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Crise du logement

type de pénurie

Un territoire donné est en situation de crise du logement lorsqu’il apparaît « de façon brusque et intense, et pour une période donnée » un déséquilibre entre l'offre et la demande de logement. La durée prise en compte est souvent longue (car préparer et construire des logements prend du temps, de l'ordre de l'année ou bien plus, et pendant ce temps la demande peut augmenter plus vite que l'offre)[1]. Certains étendent largement la notion de « crise » pour l'appliquer à toute situation leur apparaissant imparfaite et ainsi justifier une action importante.

Lors d'une crise du logement, un déséquilibre entre offre et demande crée une démesure dans les prix des habitations.

Les raisons peuvent être par exemple des facteurs exogènes (catastrophe naturelle, guerre), démographiques (surpopulation, déplacement massif de population, tel qu'un fort exode rural par exemple), économiques (choc sur le marché immobilier, directement ou indirectement — sur les entreprises de construction par exemple —, spéculation immobilière). Des évolutions plus lentes comme l'accroissement naturel ou la réduction de la taille des ménages sont aussi invoquées, bien que plus contestables.

Quelques chiffres

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En Europe

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En 1982, aux Pays-Bas, à Ede, un homme de 38 ans vit depuis 3 ans dans sa voiture car il n'a pas eu le logement qu'il voulait. Photo : Marcel Antonisse/Anefo.

Le nombre de sans domicile n'est pas connu sur le continent, mais il existe des statistiques sur le mal-logement, qui éclairent la difficulté à se loger dans l'Union européenne. Selon le 4e rapport sur le mal-logement en Europe (2019)[2] depuis le début de la crise de 2008 les pays de l'Ouest, du nord et du sud de l'Europe sont tous confrontés à une flambée des prix du logement. Seuls les pays de l'Est sont épargnés[3]. Pour Laurent Ghekiere (Union sociale pour l'habitat auprès de l'Union européenne) « une crise du logement abordable dans toute l'Europe, née de la crise immobilière de 2008 et d'un phénomène de métropolisation. » Selon la Fondation Abbé Pierre et la Feantsa on observe partout — sauf dans les pays de l'Est — un dérapage incontrôlé du coût des dépenses liées au logement (loyer, eau, électricité, gaz…)[3]. 24,2 % des dépenses annuelles d'un ménage européen moyen sont consacrées au « logement et commodités associées ». C'est en Finlande que l'on dépense le plus pour le loyer ou pour remboursement les emprunts immobiliers (devant le Danemark, le Royaume-Uni et la France (26,2 %), mais si l'on calcule la quantité d'argent dépensée pour se loger par rapport au revenu disponible, ce sont les grecs qui passent en tête du classement avec plus de 40 % des revenus absorbés par les couts liés au logement. Un autre élément statistique est la différence entre les frais de logement dépensés par les ménages pauvres par rapport à la moyenne : En Grèce les foyers modestes consacrent plus de 70 % de leur revenu au logement, taux qui est 60 % au Danemark et de 47 % en Allemagne (alors que pour la moyenne de la population ces taux sont deux fois moins élevés)[3]. Ce taux est habituellement jugé excessif quand il dépasse 40 % (seuil dépassé par 38 % des ménages pauvres ce qui en 2017 concerne environ 23 millions de ménages en Europe (et le taux d'effort de la population grecque était en 2017 de 39,6 % ; en hausse de 150,6 % sur dix ans)[3].

Dans la décennies de crise 2007-2017, en Europe « les incitations fiscales n'ont pas créé de logement abordable » ; partout (sauf dans les pays de l'Est) la dépense des ménages liées au logement a au contraire augmenté. Au sein de l'Union européenne, l'action publique pour le logement a diminué (tombant à 27,3 milliards d'euros pour le développement immobilier et à 73,7 milliards d'euros pour les aides au logement en 2017 selon Eurostat)[3].

En France

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Les dépenses pour le logement y sont élevées, comme au Royaume-Uni. La construction (qui selon les économistes libéraux aurait dû augmenter avec la hausse des loyers) s'est néanmoins ralentie, alors même que l'habitat indigne est loin d'être résorbé (600 000 logements en 2017 selon la Fondation Abbé Pierre, et 420 000 selon l’État. Concernant l'habitat indigne, la situation est bien meilleure en France qu'en Roumanie, Hongrie ou Italie[3] mais si le surpeuplement ou la privation de confort primaire y ont diminué de 2007 à 2017, inversement la précarité énergétique a augmenté de 6,5 %[3].

De plus les aides d’État sont surtout passées par la défiscalisation (qui de fait a plus profité aux propriétaires qu'aux locataires). En , la Banque mondiale a elle-même reconnue que les dispositifs d'incitation fiscale ont été « ineffectifs pour assurer le caractère abordable du logement pour ceux qui en ont le plus besoin »[3].

