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Espèce ingénieure

espèces qui par leur seule présence et activité modifient significativement à fortement leur environnement
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Dans le domaine de l'écologie et plus précisément des interactions biologiques et interactions durables[1], on parle d' « espèce ingénieure » pour décrire les espèces qui par leur seule présence et activité modifient significativement à fortement leur environnement (souvent sans directement agir sur un autre organisme). Les termes « organisme ingénieur », « ingénieur d'écosystème » et « ingénierie écologique » sont des synonymes.

Les fourmis Atta sont capables de découper et de transporter en quelques dizaines d'heures et sur des centaines de mètres toutes les feuilles d'un arbre tropical qui vient de s'effondrer
Structure émergée d'une termitière, produite par des termites, insectes-cultivateurs de champignons également considérés comme des espèces-ingénieures jouant un rôle considérable dans leur environnement, du sol au sommet de certains arbres, selon les espèces[2]
De nombreux hyménoptères sont des constructeurs, sans être véritablement considérés comme espèces ingénieures, car ne modifiant pas profondément leur environnement
Début de pseudorécif construit par Sabellaria alveolata dont le plus grand biorécif s'étend près du mont Saint-Michel sur 3 km de large et environ 300 hectares, épais d'environ un mètre[3]
Barrage de castors, ici dans une zone paratourbeuse à molinies et sphaignes des Ardennes

Cette transformation se fait en leur faveur et souvent en faveur d'autres espèces (on parle alors aussi d'espèces facilitatrices).

Éléments de définition générale

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L'expression anglaise « ecosystem engineers » aurait été forgée par Jones & al en 1994 pour désigner des organismes qui « modulent directement ou indirectement la biodisponibilité de ressources pour d'autres espèces en provoquant des changements d'état physique des matériaux biotiques ou abiotiques »[4]. Ces auteurs ont indiqué que la fourniture directe de biomasse à une autre espèce n'est pas l'ingénierie mais de simples interactions trophiques ; les « espèces ingénieures » interagissent avec les autres espèces et leur environnement par d'autres moyens que la chaine trophique, généralement en construisant des structures qui n'existeraient pas sans elles.

Pour le glossaire d’Ifremer, c’est « une espèce qui, par son activité naturelle, change le milieu où elle vit et crée un nouveau milieu qui lui est spécifique. C’est le cas de toutes les espèces qui génèrent leur propre habitat, comme le maërl, les coraux, les hermelles… Le cas d’espèces ingénieur chez les Vertébrés est plus rare : citons le castor (Castor fiber) en Europe, en eau douce. L’espèce humaine n’est généralement pas concernée, bien qu’elle soit typiquement « ingénieur » en elle-même[5]. »

Classification

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Jones et al. (qui ont créé ce concept) ont ensuite précisé leur définition en différenciant deux catégories d'espèces ingénieures[6] :

  1. Les ingénieurs autogéniques de l'écosystème ; ce sont les espèces qui changent l'environnement par l'intermédiaire de leurs propres structures physiques (ex. : Coraux, microalgues à l'origine des falaises de craie…) ;
  2. Les ingénieurs allogéniques de l'écosystème ; qui transforment les matériaux qu'elles trouvent dans l'environnement en les faisant passer d'un état à un autre (ex. : castor, pic-vert, vers de terre, fourmis, et être humain[6],[7],[8]…).

Ils distinguent aussi :

  • des espèces qui transforment l'environnement pour accroître leur propre profit ;
  • des espèces qui modifient l'environnement « accidentellement », et alors au profit d'autres espèces.

Ce sont aussi souvent des espèces qui jouent un rôle important de « facilitation écologique »[9] et en matières de résilience écologique et de renaturation [10] et plus généralement en termes de services écosystémiques [11].

Enjeux et utilisation du concept d’espèce ingénieure

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Un des enjeux est de mieux comprendre ces fonctions pour les valoriser dans les pratiques agroenvironnementales, d'agrosylviculture et de génie écologique, et dans la trame verte et bleue quand il s'agit de réhabilitation écologique de milieux physiquement et écologiquement dégradés.

