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Après avoir suivi pendant plus de six siècles les souverains chancelans de Constantinople et de la Germanie, je vais, remontant à l’époque du règne d’Héraclius, me transporter sur la frontière orientale de la monarchie grecque. Tandis que l’état s’épuisait par la guerre de Perse, et que l’Église était déchirée par la secte de Nestorius et celle des monophysites, Mahomet, le glaive d’une main et l’Al-coran de l’autre, élevait son trône sur les ruines du christianisme et sur celles de Rome. Le génie du prophète arabe, les mœurs de son peuple et l’esprit de sa religion, sont au nombre des causes qui ont influé sur la décadence et la chute de l’Empire d’Orient, et la révolution qu’il a produite, qu’on peut compter au nombre des plus mémorables parmi celles qui ont imprimé aux diverses nations du globe un caractère nouveau et permanent, nous offrira un spectacle digne d’attirer nos regards[1].
Description de l’Arabie.
La péninsule d’Arabie présente[2], entre la Perse, la Syrie, l’Égypte et l’Éthiopie, une espèce de vaste triangle à faces irrégulières. De la pointe septentrionale de Belès[3], sur l’Euphrate, elle forme une ligne de quinze cents milles, terminée par le détroit de Babelmandel et le pays de l’encens. La ligne du milieu, allant de l’orient à l’occident, de Bassora à Suez, et du golfe de Perse à la mer Rouge, peut offrir environ la moitié de cette longueur[4] ; les côtés du triangle s’élargissent insensiblement, et sa base, qui est au midi, présente à l’océan indien une côte d’environ mille milles. La surface entière de la péninsule est quatre fois plus considérable que celle de l’Allemagne ou de la France ; mais la portion la plus étendue de ce terrain a été justement flétrie par les épithètes de Pétrée et de Sablonneuse. [Sol et climat.]La nature a du moins orné les déserts de la Tartarie de grands arbres, d’herbages abondans ; et le voyageur solitaire y trouve, dans l’aspect de la vie végétale, une espèce de consolation et de société ; mais les affreux déserts de l’Arabie n’offrent qu’une immense plaine de sable, coupée seulement par des montagnes sèches, anguleuses, et la surface du désert, dépouillée d’ombrage ou de couvert, n’offre qu’un terrain brûlé par les rayons directs de l’ardent soleil du tropique. Les vents, au lieu de rafraîchir l’atmosphère, ne répandent qu’une vapeur nuisible et même mortelle, surtout lorsqu’ils viennent du sud-ouest ; les éminences de sable qu’ils forment et qu’ils dispersent tour à tour, peuvent se comparer aux vagues de l’océan : on a vu des caravanes et des armées entières englouties par le tourbillon. On y désire, on s’y dispute l’eau, partout ailleurs si commune, et on y éprouve une telle disette de bois qu’il faut un peu d’art pour conserver et propager le feu. L’Arabie n’a point de ces rivières navigables qui fertilisent le sol et portent ses productions dans les contrées voisines. La terre altérée absorbe les torrens qui tombent des collines : le tamarin, l’acacia, le petit nombre de plantes robustes qui établissent leurs racines dans les crevasses des rochers, n’ont d’autre nourriture que la rosée de la nuit : lorsqu’il pleut, on s’efforce d’arrêter quelques gouttes d’eau dans des citernes ou des aqueducs ; les puits et les sources sont les trésors secrets de ces déserts, et après plusieurs marches étouffantes, le
Sa défaite par Jean Zimiscès. A. D. 970-973.
