j’ai tout dit… je n’ai rien caché… on m’a répondu… Rompez !… et de lundi en quinze, nous devons pousser une reconnaissance du côté de Saint Thomas-d’Aquin…
GEORGETTE.[17] Ah ! sitôt !… Allons… vous serez presque riche… tant mieux pour vous, Tristan !… Puissiez-vous être heureux !… c’est tout le mal que je vous souhaite.
TRISTAN. Et toi aussi, Georgette… puisses-tu être heureuse ! c’est le vœu que je forme du fond de mon cœur ! Je ne sais ce que j’ai, vois-tu !… je sens mon œil qui s’humecte… je l’avoue, moi, ça me fait un effet… Ah ! c’est pénible de se quitter… quand on a vécu ensemble pendant deux ans !
GEORGETTE. Deux ans et deux mois.
TRISTAN. Tu as raison.
GEORGETTE. Et j’ai cru longtemps que… (Vivement.) Allons, partons !… ça ne nous avancera à rien de rester là !
TRISTAN. Au contraire.
GEORGETTE. Passez-moi mon chapeau !… voulez-vous ?
TRISTAN, lui donnant son chapeau.[18] Volontiers… et ton mantelet ?
GEORGETTE. Donnez !
TRISTAN, ajustant le mantelet sur les épaules de Georgette. Dire que je l’arrange pour la dernière fois ! (Il lui donne un baiser sur le cou.)
GEORGETTE. Tristan !
TRISTAN. C’est le baiser de l’étrier.
GEORGETTE. Voyons, venez-vous ?
TRISTAN. Quand tu voudras.
GEORGETTE, s’asseyant sur une chaise. Eh bien ! partons !
TRISTAN, idem. Oui… il faut en finir !
GEORGETTE. Qu’est-ce que vous faites donc ?
TRISTAN. Je t’attends.
GEORGETTE. C’est moi qui vous attends.
TRISTAN, se levant. Alors… sonnons !
GEORGETTE. Mais vous avez payé.
TRISTAN. Ah ! c’est vrai !… Eh bien ! je vais envoyer chercher un fiacre… pour toi, Georgette !… je peux bien t’offrir un fiacre… pour la dernière fois…
Ce n’est pas du riche banquier
L’élégante et leste voiture,
Et tu vas de l’humble coursier
Gourmander la modeste allure !…
De sa lenteur ne te plains pas !…
Il me semble, quand je te quitte,
Que ce fiacre, allât-il au pas,
Va t’emporter encor trop vite.
Scène XVII
GASPARD. Monsieur a sonné ?
TRISTAN. Oui.
GASPARD. Que désire monsieur ?
TRISTAN, préoccupé et agité. Qu’est-ce que je désire donc ?
VOIX, en dehors. Garçon ! garçon !
GASPARD, sans bouger. Voilà ! voilà !
VOIX, en dehors. Il ne viendra donc jamais, cet animal-là ? (On entend du bruit.)
TRISTAN. Bon ! le voisin casse la vaisselle à présent !
GASPARD. Ne faites pas attention… c’est son habitude au dessert !… Il ne s’amuserait pas sans ça… c’est une pratique… on lui met toujours ça sur sa carte, à cette vieille graine d’épinards !
TRISTAN, avec humeur.[20] C’est bon… fais avancer une voiture pour madame.
GEORGETTE. Et sur-le-champ, car il doit être tard.
TRISTAN. Mais non… je t’assure. (il passe sa main derrière le dos et retarde la pendule.) Et la pendule avance.
VOIX, en dehors, plus furieuse. Garçon !… Gredin de garçon !
GASPARD, sortant et se tournant vers le cabinet de droite. Veux-tu te taire ! (En sortant.) Voilà, voilà…
Scène XVIII
GEORGETTE. Mon Dieu !… je devrais être déjà partie !
TRISTAN. Tu as bien le temps… Il n’est que sept heures et demie… (à part) et le pouce ! (Haut.) Il t’attend donc, ton généreux cousin !
GEORGETTE. Oui… à huit heures… Et s’il ne me voyait pas…
TRISTAN. Tout serait peut-être manqué. (À lui-même.) Je ne veux pas avoir ça à me reprocher… (Haut.) Viens, Georgette, viens vite, car je te trompais… Il est tard !
VOIX, en dehors. Garçon ! scélérat de garçon !… je lui couperai les oreilles ! (Nouveau bruit de porcelaines brisées, dont un fragment est censé entamer la cloison du cabinet à droite.)