Leur valeur pour la biodiversité et en termes de services écosystémiques les font parfois considérer comme indicateurs du développement durable[12] et certains font l'objet de programmes de réintroductions (le Castor eurasien, qui a failli disparaitre au début du XXe siècle fait par exemple partie des espèces qui ont été les plus réintroduites en Europe).

La notion d’espèce ingénieure est reprise par la recherche écologue qui cherche à imiter et/ou utiliser au mieux les processus naturels qui permettent la résilience écologique et avant cela une « auto-réparation » des écosystèmes (à certaines conditions), par exemple pour la restauration de terrains dégradés par les pistes de ski[13].

Certains auteurs tels que François Renaud et ses collègues (Laboratoire de parasitologie comparée du CNRS et de l’Université Montpellier 2) ou des équipes néozélandaises proposent d’appliquer ce contexte à des espèces parasites dont l’action sur le paysage est moins directement visible, mais néanmoins réelle. On a ainsi montré qu’un ver de Nouvelle-Zélande parasite une coque dont il change le comportement (elle ne s’enfouit plus) ce qui modifie fortement ses interactions avec d’autres espèces et le milieu. Cette approche pourrait selon ces auteurs modifier la compréhension de la parasitologie[14].

Effets des espèces ingénieures sur la diversité biologique

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Une espèce ingénieure modifie les conditions abiotiques de son habitat et exerce ainsi des effets directs (via des changements de conditions abiotiques) ou indirects (via des changements d’interactions biologiques) sur la richesse spécifique locale. La structure de la communauté biotique locale sera donc remodelée par la présence d’une ou de plusieurs de ces espèces[15].

L’espèce ingénieure, pour augmenter la richesse spécifique, doit fournir des conditions non présentes dans l’environnement, apportant à des espèces spécialistes des conditions pour s’installer dans ce nouvel écosystème modifié. Mais les espèces généralistes peuvent en profiter aussi, augmentant ainsi leur abondance dans ces nouveaux milieux[15].

La diversité spécifique est permise, entre autres, par l’hétérogénéité des habitats, générée en grande partie par les espèces ingénieures de l’écosystème[15].

Une étude de 2015 faisant le bilan de 122 publications scientifiques sur les effets (positifs et négatifs) des espèces ingénieures, montre que l’effet global de ces espèces sur la diversité spécifique est positif, avec sur l’ensemble de ces études une moyenne de 25 % d’augmentation de la diversité. Cette moyenne est à nuancer, car les effets des espèces ingénieures sont plus importants dans les tropiques (augmentation de 83 % de la diversité spécifique) que dans les latitudes plus élevées (augmentation de 15 %). De plus, à l’échelle même des écosystèmes, les effets de ces espèces ingénieures sur la diversité biologique varient selon le type de milieu considéré[16].

Il semblerait également que les espèces ingénieures allogéniques aient un effet plus important que les espèces ingénieures autogéniques. Aussi, les espèces ingénieures invertébrées auraient un effet supérieur aux espèces ingénieures vertébrées[16].

D’autre part, les effets de ces espèces sur la biodiversité semblent varier selon l’échelle spatiale prise en compte pour l’étude[17]. Les facteurs environnementaux d’un milieu (les précipitations par exemple) peuvent également influencer l’importance de cet effet[17], mais pas toujours[15].

D’un point de vue différent, la disparition d’une espèce ingénieure dans son environnement provoque un déséquilibre et une réaction en chaîne aboutissant à une perte importante de biodiversité, de richesse spécifique, dans le milieu en question[18].

Il est aussi montré qu’une espèce ingénieure peut augmenter la richesse spécifique locale indirectement via une deuxième espèce ingénieure[19].