Nicéphore n’était plus en état de repousser le mal que lui-même avait attiré, lorsque son trône et sa femme passèrent à Jean Zimiscès, qui, sous une petite taille, cachait le courage et les talens d’un héros[5]. La première victoire de ses lieutenans priva les Russes de leurs alliés étrangers, dont vingt mille furent ou tués ou entraînés à la révolte, ou enfin prirent le parti de la désertion. La Thrace était délivrée ; mais soixante-dix mille Barbares demeuraient en armes, et les légions qu’on avait rappelées des nouvelles conquêtes de la Syrie se disposèrent à marcher au printemps sous les drapeaux d’un prince guerrier qui se déclarait l’ami et le vengeur des Bulgares. Les défilés du mont Hémus n’avaient pas été gardés ; les troupes de l’empire les occupèrent sur-le-champ : l’avant-garde romaine était composée des immortels, nom orgueilleux imité des Persans ; l’empereur conduisait un corps de dix mille cinq cents fantassins ; le reste de ses forces, le bagage et les machines de guerre venaient ensuite lentement et avec précaution. Pour premier exploit, Zimiscès réduisit en deux jours Marcianopolis ou Peristhlaba[6]. Les murs en furent escaladés au son des trompettes ; huit mille cinq cents Russes furent passés au fil de l’épée, et les fils du roi bulgare, délivrés d’une prison ignominieuse, furent revêtus du vain titre de rois. Après ces pertes multipliées, Swatoslas se retira dans le poste bien fortifié de Dristra, sur les bords du Danube, et fut poursuivi par un ennemi qui employait tour à tour la célérité et la lenteur. Les galères de Byzance remontèrent le fleuve ; les troupes achevèrent une ligne de circonvallation, et le prince russe, derrière les fortifications de son camp et celles de la ville, se vit environné, assailli et réduit à la disette. Les Russes firent un grand nombre d’actions de valeur ; ils essayèrent plusieurs sorties désespérées, et Swatoslas ne céda à sa fortune qu’après un siége de soixante-cinq jours. La capitulation qu’il obtint annonce la prudence du vainqueur, qui estimait la valeur et craignait le désespoir d’un guerrier d’un caractère indomptable. Le grand-duc de Russie s’engagea, par des imprécations solennelles, d’abandonner tous ses projets contre l’empire : on lui permit de retourner dans ses états ; on rétablit la liberté du commerce et de la navigation ; on accorda une mesure de blé à chacun de ses soldats, et le nombre de vingt-deux mille mesures qui furent distribuées dans le camp fait connaître ce qu’il avait perdu de ses troupes et ce qui lui en restait. Les Russes, après un pénible voyage, regagnèrent l’embouchure du Borysthène ; mais ils n’avaient plus de vivres, la saison était défavorable ; ils passèrent l’hiver sur la glace, et avant de pouvoir continuer sa marche, Swatoslas fut surpris et accablé par les tribus des environs, avec lesquelles les Grecs avaient soin d’entretenir d’utiles liaisons[7]. Le retour de Zimiscès fut bien différent ; il fut reçu dans sa capitale comme Camille et Marius, les libérateurs de l’ancienne Rome ; mais le dévot empereur attribua sa victoire à la mère de Dieu, et l’image de la Vierge portant dans ses bras son divin enfant, fut placée sur un char de triomphe chargé des dépouilles de l’ennemi, et décoré des ornemens royaux de la monarchie des Bulgares. L’empereur fit son entrée à cheval ; le diadème ornait sa tête ; il tenait à la main une couronne de laurier, et Constantinople fut étonnée d’avoir à célébrer les vertus guerrières de son souverain[8].
Conversion de la Russie. A. D. 864.
Photius, patriarche de Constantinople, en qui l’ambition a égalé le désir de savoir, félicite l’Église grecque, et se félicite lui-même de la conversion des Russes[9]. Il avait déterminé ces hommes farouches et sanguinaires à reconnaître Jésus-Christ pour leur Dieu, les missionnaires chrétiens pour leurs docteurs, et les Romains pour leurs amis et leurs frères. Son triomphe fut de courte durée : il put se faire qu’entraînés par les divers événemens qui suivirent leurs expéditions, quelques chefs russes consentissent à recevoir les eaux du baptême ; un évêque grec a pu, sous le nom de métropolitain, administrer dans l’église de Kiow les sacremens à quelque congrégation composée d’esclaves et des naturels du pays ; mais la semence de l’Évangile tombait sur un sol ingrat ; le nombre des apostats fut considérable, celui des conversions le fut très-peu, et le baptême d’Olga doit être regardé comme l’époque de l’établissement du christianisme en Russie[10]. Une femme, peut-être des dernières classes de la société, qui, comme Olga, avait su venger la mort et saisir le sceptre d’Igor son mari, devait être douée de ces vertus actives qui inspirent la crainte à des barbares, et les déterminent à la soumission. Dans un moment où sa nation jouissait de la paix au dedans et au dehors, elle se rendit de Kiow à Constantinople ; [Baptême d’Olga. A. D. 955.]l’empereur Constantin Porphyrogenète la reçut dans son palais, et il a décrit minutieusement le