TRISTAN. Bon ! voilà la cloison crevée à présent !
GEORGETTE. Mais on n’est pas en sûreté ! ici !
TRISTAN, s’approchant de la crevasse. Qui diable peut être cet énergumène-là ? (Il regarde par le trou et pousse un cri.) Ah ! qu’est-ce que je vois ? (Il recule stupéfait.)
GEORGETTE, s’approchant du trou. Quoi donc ?
TRISTAN.[22] Ma future, l’élève de Saint-Denis !…
GEORGETTE. Est-il possible ? (Elle regarde.) En tête-à-tête avec ces moustaches grises ?
TRISTAN. Qui appartiennent à son parrain !… Est-ce que par hasard ce vieux de la vieille aurait voulu ?…
GEORGETTE, regardant
Il l’embrasse… ell’ le lui rend !
La dame n’est pas bégueule.
TRISTAN.
C’est un baiser de filleule ?
GEORGETTE.
Oh ! non… c’est bien différent !…
TRISTAN, tombant accablé sur une chaise.
Sacrebleu ! que vais-je apprendre ?
GEORGETTE, regardant toujours.
Pas moyen de s’y méprendre !…
Elle sourit d’un air tendre,
Assise sur son genou ;
Puis, de l’illustre ganache
Elle frise la moustache…
TRISTAN, se levant en fureur.
Georgette !… bouchez le trou !
GEORGETTE, regardant. Chut ! chut ! Taisez-vous donc !… ils causent.
TRISTAN. Si c’était de la retraite de Moscou, ça m’étonnerait bien.
GEORGETTE. Oh ! écoutez ! l’homme à moustaches lui dit : Tu as voulu te marier… Je t’ai donné une dot… je t’ai trouvé un mari… veux-tu que je fasse encore quelque chose pour lui ?
TRISTAN, criant. Assez ! assez ! il a trop fait ! (Avec indignation.) Scélérat de M. Bonnefoi !…
GEORGETTE, riant malgré elle. Pauvre Tristan !
TRISTAN. Tu ris, toi ?
GEORGETTE, de même. Non, je te plains.
TRISTAN. Et c’est pour une gaillarde de ce calibre-là que j’ai rompu avec toi !
GEORGETTE. Dame ! je n’ai pas d’éducation, moi… et celle-ci en a !
TRISTAN, vivement. Elle en a trop.
GEORGETTE. Je n’ai pas de famille, moi, et elle en a !
TRISTAN. Qu’elle la garde !… je ne veux pas faire partie !… On lui en donnera des maréchaux de logis chefs de la jeune, pour réparer les brèches faites par les généraux de la vieille !… Dans quel guêpier je me jetais là !… C’est que je ne l’aimais pas, cette femme !
GEORGETTE. Oh !
TRISTAN. Non… parole d’honneur !… Tu le sais bien… est ce que je peux aimer une autre femme que toi ? Est-ce qu’il y en a, sous le ciel, une seule qu’on puisse te comparer ?
GEORGETTE. Tristan !
TRISTAN. Tiens, Georgette !… Ne me quitte pas, je t’en prie !
GEORGETTE. Allons donc, monsieur, vous êtes fou !
TRISTAN. Je le deviendrai si tu m’abandonnes !… Voyons… dis-moi… Que faut-il faire pour te prouver que je t’aime plus que jamais !… Veux-tu que je t’épouse ?… Allons réveiller le premier maire venu… je m’en contenterai !… Tu seras ma femme… Oui… je ferai cette folie-là !… Non… pardonne… je ne sais plus ce que je dis… Mais ne me quitte pas… ou je me brûle la cervelle avec la première chose qui me tombe sous la main !
GEORGETTE. Mais c’est impossible… tu sais bien que je n’ai pas de fortune.
TRISTAN. Est-ce que je n’ai pas des bras ?
GEORGETTE. Toi, travailler ?… N’en as-tu pas perdu l’habitude ?
TRISTAN. Je la retrouverai, Georgette !… Je travaillerai comme un nègre… Non, je me trompe, les nègres ne travaillent plus… C’est égal… je travaillerai… et je n’en serai que plus heureux… et toi aussi, tu verras !… C’est arrangé, n’est-ce pas ? Viens vite commander ta robe de noces !
GEORGETTE, irrésolue. Tristan !
