Invasion turque de Chypre
L'invasion turque de Chypre, également connue sous les noms de code opération Attila et opération paix pour Chypre (en turc : Atilla Harekâtı ou Kıbrıs Barış Harekâtı), est l'offensive militaire des forces armées turques lancée le , qui a conduit à l'occupation par la Turquie de 38 % du territoire chypriote, et à la partition de celui-ci.
Date | - |
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Lieu | île de Chypre |
Issue | Victoire turque, proclamation de l'État fédéré turc de Chypre. |
Changements territoriaux |
Le nord est occupé par la Turquie tandis que le sud reste chypriote. |
Turquie Türk Mukavemet Teşkilatı |
Chypre Grèce |
Nurettin Ersin (en) Bedrettin Demirel (tr) Osman Fazıl Polat (tr) Esat Oktay Yıldıran Sabri Demirbağ Sabri Evren |
Michael Georgitsis Georgios Karayiannis (en) Konstantinos Kombokis Nikolaos Nikolaides |
40 000 soldats turcs (TMT) 20 000 hommes |
5 000 hommes 2 000 hommes |
498 tués 1 200 blessés 20 aéronefs détruits 1 destroyer coulé (TMT) 340 tués 1 000 blessés |
309 tués 1 141 blessés 909 disparus 88 tués 148 blessés 83 disparus |
Invasion turque de Chypre
Contexte
modifierLorsque Chypre devient une république indépendante du Royaume-Uni en 1960, sa population se répartit en deux communautés principales : la communauté Chypriote grecque et la communauté Chypriote turque (minoritaire). Or, par le traité de garantie signé la même année, le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce deviennent les États garants de l'équilibre constitutionnel de l'île, ce qui octroie, sous certaines conditions, un droit d'intervention militaire aux trois puissances garantes pour rétablir l'ordre constitutionnel si celui-ci venait à être bousculé.
Pendant la dictature des colonels qui se met en place en Grèce, de nombreux opposants politiques se réfugient à Chypre. Le , la Garde nationale dirigée par des officiers grecs lance une tentative de coup d'État contre le président chypriote, l'archevêque Makários, avec l'aide du groupe paramilitaire chypriote grec de l'EOKA B ; leur objectif commun est de réaliser l'Énosis, c'est-à-dire l'unification de Chypre à la Grèce.
Le 20 juillet, la Turquie intervient militairement en évoquant la protection des intérêts de la communauté turque de l'île (alors 18 % de la population chypriote) et le rétablissement de l'ordre constitutionnel[1]. En parallèle, le Conseil de sécurité des Nations unies vote la résolution 353 demandant le « retrait sans délai du territoire de la république de Chypre de tous les militaires ». Cette résolution concerne principalement les forces grecques positionnées sur l'île et dont l'ONU suspecte l'implication. La Turquie fait alors valoir l'article 4 du traité de garantie[Note 1] afin de légitimer son intervention unilatérale, tout en évitant une confrontation directe avec la Grèce qui fait également partie de l'OTAN[2].
L'opération Attila
modifierLe , à 5 h 45, l'opération appelée Attila (Atilla, en turc ; selon les sources, le nom fait référence au commandant des forces turques[3],[4] ou au roi des Huns, Attila[5]) est lancée, le gouvernement turc commence à déployer des troupes terrestres à bord de péniches de débarquement, ainsi que des parachutistes aéroportés à bord d'avions de transport C-130 entre Kyrenia et Nicosie[6].
À 6 h 30, le premier ministre turc Bülent Ecevit annonce à la radio la décision de son gouvernement :
« L'intervention turque à Chypre a été faite en réponse au coup d'État qui a été commis quatre jours plus tôt contre le président chypriote, l'archevêque Makarios »[Note 2]. Cette opération est lancée conformément aux dispositions imposées par le traité de garantie, signé le par le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce.
Au total, ce sont 40 000 soldats turcs et 20 000 miliciens chypriotes turcs qui affrontent 12 000 Chypriotes grecs.
Le , une flottille de trois destroyers de la marine turque est attaquée par erreur par des Lockheed F-104 Starfighter de l'aviation turque la prenant pour une force grecque. Le TCG Kocatepe (D 354) de la classe Gearing est coulé et les deux autres gravement endommagés[7].