Cependant, il est important de noter que les espèces ingénieures n’ont pas toujours un effet positif sur la biodiversité. En effet, de par la modification des conditions abiotiques de leur écosystème, les espèces ingénieures peuvent modifier les interactions biologiques entre organismes de l’écosystème. Notamment les relations de prédation, de compétition, et de facilitation. Ces interactions peuvent avoir un effet bénéfique ou bien délétère sur la diversité biologique. Il est important de noter que c’est souvent l’abondance de ces espèces ingénieures, ou d’autres espèces de l’écosystème en question, qui peut faire varier la tendance (positive ou négative) de l’effet sur la biodiversité, le phénomène d’exclusion compétitive étant plus récurrent dans les populations ayant des effectifs importants[20].

Quelques exemples

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Effets positifs

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Azorella trifurcata, une plante en coussin considéré comme une espèce ingénieure.

Dans les milieux présentant des conditions abiotiques peu favorables à un épanouissement de la biodiversité, tels qu’en montagne, certaines plantes permettent pourtant l’implantation d’autres espèces végétales. C’est le cas de plantes poussant en coussins, qui permettent localement une modification de ces paramètres environnementaux (température, humidité…)[21]. On parle alors aussi dans ce cas de plante nurse.

  • Certains récifs coralliens en Polynésie française abritent Stegastes nigricans, ou Grégoire noire, un petit poisson-fermier ayant la particularité de cultiver un gazon algal pour se nourrir. Il s’agit d’une espèce territoriale qui protège son herbier contre les poissons brouteurs. De prime abord on pourrait penser que ce comportement conduirait à une moins bonne santé des coraux à la suite d'une augmentation de la densité d’algues. Toutefois, il semblerait que les prédateurs du corail étant également été écartés, une croissance du corail en découlerait plutôt dans certains cas. Cependant, une croissance trop importante peut, à terme, avoir un effet néfaste sur certains genres de coraux[20].

En étudiant les conséquences d'une disparition d'espèce ingénieure, on peut aussi montrer son impact positif perdu sur la richesse spécifique locale[18].

Deux espèces ingénieures de l'océan profond, le poisson tuile et le mérou, sont menacées par la surpêche mais aussi par les extractions pétrolières et gazières. Elles sont donc surveillées, pour analyser la perte de biodiversité des fonds océaniques à la suite de leur disparition future dans certains environnements locaux[18].

Effets négatifs

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Des études montrent que les vers de terres endogés ont globalement un effet négatif sur la biodiversité. En effet, la compétition pour les ressources alimentaires avec les microarthropodes constituant la mésofaune prend le dessus sur les différents impacts positifs imputés aux vers de terre (bioturbation, création de tunnels). Il semblerait que la taille de ces vers soient une des raisons principales de leur meilleure compétitivité pour les ressources. De plus, de la prédation accidentelle peut aussi avoir lieu[24].

Effets ambigus

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Parfois, les activités d’une espèce peuvent être considérées comme ambivalentes sur son écosystème.

 
Nid d'un guêpier d'Europe, pouvant servir de refuge pour d'autres espèces d'oiseaux.

Dans les milieux aquatiques

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Récifs et pseudorécifs marins

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Les coraux de mers chaudes sont les plus connus, mais des organismes comme les hermelles (Sabellaria alveolata) peuvent en zone tempérée construire des pseudorécifs (biorécifs) de taille considérable et sont pour cela aussi considérées comme espèce-ingénieur : la plus grande structure biogénique marine active connue de toute l'Europe en zone intertidale est un biorécif d'hermelles de 3 km de large et environ 300 hectares, sur un mètre de hauteur[3], situé entre la chapelle de Sainte-Anne et la pointe de Champeaux, appelés « crassiers »[26],[27]. Une autre espèce ingénieure de cette même zones est trouvée dans la banquette de la baie du Mont-Saint-Michel, c'est Lanice conchilega[28],[29].

