Bigot et sa bande/17
On a écrit que le premier DesChamps de Boishébert qui passa au Canada était officier dans le régiment de Carignan. M. l’abbé Faillon, dans son Histoire de la colonie française, parle bien d’un gentilhomme normand du nom de la Bouteillerie, originaire du pays de Caux, qui vint ici en 1671, avec l’intention de s’y établir, mais il ne mentionne pas qu’il appartenait au régiment de Carignan. Il est parfaitement établi aujourd’hui que M. Des Champs de la Bouteillerie, premier seigneur de la Rivière-Ouelle, n’a jamais été officier de Carignan. Ne fut-il pas attiré ici par sa tante, la Mère de Saint-Joachim, religieuse à l’Hôtel-Dieu de Québec, qui était dans le pays depuis 1642 ?
Quoi qu’il en soit, Charles Des Champs de Boishébert, né à Québec le 7 février 1727, du mariage de Henry-Louis Deschamps de Boishébert et de Louise-Geneviève de Ramezay, était le petit-fils du premier seigneur de la Rivière-Ouelle. Son père, officier dans les troupes de la marine, avait été commandant de Détroit.
Charles DesChamps de Boishébert entra dans les troupes de la marine dès l’âge de quinze ans. Enseigne en second en 1742, il devint enseigne en pied en 1744, lieutenant en 1753 et capitaine en 1756. Deux ans plus tard, en 1758, il était fait chevalier de Saint-Louis.
Nul ne connaissait mieux l’Acadie que M. de Boishébert qui y avait servi plusieurs années. Il avait aussi beaucoup d’influence sur les Sauvages de cette région qui l’aimaient et étaient prêts à faire tout ce qu’il leur demandait. Aussi, en 1755, le gouverneur le chargea de défendre le territoire qui restait encore à la France en Acadie.
M. de Boishébert, avec le peu de soldats qu’il avait sous ses ordres, fit des prodiges pour empêcher les Anglais de s’emparer du reste de l’Acadie.
Il ne revint de l’Acadie qu’au commencement de 1759, sans prendre le temps de se reposer de ses rudes campagnes, il se mit immédiatement aux ordres de M. de Vaudreuil. À la bataille de Montmorency, qui se termina à l’avantage des Français, il avait un commandement important. Il fut placé à l’arrière de l’armée avec un corps de près de cinq cents Sauvages prêts à voler au premier signal à l’endroit du champ de bataille où on aurait le plus besoin de leur aide.
M. de Boishébert combattit également sur les Plaines d’Abraham, le 13 septembre 1759, et à Sainte-Foy, le 28 avril 1760.
M. de Boishébert passa en France en 1760. En arrivant là-bas il fit la connaissance de sa cousine, Charlotte-Antoinette de Boishébert et de Raffetot qu’il épousa le 7 septembre 1760.
C’est quelques mois plus tard qu’il fut incarcéré à la Bastille. Le sieur de C. nous explique la nature des accusations portées contre lui :
« M. de Boishébert, dit-il, qui y avait été envoyé commandant (en Acadie) s’était intéressé dans les vivres, ceux qu’on leur envoyait (aux Acadiens) consistaient uniquement en morue salée ou sèche ; on prit à Québec tout ce qui s’y trouva, bonne ou mauvaise, cela fut indifférent, et ils furent obligés de s’en contenter ; cependant, on n’en paya pas moins au munitionnaire les rations complètes et quoiqu’il en mourut beaucoup, le même nombre subsista toujours vis-à-vis de la cour ; l’intendant Bigot n’ignora point du tout cette manœuvre, on prétend qu’il y donna les mains car, en 1760, il retira du garde-magasin certaines lettres et ordres qu’il lui avait envoyés ».[1]
M. de Boishébert sortit victorieux de cette terrible épreuve car le Jugement du Châtelet du 10 décembre 1763, le déchargea de l’accusation.
L’officier canadien, encore capable de servir, avait songé à passer à Cayenne, colonie française où bon nombre de familles acadiennes avaient été transportées. Le duc de Montemart, ami de la famille de sa femme, intervint auprès du président du Conseil de Marine afin de lui obtenir une charge militaire dans cette colonie lointaine. Mais M. de Boishébert avait passé par la Bastille et avait été mêlé à l’affaire du Canada. Acquitté, il n’en demeurait pas moins suspect au gouvernement du Roi, qui, à dire le vrai, était le plus coupable dans les tripotages commis au Canada. Le président du Conseil de Marine répondit par de belles paroles à la recommandation du duc de Mortemart, et ne fit rien pour M. de Boishébert.
Après plusieurs mois de vaines démarches et d’attente. M. de Boishébert, peu accoutumé à faire antichambre et à flatter les puissants, décida de se retirer au château de Raffetot, près de Blois, qui appartenait à sa femme. Il porta dès lors le nom de Boishébert et de Raffetot.
M. de Boishébert et de Raffetot mena la vie de gentilhomme campagnard jusqu’à sa mort arrivée au château de Raffetot en 1798. Il avait vu les horreurs de la Révolution, mais la douceur de son caractère, son empressement à rendre service à tous, les bienfaits qu’il avait répandus dans tout le pays, eurent raison des excès des révolutionnaires, et il ne fut pas inquiété par eux.
Disons que M. de Boishébert fut une des belles figures militaires de la fin du régime français. Son séjour à la Bastille n’entache en rien sa réputation. S’il y eut quelques erreurs commises pendant son commandement militaire en Acadie la faute doit en être imputée aux officiers militaires et civils qui servaient sous ses ordres. Ceux-ci abusèrent de son honnêteté et de la confiance qu’il avait mise en eux.
- ↑ Le sieur de C. Mémoire