Au Québec

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Au Québec, la baisse de logement abordable sur le marché locatif est un élément de causation lié à la crise de logement[4]. Il est admis que le marché du logement est en situation d’équilibre lorsque 3 % de l’inventaire des logements locatifs est en situation d’inoccupation. Lorsque le marché est à ce point d’équilibre, une majeure partie des locataires parviennent à louer leurs logements, et donc, dans la mesure de trouver un logement qui leur convient dans un délai raisonnable[5]. Si ce taux est au-dessus de 3 %, un impact négatif est ressenti pour les propriétaires puisqu’ils doivent faire face à une concurrence plus importante afin de louer leurs logements. Si l’on se fie au principe économique[6], il y aura une baisse du prix des loyers dans une situation où la demande est inférieure à l’offre. À l’opposé, si ce taux est sous le taux d’équilibre, les locataires ont de la difficulté à rechercher un loyer qui leur convient dans un délai raisonnable. Cela aura pour effet de créer une pression à la hausse sur le prix des loyers.

Selon le recensement effectué par le Gouvernement du Canada par rapport au taux d’inoccupation des immeubles d’appartements de trois logements et plus[7], on peut noter qu’il y a une baisse du taux d’inoccupation, et donc, moins d’inventaires dans la province Québec. Dans les villes principales du Québec entre 2015 et 2019, on remarque aussi cette baisse :

  • Montréal (4 % en 2015 ; 1,5 % en 2019) ;
  • Ottawa-Gatineau, partie québécoise (5,9 % en 2015 ; 1,5 % en 2019) ;
  • Québec (4 % en 2015 ; 2,4 % en 2019) ;
  • Sherbrooke (5,8 % en 2015 ; 2,3 % en 2019).

De plus, en 2021, 34 % des ménages québécois étant locataires consacrent plus de 30 % de leurs revenus pour se loger. Il y a 14 % des foyers québécois en logement qui doivent dépenser 50 % de leur revenu pour payer leur loyer, ce qui correspond à la situation de près de 200 000 ménages locataires[8],[9].

Débats sur le rôle du contrôle des loyers

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Selon certains économistes libéraux [Qui ?], le contrôle des loyers est le premier facteur de crise. Ils argumentent que le principe d'un marché est de fonctionner par référence aux prix, dont la hausse réduit la demande et augmente l'offre (construction nouvelle, transformation en logement de surface dont la destination était autre, offre d'une chambre ou d'une annexe dans un logement qu'on occupe pour dégager un revenu…). Pour eux, toute règlementation conduisant à la baisse du prix satisfait certes les gens logés, mais surtout elle augmente la demande et réduit l'offre pour les entrants sur le marché, conduisant à terme à une pénurie.

Dans un pays riche, laisser les loyers libres permettrait alors au marché du logement d'encaisser les destructions massives par exemple d'un tremblement de terre (cas observé à San Francisco en 1906[10]).

Souvent, dont en France, la crise du logement n'est pas induite par des catastrophes naturelles ; ces études n'expliquent pas les causes en jeu. Là, au-delà de la pénurie de logement, les montants croissants des loyers (librement fixés par le propriétaire, seule la hausse en cours de bail étant encadrée), comme des logements mis sur le marché, excluent de fait toute une frange de la population de l'accès à un logement décent, voire à un logement tout court.

Un second facteur important : le logement social

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Le logement social occupe dans de nombreux pays une place majeure dans le marché de l'immobilier, faisant que ses modalités de gestion et son évolution jouent un rôle crucial dans une crise. Les périodes de pénurie conjuguent rareté de l'offre et hausses des prix sur le marché libre ; les occupants ont alors intérêt à conserver leur logement, ce qui par contrecoup réduit leur mobilité et rend le logement social moins apte à répondre aux nouveaux besoins.

Propositions de think tank

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  • La fondation française de gauche réformiste Terra Nova propose par exemple que l'État incite les propriétaires privés à offrir des logements à des conditions favorables aux moins favorisés en prenant à sa charge le différentiel entre loyer du marché et loyer social[11].
  • L'Institut Montaigne, de tendance libérale modérée, propose une solution analogue, en y ajoutant une plus grande mobilité des occupants du parc de logements sociaux[12]. D'une manière générale, l'idée libérale est qu'il peut exister des locataires sociaux, mais certainement pas des logements sociaux, qui ne sont en réalité que des logements à la discrétion de la puissance publique, mal alloués (à des gens qui n'en ont pas, ou plus, besoin), source de corruption, et proposés à des prix tellement avantageux que leur offre est par définition inférieure à la demande, donc source de crise.

Répercussions sur les individus

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La perte ou l’accès à un logement peut mener l’individu à la séparation de sa communauté, mais peut également mener à une remise en question de soi et peut provoquer des troubles psychologiques. Selon l’OMS, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »

La perte du logement a des répercussions sur les relations familiales. Il est difficile de ne plus pouvoir correspondre aux attentes de son entourage et le sentiment de se sentir inutile aux autres peut prendre le dessus[13]. Selon É. Philippot-Maldiney, "si auparavant les exclus étaient des clochards d’un certain âge, aujourd’hui il en est autrement. En effet, étudiants, travailleurs pauvres ou chômeurs, de plus en plus de personnes sont concernées par le mal logement"[14]. Il se développe alors un sentiment de honte, une perte du sens de la vie et/ou une perte d’estime de soi qui entraînent une souffrance psychique[15].