cérémonial de cette réception : on eut soin, autant que le permettait le respect dû à la pourpre, de disposer les détails de l’étiquette, les titres, les salutations, les banquets et les présens, de manière à satisfaire la vanité de la princesse étrangère[11]. Elle prit sur les fonts de baptême le nom révéré de l’impératrice Hélène. Il paraît que sa conversion fut précédée ou suivie de celle de son oncle, de deux interprètes, de seize dames, de dix-huit femmes d’un rang moins élevé, de vingt-deux domestiques ou ministres, et de quarante-deux négocians qui formaient son cortége. De retour à Kiow et à Novogorod, elle demeura attachée à sa nouvelle religion ; mais ses efforts pour propager l’Évangile n’eurent point de succès ; et, soit opiniâtreté, soit indifférence, sa famille et son peuple restèrent attachés aux dieux de leurs ancêtres. Swatoslas, son fils, craignit le mépris et le ridicule de ses compagnons, et Wolodimir, son petit-fils, se livra avec tout le zèle de la jeunesse au soin de multiplier et de décorer les monumens de l’ancien culte de la Russie. C’était encore par des sacrifices humains que les peuples du Nord cherchaient à fléchir leurs farouches divinités ; et dans le choix de la victime, on préférait un citoyen à un étranger, un chrétien à un idolâtre : et le père qui arrachait son fils au couteau des prêtres périssait avec lui victime de la rage d’une multitude fanatique. Toutefois les leçons et l’exemple de la pieuse Olga avaient fait une impression secrète, mais profonde sur l’esprit du prince et celui du peuple ; les missionnaires grecs continuaient à prêcher, à se disputer et à baptiser des convertis ; et les ambassadeurs, les négocians russes comparaient leur idolâtrie grossière avec le culte plus élégant de Constantinople. Ils avaient admiré l’église de Sainte-Sophie, les tableaux animés où se voyait représentée la vie des saints et des martyrs, les richesses de l’autel, la multitude des prêtres et leurs magnifiques vêtemens, la pompe et le bon ordre des cérémonies : édifiés de ces harmonieux cantiques auxquels succédait un silence religieux, ils se laissaient persuader sans peine qu’un chœur d’anges descendait chaque jour du ciel pour se joindre à la dévotion des chrétiens[12] ; [De Wolodimir. A. D. 988.]mais ce qui détermina ou hâta la conversion de Wolodimir, ce fut son désir de s’allier à une femme romaine. Le pontife chrétien le baptisa et le maria en même temps dans la ville de Cherson : il rendit cette ville à l’empereur Basile, frère de son épouse ; mais elle avait des portes d’airain qu’on transporta, dit-on, à Novogorod, et qu’on plaça devant une église comme un monument de sa victoire et de sa foi[13]. À son ordre souverain, Péroun, le dieu du tonnerre, qu’il avait adoré si long-temps, se vit renversé et traîné dans les rues ; son image informe fut chargée de coups de massue par douze robustes barbares qui le jetèrent ensuite avec
- ↑ Comme dans ce chapitre et dans le chapitre suivant je déploierai beaucoup d’érudition arabe, je dois déclarer ici ma parfaite ignorance des langues orientales et ma reconnaissance pour les savans interprètes qui m’ont communiqué leur savoir sur ce sujet en latin, en français et en anglais. J’indiquerai selon l’occasion les recueils, les versions et les histoires que j’ai consultés.
- ↑ On peut diviser en trois classes les géographes de l’Arabie : 1o. les Grecs et les Latins, dont on peut suivre les lumières progressives dans Agatharcides (De mari Rubro in Hudson, geographi minores, t. I), dans Diodore de Sicile (t. I, liv. II, p. 159-167, l. III, p. 211-216, éd. Wessel.), dans Strabon (l. XVI, p. 1112-1114), d’après Ératosthènes (p. 1122-1132, d’après Artemidore), dans Denys (Periegesis, 927-969), dans Pline (Hist. nat., V, 12 ; VI, 32), dans Ptolémée (Descript. et Tabulæ urbium dans Hudson, t. III). 2o. Les écrivains arabes qui ont traité ce sujet avec le zèle du patriotisme ou de la dévotion. Les extraits qu’a donnés Pococke (Specimen Hist. Arabum, p. 125-128) de la géographie du Sherif al Edrissi, ajoutent au mécontentement qu’a inspiré la version ou l’abrégé (p. 24, 27, 44, 56, 108, etc.) publié par les maronites, sous le titre absurde de Geographia nubiensis (Paris, 1619) ; mais les traducteurs latins et français, Greaves (dans Hudson, t. III) et Galland (Voyage de la Palestine, par La Roque, p. 265-346), nous ont fait connaître l’Arabie d’Abulféda, description la plus détaillée et la plus exacte que nous ayons de cette péninsule, à laquelle on peut ajouter cependant la Bibliothéque orientale de d’Herbelot, p. 120, et alibi passim. 3o. Les voyageurs européens, parmi lesquels Shaw (p. 438-455) et Niebuhr (Description, 1773 ; Voyages, tom. I, 1776), méritent une distinction honorable : Busching (Géographie par Berenger, t. VIII, p. 416-510) a fait une compilation judicieuse, et le lecteur doit avoir devant les yeux les cartes de d’Anville (Orbis veteribus notus, et la première partie de l’Asie), et sa Géographie anc. (t. I, p. 208-231).