Eaux douces

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Les écotones des eaux douces sont profondément modifiées par des espèces, dont certains crustacés (écrevisses[30],[31]) et en Amérique du Sud le ragondin ou le rat musqué en Amérique du Nord. Dans tout l'hémisphère nord le castor canadien et le castor eurasien jouent aussi ce rôle, tout en étant de plus capables grâce à leur barrages de constituer des stocks d'eau considérables qui ont une grande importance pour l'alimentation des nappes phréatiques, la biodiversité aquatique et des zones humides, les puits de carbone de type tourbières, la limitation des incendies de forêt et des inondations brutales de l'aval des bassins qu'ils occupent dans les parties hautes des bassins versants, et même pour les macroclimats selon des études récentes faites en Amérique du Nord. Certaines moules d'eau douce (moule zébrée) et certaines éponges d'eau douce sont des filtreurs qui peuvent s'associer en colonisant par millions d'individus des substrats durs, en créant de nouveau habitats et en épurant cet habitat.

Sur terre

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De nombreuses espèces modifient leur environnement, mais certaines jouent un rôle fondamental, c’est par exemple le cas des vers de terre dans le sol[32], de même que les termites en zone tropicale.

Chez les mammifères

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Outre le castor, des espèces comme l'éléphant, le sanglier, la taupe ou l'écureuil jouent un rôle important dans la propagation de certaines spores et graines[33] et modifient ainsi considérablement leur environnement.

Les mammifères qui creusent d’importants terriers jouent aussi un rôle ingénieur ; ainsi a-t-on montré que le tatou géant qui creuse en Amazonie un nouveau terrier de 5 m de long tous les deux jours offre un nouvel habitat à au moins une vingtaine d’autres espèces, dont l'ocelot, le renard crabier, différents lézards, des tortues, la martre à tête grise, le fourmilier à collier (Tamandua tetradactyla), le renard à petites oreilles ou (Atelocynus microtis) ou encore d’autres tatous (tatou à queue nue du Sud, à neuf bandes et à six bandes). Dans ces terriers, la température est extrêmement stable (24-25 °C)[34],[35].

Chez les oiseaux

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  • Le Guêpier d'Europe (Merops apiaster) en raison de ses capacités d'aménageur et des effets qu'il a sur l'écosystème (même dans un environnement aride) est considéré par certains auteurs comme espèce ingénieure[36].
  • Les pics dont les trous seront utilisés par de nombreuses autres espèces (et parce qu’ils régulent les espèces saproxylophages) semblent aussi pouvoir être considérés comme espèces ingénieures.

Adaptabilité

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En raison de leur capacité à aménager l’environnement en leur faveur, ces espèces pourraient mieux s’adapter à certains changements environnementaux que d'autres (en conservant l’eau et en favorisant l'alimentation des nappes pour le castor par exemple)[37].

En raison de leurs compétences aménageuses, dans certains cas de déséquilibres écologiques ou de réchauffement climatique, plusieurs espèces ingénieures déplacées hors de leur milieu naturel peuvent devenir invasives[38] ou favoriser certaines espèces invasives[39]. Comme certaines espèces pionnières, elles pourraient aussi peut-être rapidement changer d’aire de répartition.

Stratégie de reproduction

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Chez les espèces dites « supérieures », mammifères notamment ce sont plutôt des espèces à stratégie K, mais chez les invertébrés, notamment bioconstructeurs, il peut s’agir d’espèces à stratégie r (ex. : moules[40] et huîtres[41])[42].

Critique du concept

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Le concept d'ingénierie de l'écosystème, tel que formulé par ses inventeurs a été critiqué par certains auteurs comme étant trop large pour être vraiment utile[43],[44],[45], mais la plupart des biologistes, géologues et écologues l'ont adopté pour présenter ou analyser certains phénomènes et problèmes écosystémiques.

Notes et références

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  4. organisms that “directly or indirectly modulate the availability of resources to other species by causing physical state changes in biotic or abiotic materials” (Jones et al., 1994)
  5. Ifremer glossaire, Idem Espèce ingénieur, consulté 2014-03-08
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  8. Bulot A, Dutoit T, Renucci M & Provost E Harvester ant (Hymenoptera : Formicidae ) transplantations as a new tool in ecological engineering for restoring species - rich plant communites, Myrmecological News, in revisions
  9. Stachowicz, J. J. 2001. Mutualism, facilitation, and the structure of ecological communities. BioScience 51: 235-246.
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Voir aussi

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Bibliographie

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