TRISTAN, gaiement.[23] En avant ! (Il veut l’emmener.)
GEORGETTE, reculant. Non, non… je ne puis… et mon cousin qui m’attend ?
TRISTAN. Il ne t’attend plus ! Il est neuf heures !… J’ai retardé la pendule.
GEORGETTE. Qu’avez-vous fait ?… N’importe, je le retrouverai !
Scène XIX
GASPARD, entr’ouvrant la porte. La voiture demandée est en bas.
TRISTAN, allant vivement pousser la porte sur le nez de Gaspard. Qu’elle attende, je la prends à l’heure ! (Gaspard disparaît en criant douloureusement :) Voilà, voilà.
Scène XX
GEORGETTE. Adieu !
TRISTAN, la retenant et avec passion. Ainsi tout est fini ? tu me quittes, Georgette ? prends bien garde à ce que tu vas faire !… Quand tu seras partie… il ne sera plus temps… réfléchis, Georgette !
GEORGETTE.[24] C’est tout réfléchi, monsieur.
TRISTAN. Eh bien !… c’est bon… n’en parlons plus ! (Il se jette sur le divan. À part.) C’est égal ! ça fait bien mal !
GEORGETTE, à part, le regardant. Une larme ! (Elle hésite.) Ah ! du courage !… adieu, Tristan !
TRISTAN, sans la regarder. Adieu, Georgette.
GEORGETTE. Elle ouvre la porte du fond, va pour sortir, s’arrête, puis revient doucement déposer un baiser sur le front de Tristan. Et, cette fois, adieu pour toujours !
TRISTAN, se levant vivement. Georgette !
GEORGETTE. Laisse-moi ! (Elle se précipite vers la porte qui est restée ouverte. — À ce moment, on voit passer en dehors, devant la porte du cabinet, et disparaître aussitôt, deux hommes dont l’un est vêtu en paysan ; un garçon les précède et disparaît aussi.)
LE GARÇON, criant en dehors. Par ici, messieurs, par ici ! (Georgette, les apercevant, se rejette en arrière et ferme vivement la porte.)
GEORGETTE, avec un cri. Ciel ! mon cousin !
TRISTAN. Lui !… ici ?
GEORGETTE. M’aurait-il suivie ? Je lui avais promis de ne plus le revoir !
TRISTAN. Je vais lui proposer de lui casser les reins… à ce qu’il voudra… à son choix.
VOIX DU COUSIN, en dehors. Garçon, garçon !
GEORGETTE. C’est sa voix.
TRISTAN. Dans le cabinet à côté.
GEORGETTE. Pour nous épier sans doute ?
TRISTAN, prenant un couteau.[25] Je vais lui rendre la pareille.
GEORGETTE. Que fais-tu ?
TRISTAN, faisant un trou dans la cloison. J’éventre la cloison en attendant mieux ! (Il écoute et regarde.) Bigre ! quel dîner ils commandent !
GEORGETTE. Lassé de m’attendre il sera sorti… et ce n’est que le hasard heureusement qui l’a conduit ici !… Pourvu qu’il ne m’ait pas aperçue ?
TRISTAN. Non !… Ah ! ils renvoient le garçon… les voilà seuls !… Eh ! mais… ils parlent de toi !
GEORGETTE. Que disent-ils ?
TRISTAN. Ils t’appellent…
GEORGETTE. Comment ?
TRISTAN, avec fureur. Mauvais paysan !
GEORGETTE. Comment m’appelle-t-il ?
TRISTAN, froidement. Je n’ai pas entendu. (Il écoute.) Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que j’entends là ?… Non, je ne me trompe pas !
GEORGETTE. Quoi donc !
TRISTAN, écoutant. De l’argent !… une fortune, à toi !… Dans un journal… le journal du Havre !
GEORGETTE. Est-il possible ?
TRISTAN, écoutant. Oui !… tu as hérité, et c’est pour cela qu’il veut t’épouser.
GEORGETTE. Oh ! c’est indigne !
TRISTAN, prenant le journal du Havre… « Les huîtres sont en grande abondance au Havre… » Ce n’est pas ça ! (Il tourne le feuillet.) Ah ! m’y voici !… (Il lit.) « Mademoiselle Georgette Ganivet, native de Sainte-Adresse, est priée de faire connaître le lieu de sa résidence à maître Plumeau, notaire au Havre, exécuteur testamentaire de Georges Balandin, son parrain, capitaine au cabotage, décédé depuis treize mois, et qui l’a instituée sa légataire universelle. »
GEORGETTE. Pauvre parrain !… que je n’avais pas vu depuis l’âge de trois mois.
