Bigot et sa bande/52
Nos registres de l’état civil ont orthographié peut-être de cinq ou six manières différentes le nom de cet officier des troupes de la marine. M. de Saquespée orthographiait son nom « Desacquespée ». Cette famille de vieille noblesse est inscrite à l’Armorial de France et celui-ci la nomme de Sacquespée de Voixpreux. Ceci ne diffère guère de la façon de signer de l’officier qui nous intéresse.
Nous savons que Joachim de Sacquespée, sieur de Voixpreux, était le fils de messire Philippe de Sacquespée, chevalier de l’ordre militaire de Saint Louis, et capitaine de cavalerie dans le régiment de commissaire général (sic) et de défunte Marguerite Tresson. L’acte de son mariage enregistré à Longueuil ne dit pas d’où il était en France.
Dans une pièce judiciaire datée du 29 juillet 1730, le curé Lefebvre, célèbre pour ses démêlés avec Madeleine de Verchères, déclare que Joachim de Sacquespée sieur de Voixpreux, âgé de 29 ans, arrivé ici comme cadet dans les troupes, s’est marié à la gaumine, « délit pour lequel le gouverneur de Vaudreuil l’a fait mettre au cachot ». Voilà, certes, un certificat plus ou moins flatteur, mais si l’officier Sacquespée de Voixpreux commit cette faute il la racheta en faisant réhabiliter son mariage par l’Église le 9 novembre 1725.
Il faut convenir que le sieur de Sacquespée eut une jeunesse orageuse et une vie sans éclat. Vers la fin du régime français, il fut choisi comme commandant du fort Saint-Jean qui, à l’époque, était un poste d’une certaine importance puisqu’il commandait presque l’entrée de la colonie par le lac Champlain. Par quelle influence cet officier sans valeur ou tout au moins qui n’avait jusque là manifesté aucune capacité, obtint-il ce commandement ?
M. de Sacquespée commandait encore au fort de Saint-Jean en 1759. Montcalm, qui n’avait aucune confiance en cet officier, aurait voulu lui enlever son commandement. Le 9 septembre 1759, quatre jours avant la bataille des Plaines d’Abraham, au sortir d’une entrevue avec le marquis de Vaudreuil, il énumérait au chevalier de Lévis les suggestions faites au gouverneur.
« Saint-Jean, Chambly, Grosses garnisons, d’autres commandants, y mettre des volontaires de Duprat, Bernard, Beauclais, qu’on incorporerait dans ceux de Bernard et Duprat par moitié. »
Montcalm voulait remplacer M. Hertel de Rouville, commandant à Chambly, par M. de Fontbonne, et M. de Sacquespée, commandant du fort de Saint-Jean, par M. de Poulhariez. Il suggérait de laisser MM. de Rouville et de Sacquespée à leur fort respectif comme lieutenant de Roi.
Le gouverneur de Vaudreuil, Canadien de naissance et ancien officier des troupes de la marine, n’accepta pas les suggestions de Montcalm. Il estimait qu’au Canada l’officier des troupes de la marine était supérieur à l’officier régulier. Il n’avait peut-être pas tort.
À la Conquête, M. de Sacquespée resta ici. Trop vieux pour aller servir en France ou dans les colonies, il sortit de l’armée et se retira à Montréal.
Au procès du Châtelet, en 1763, M. de Sacquespée fut un des accusés, mais il fut jugé par contumace.
Trouvé coupable d’avoir accepté des présents pour certifier de faux états de rations et de vivres particuliers, il fut condamné à être banni de Paris pour trois années et à une amende de vingt livres. De plus, sa condamnation fut affichée sur un poteau en place de Grève.
M. de Sacquespée décéda à Montréal le 4 novembre 1767. Son acte de sépulture en date du 5 novembre 1767 dit : « Le cinq novembre mil sept cent soixante sept par moi vicaire soussigné, a été inhumé dans le cimetière proche l’église le corps de Joachim Sacapée (sic), écuyer, sr de Gouricourt (sic), ancien capitaine dans les troupes de Sa Majesté très Chrétienne, décédé d’hier, âgé d’environ soixante six ans. Ont été présents MM. de Vallières et Poncin, prêtres, soussignés ».
Marié deux fois, d’abord avec Louise-Catherine Trottier de la Bissonnière (décédée le 12 novembre 1731) et ensuite avec Marie-Jeanne de Lorimier (décédée le 13 mai 1765). De son premier mariage, il avait eu entr’autres enfants Marie-Marguerite qui fut religieuse à l’Hôtel-Dieu de Québec sous le nom de Mère Saint-Charles et y décéda le 3 janvier 1758, et un fils Philippe qui entra dans les troupes de la marine, et prit part à la bataille de Carillon, en juillet 1755. C’est sans doute de ce jeune officier dont Montcalm parle dans une lettre au chevalier de Lévis du 29 octobre 1756.
« M. de Sacquespée fils a pensé périr parce qu’un sac de dix livres de poudre qui était dans la forge du fort Saint-Jean pendant qu’on battait un fer rouge a pris feu ! » Et Montcalm ajoute : « Tout le monde demande comment un sac de dix livres de poudre peut se trouver dans une forge, et je réponds : parce que c’est en Canada ».