Le , un cessez-le-feu est signé et l'armée turque occupe 3 % de l'île.
Du 13 au , une deuxième opération appelée Atilla II est lancée par l'armée turque sur Lefke et Famagouste, afin d'assurer le contrôle sur la frontière entre les deux communautés, les forces pro-turques contrôlent 38 % de l'île.
Négociations et maintien de la paix
modifierLes forces de l'UNFICYP, agissant sous mandat de l'ONU, ont été mises en place, dès 1964, pour prévenir toute poussée de violence entre les deux communautés. En 1974, à la suite des opérations militaires turques, une « ligne verte » (« ligne Atilla » pour les Turcs), constituant une zone démilitarisée et une barrière physique entre les deux entités sépara l'île de Chypre, et sa capitale Nicosie[8].
Fin des combats et conséquences immédiates
modifierLes forces armées turques ne rencontrant qu'une résistance dispersée et désorganisée des forces chypriotes grecques et de l'EOKA-B, elles prirent le contrôle du couloir entre Nicosie et Kyrenia[6]. Près de 210 000[9] réfugiés grecs sont déplacés vers le sud, dans des camps construits dans l'urgence, par le Service spécial pour les soins et la réadaptation des personnes déplacées chypriote[10].
En réponse à l'offensive de la Turquie, le gouvernement grec du général Dimítrios Ioannídis annonça que la Grèce préparait la mobilisation générale de ses forces armées en accord avec son statut de garant de l'équilibre constitutionnel et le droit des trois nations à une intervention militaire sur l'île.
À la suite du coup d'État de 1974 à Chypre, l'OTAN demande le retrait des officiers grecs le . La Grèce quitte les structures militaires de l'alliance le , car cette dernière n'a pas empêché l'invasion turque ; elle réintègre celles-ci le [11], après la levée du veto turc.
Situation actuelle
modifierL'ONU a proposé en 2004 le plan Annan, du nom de l'ancien secrétaire des Nations unies, Kofi Annan. Ce plan proposait de réunifier les deux États chypriotes au sein d'une même République chypriote unie fonctionnant sur la base d'un système fédéral où les deux communautés seraient représentées[12]. Le plan Annan, intervenant après trente ans de négociations infructueuses, propose d'instaurer un État confédéral, chaque État confédéré devant permettre l'installation (ou le retour) de 33 % au plus de résidents de l'autre communauté sur son sol. Il fut soumis à référendum. Bien que le nombre de Turcs soit insuffisant pour atteindre ce taux au Sud, alors que le nombre de Grecs est largement suffisant pour l'atteindre au Nord, ce plan fut accepté à plus de 65 % par les habitants du Nord de l'île, mais rejeté à 70 % par ceux du Sud : en effet, pour les Grecs ayant été chassés du Nord, la limitation à 33 % était inacceptable, étant donné qu'ils étaient environ 79 % des habitants du nord avant 1974 ; pour les Turcs en revanche, cela revenait à sauvegarder l'essentiel de leurs acquis tout en revenant dans la légalité internationale et en échappant à l'embargo et à la dépendance vis-à-vis d'Ankara. Au cours de ce référendum d'ailleurs, pour la première fois, des manifestations massives, rassemblant jusqu'à 50 000 personnes, ont eu lieu dans la partie occupée de Chypre, au cours desquelles la communauté chypriote turque a contesté ouvertement la politique sous tutelle d'Ankara du « président » Rauf Denktash, exigé sa démission, et exprimé son souhait de rattachement à la partie sud[13].
À la suite d'une série de négociations entre mai et , les dirigeants chypriotes grecs et turcs se sont engagés sous l'égide des Nations unies à résoudre point par point les problèmes liés à la spécificité chypriote. S'engageant à suivre les paramètres établis par les Nations unies[14], Dimítris Khristófias et Mehmet Ali Talat ont mis conjointement en place six groupes de travail et sept comités techniques portant sur des questions spécifiques[Note 3].