TRISTAN. Sapristi !… j’aime mieux ton parrain que celui d’à côté !…
GEORGETTE. Je suis donc riche !
TRISTAN. Tu es riche.
GEORGETTE, lui tendant la main.[26] Non… nous sommes riches.
Scène XXI
GASPARD, entrant. Dites donc, monsieur Tristan… on demande le journal du Havre dans le cabinet à côté.
TRISTAN. Prends !
GEORGETTE, s’en emparant. Attends… un crayon ?
GASPARD, lui en donnant un. Voilà !
GEORGETTE, écrivant. Tiens… là… sur la marge !… bien en évidence… « Cher cousin, vous êtes trop généreux, et je suis trop pauvre pour devenir votre femme ! Signé, Georgette ! »
TRISTAN. Bravo !
GEORGETTE, à Gaspard, montrant la gauche. Donnez maintenant ce journal aux deux personnes qui sont dans ce cabinet.
GASPARD. Oui, madame.
TRISTAN, l’arrêtant. Attends encore un peu ! (À Georgette.) Passe-moi le crayon. (Il écrit sur une feuille qu’il arrache à la carte.) « Chère future, vous avez trop de famille pour un homme seul. (Parlé.) Daté. (Il écrit.) Du cabinet voisin. — Tristan. »
GEORGETTE. Très-bien !
TRISTAN, à Gaspard. Ce billet… dans le cabinet de l’homme qui brise les assiettes…
GASPARD. Oui, monsieur… Ah ! il est au poste.
TRISTAN. Ah ! Gaspard, une minute. (À Georgette.) Dis donc, Georgette… est-ce que tu ne mangerais pas volontiers quelque chose, toi ?
GEORGETTE. Oh ! oui, je meurs de faim.
TRISTAN. Et moi aussi. (À Gaspard.) Gaspard, sers-nous à dîner.
GASPARD, étonné. Encore une fois ?
TRISTAN. Au galop… et servons chaud !
GASPARD, à lui-même. Ils vont se donner une indigestion, c’est sûr ! (Haut, après avoir fait quelques pas.) À propos… et la voiture ?
TRISTAN. Qu’elle attende !… elle nous conduira… au Havre.
GEORGETTE. Ah çà ! Tristan, j’espère qu’à présent tu vas porter ta croix ?
TRISTAN, riant et l’embrassant. Puisque je me marie.
GEORGETTE[27].
Ces dîners fins, que l’amour assaisonne,
Sont cachés même à nos meilleurs amis.
TRISTAN.
Vous étiez là, pourtant, et je soupçonne
Qu’à ce repas, où vous fûtes admis,
Gens scrupuleux, moralistes féroces,
En nous blâmant, ont rougi d’assister…
GEORGETTE.
Mais celui-ci, c’est un dîner de noces,
Et nous pouvons, messieurs, vous inviter.
ENSEMBLE.
Mais celui-ci, c’est un dîner de noces,
et nous venons, messieurs, vous inviter.
- ↑ Gaspard, Tristan.
- ↑ Tristan, Gaspard.
- ↑ Tristan, Gaspard.
- ↑ Gaspard, Tristan.
- ↑ Tristan, Gaspard.
- ↑ Gaspard, Georgette.
- ↑ Tristan, Georgette, Gaspard.
- ↑ Gaspard, Georgette, Tristan.
- ↑ Georgette, Tristan.
- ↑ Tristan, Georgette.
- ↑ Georgette, Tristan.
- ↑ Tristan, Georgette.
- ↑ Georgette, Gaspard, Tristan.
- ↑ Georgette, Gaspard.
- ↑ Georgette, Tristan.
- ↑ Tristan, Georgette.
- ↑ Georgette, Tristan.
- ↑ Tristan, Georgette.
- ↑ Tristan, Gaspard, Georgette.
- ↑ Tristan, Georgette, Gaspard.
- ↑ Tristan, Georgette.
- ↑ Georgette, Tristan.
- ↑ Tristan, Georgette.
- ↑ Tristan, Georgette.
- ↑ Georgette, Tristan.
- ↑ Gaspard, Georgette, Tristan.
- ↑ Georgette, Gaspard, Tristan.