- ↑ Abulféda, Descriptio Arabiæ, p. 1 ; d’Anville, l’Euphrate et le Tigre, p. 19, 20. C’est en cet endroit où se trouve le paradis ou le jardin d’un satrape, que Xénophon et les Grecs passèrent l’Euphrate pour la première fois. (Retraite des dix mille, l. I, c. 10, p. 29, édit. Wells.)
- ↑ Reland a prouvé avec beaucoup d’érudition superflue, 1o. que notre mer Rouge (le golfe d’Arabie) n’est qu’une partie du mare Rubrum, l’Ερυθρα θαλασση des anciens, qui se prolongeait jusqu’à l’espace indéfini de l’océan de l’Inde ; 2o. que les mots synonymes ερυθρος, αιθιοψς, font allusion à la couleur des noirs ou des nègres. (Dissert. miscell., t. I, p. 59-117.)
- ↑ L’épithète singulière de Zimiscès vient de la langue arménienne : les Grecs traduisaient le mot de ζιμισκης par celui de μουζακιζης ou de μοιρακιζης. Comme j’ignore également le sens de ces deux expressions, il doit m’être permis de demander, comme dans la comédie, je vous prie, lequel de vous deux est l’interprète ? Mais, d’après la manière dont ils sont composés, ils paraissent signifier adolescentulus (Leo Diacon, l. IV, MS, ap. Ducange, Gloss. græc., p. 1570).
- ↑ Dans la langue esclavonne, Peristhlaba signifiait la grande ou l’illustre ; μεγαλη και ουσα και λεγομενη, dit Anne Comnène (Alexiade, l. VII, p. 194). D’après sa situation entre le mont Hémus et la partie inférieure du Danube, il paraît qu’elle occupait l’emplacement ou du moins la station de Marcianopolis. On n’est pas embarrassé sur la position de Durostolus ou Dristra, et il est aisé de la reconnaître. (Comment. Acad. Petropol., t. IX, p. 415, 416 ; d’Anville, Géogr. anc., t. I, p. 307-311.)
- ↑ Le livre De administrando imperii développe, surtout dans les sept premiers chapitres, la conduite politique des Grecs avec les Barbares, et en particulier avec les Patzinacites.
- ↑ Dans le récit de cette guerre, Léon le diacre (apud Pagi, Critica, t. IV, A. D. 968-973) est plus authentique et plus circonstancié que Cedrenus (t. II, p. 660-683) et Zonare (t. II, p. 205-214). Ces déclamateurs ont porté à trois cent huit mille et trois cent trente mille hommes le nombre des troupes russes dont les contemporains avaient donné une évaluation modérée et vraisemblable.
- ↑ Phot., epist. 2, no 35, p. 58, édit. Montacut. Ce savant éditeur n’aurait pas dû prendre, pour le cri de guerre des Bulgares, les deux mots το Ρως, qui signifient la nation russe ; et Photius, qui avait des lumières, ne devait pas accuser les idolâtres esclavons Σλληνικης και αθειου αθειου δοξης. Ils n’étaient ni Grecs ni athées.
- ↑ Les détails les plus complets que nous ayons sur la religion des Slaves et la conversion de la Russie, sont ceux que, dans l’Hist. de Russie (t. I, p. 35, 54, 59-92, 93, 113-121, 124-129, 148, 149, etc.), M. Lévesque nous a donnés d’après les anciennes Chroniques et les observations faites par les modernes.
- ↑ Voyez le Cerem. aulæ byzant., t. II, c. 15, p. 343-345 : il appelle Olga ou Elga Αρχοντισσα Ρωσιας. Les Grecs, pour désigner la souveraine des Russes, employaient le titre d’un magistrat d’Athènes avec une terminaison féminine qui aurait étonné l’oreille de Démosthène.
- ↑ Voyez un fragment anonyme publié par Banduri (Imper. or., t. II, p. 112, 113). De conversione Russorum.
- ↑ Herberstein (apud Pagi, t. IV, p. 56) dit que Wolodimir fut baptisé et marié à Cherson ou Corsun : Novogorod conserve encore de nos jours cette tradition, et les portes dont nous avons parlé dans le texte. Cependant un voyageur exact et observateur fait venir ces portes d’airain de Magdebourg (Coxe, Travels into Russia, etc., vol. I, p. 452), et il cite une inscription qui semble le prouver. Le lecteur ne doit pas confondre cette Cherson, ville de la Tauride ou de la Crimée, avec une ville du même nom, qui s’est élevée à l’embouchure du Borysthène, et qui a été dernièrement honorée par une entrevue de la czarine et de l’empereur.
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