Les dirigeants chypriotes grec et turc ont rencontré le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, le à New York, où ils ont étudié divers points dans une réunion tripartite ; notamment sur la question des propriétés foncières et l'ouverture de nouveaux points de passages dans la ligne verte[15]. Ces négociations viseraient à terme la réunification de Chypre, sous un système fédéral bicommunautaire où chypriotes grecs et turcs seraient égaux en droit et en pouvoir[Note 4] ; comme envisagée dans le plan Annan, la résolution des différends aboutirait à une théorique République chypriote unie ou entité supra communautaire, basée sur le modèle de la Suisse, où les deux parties auraient une réelle autonomie et une représentation politique paritaire[16].
Notes et références
modifierNotes
modifier- L'article 4 du traité de garantie précise que « dans la mesure où une action commune ou concertée ne serait pas possible, chacune des trois Puissances se réserve le droit d'agir dans le seul but de rétablir l'ordre public ».
« Les forces armées turques ont commencé à atterrir à Chypre. Que cette opération soit favorable à notre nation et à tous les Chypriotes. Nous pensons qu'en agissant de cette manière, nous aurons rendu un grand service à l'humanité tout entière et à la paix. J'espère que nos forces ne rencontreront aucune résistance et qu'un affrontement sanglant sera évité. Nous allons en fait apporter la paix et non la guerre sur l'île, et pas seulement pour les Turcs mais aussi pour les Grecs. Nous avons dû prendre cette décision à la suite de l'épuisement de tous les recours diplomatiques et politiques. Je tiens à exprimer ma gratitude à mes amis et alliés, en particulier les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont affiché leurs intentions et engagé leurs efforts afin que le différend puisse être réglé par des méthodes diplomatiques. »
— Allocution de Bülent Ecevit, premier ministre turc, Radio Ankara, le .
- Les groupes de travail porteront sur les questions de gouvernance, de partage du pouvoir, des propriétés, de l'économie, des affaires liées à l'Union européenne ainsi que la sécurité du territoire.
Les comités techniques travailleront sur l'environnement, la santé, les questions humanitaires, la gestion de la crise, l'héritage culturel, les questions économiques et commerciales ainsi que les questions relatives à la criminalité. - « Une fédération bi-communale et bizonale basée sur l'égalité politique, comme défini dans les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU »
─ Citation de Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, .
Références
modifier- Gilles Bertrand, « Le conflit chypriote et le conflit helléno-turc : La confrontation des deux nationalismes à l'aube du XXIe siècle », Institut français d'études anatoliennes, (ISBN 978-2-3624-5049-5, lire en ligne, consulté le ).
- « Le cas chypriote : Analyse de la constitution communautariste de 1960 », sur Le Petit Juriste (consulté le ).
- Aymeric Janier, « Chypre face au défi pressant de la paix », sur Le Monde, (consulté le ).
- Jean-François Drevet, « Chypre entre partition et réunification », Politique étrangère, Institut français des relations internationales (IFRI), vol. Hiver, no 4, , p. 767-781 (ISSN 0032-342X, résumé, lire en ligne [PDF])).
- (en) Doris Wastl-Walter, The Routledge Research Companion to Border Studies, Routledge, , 728 p. (ISBN 978-1-317-04398-0, lire en ligne).
- (en) Intervention turque de 1974.
- (en) Andy Varoshiotis, « Kocatepe Report November 2010 », sur slideshare, (consulté le ).
- Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre.
- (en) « Cyprus », The World Factbook (consulté le ).
- (en) Compte-rendu sur les conséquences humanitaires et sociales de l'intervention militaire turque, Librairie du Congrès américain.
- « Grands faits », sur Ambassade de Grèce en France (consulté le ).
- (en) Le plan Annan proposant de réunifier l'île sous l'égide des Nations unies.
- Olivier Da Lage, « Chypre - Sommet Denktash-Clerides sous pression », Radio France internationale (RFI), (consulté le ).
- « Négociations à l'ONU sur les problèmes chypriotes. »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
- « Les dirigeants chypriotes grec et turc bientôt à New York pour accélérer les négociations », sur news.un.org,
- Vision de ce qu'aurait pu être le plan Annan en cas d'acceptation par les deux parties.