Autres solutions

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Pour résoudre une crise du logement, il faut construire vite et massivement. Les tenants d'une approche institutionnelle soulignent le rôle de la puissance publique pour y parvenir. Inversement les économistes libéraux suggèrent que les acteurs privés sont suffisants pour y parvenir. Des stratégies partenariales (public-privé) sont souvent mises en œuvre.

Approche institutionnelle

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Dans ce cadre la puissance publique se dote de moyens et d'une stratégie d'impulsions et d'organisation nécessaires pour parvenir à construire vite et massivement (comme durant les après-guerre, avec l'aide du plan Marshall notamment). Plusieurs solutions sont généralement envisagées :

  • la construction de grands ensembles. C'est la politique retenue en France à partir de 1955 pour résoudre la crise du logement du lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle est aussi massivement utilisée en Chine et dans plusieurs pays d'Asie ou en Europe orientale depuis 1991. Combinée à la construction de logements sociaux, cette politique est d'un usage délicat. Il est en effet nécessaire de l'éparpiller spatialement (ce qui n'a pas du tout été fait en France) et y doser une mixité sociale importante (classes populaires et classes moyennes, dans les mêmes bâtiments), pour éviter les mécanismes d'ostracisation étudiés par Loïc Wacquant[16]. Au contraire, comme le montre le sociologue, les grands ensembles ont été marqués à partir des années 1970 par un double mouvement : un retrait de la présence de l'État, important aux États-Unis et partiel en France, et par l'évolution du capitalisme (transformant le prolétariat en précariat). Ces deux phénomènes, presque concomitants ont fragilisé les populations habitant les grands ensembles ;
  • la construction d'habitats denses et stéréotypés mais à hauteur modérée. Cette politique a été plus particulièrement choisie par les Pays-Bas, qui dispose d'un des parcs de logements sociaux les plus importants à l'échelle européenne. Elle se retrouve dans les centres-villes de Grande-Bretagne ;
  • la construction de villes nouvelles, en tentant de développer ainsi des agglomérations multipolaires, tant du point de vue de l'emploi que du logement. En France, c'est Paul Delouvrier qui dans les années 1960 impulse la planification, puis la construction de villes nouvelles. La Chine, confrontée à un très fort exode rural a construit 246 villes nouvelles entre 1990 et 2008. Le Maroc tente également de suivre la même voie pour résoudre sa forte crise du logement[17] ;
  • dans les pays anglo-saxons, l'État a soutenu le développement de constructions individuelles, par exemple par les Housing Act de 1924 (Royaume-Uni) ou 1934 (États-Unis). Des banlieues pavillonnaires ont ainsi été développées depuis l'entre-deux-guerres. Les coûts sociaux (faiblesse des économies d'échelle en matière de transport et de service public par exemple)[18], les coûts induits par les pertes (plus on s'éloigne du générateur et étend un réseau électrique, plus les pertes sont importantes[19], plus une ville s'étend et plus sa consommation énergétique est importante[20]etc.) et cachés (destruction accrue de biens publics environnementaux tels que terres arables, zones naturelles ou zones inondables[21], polarisation des zones urbaines (facteur de hausse du chômage et de criminalité) de cette politique d'étalement urbain en font une des plus critiquées à ce jour.

Approche libérale

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Les économistes libéraux insistent généralement sur les freins mis par l'État à l'accroissement de l'offre de logement et défendent donc une politique visant à les réduire. Ainsi, selon l'Institut économique de Montréal « Si la crise se poursuit, c'est parce que les gouvernements n'ont toujours pas enclenché les réformes nécessaires pour permettre au marché privé du logement de répondre à la demande accrue des consommateurs[22]. »

Déréglementer ?

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La règlementation publique joue un rôle important. Temporairement l'évolution des normes de l'habitat peut avoir un effet sur le nombre de biens disponibles (interdiction de louer en dessous d'une certaine surface par exemple) ou sur leur prix (obligation de présence d'un certain nombre d'équipements, interdiction de matériau ou modes de construction…).

Certains analystes jugent qu'une protection réglementaire « excessive » des locataires peut parfois défavoriser les plus faibles. L'économiste Étienne Wasmer affirme ainsi qu'en France : « un locataire et un propriétaire signant un bail s'engagent par un contrat lequel définit droits et obligations. Or, le non-respect des droits par l'une ou l'autre des parties est une difficulté transactionnelle majeure. Et en la matière, ce serait faire preuve d'angélisme que de faire porter le poids des dysfonctionnements du marché locatif sur les propriétaires[23] », il pose l'hypothèse qu'une plus grande liberté contractuelle entre les agents pourrait résorber les « crises du logement ».

Supprimer le contrôle des loyers ?

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La naissance d'une crise du logement est souvent expliquée par le contrôle des loyers. Ceux qui défendent le fait de subventionner la demande préfèrent des subventions visant directement les bénéficiaires, par un chèque-logement par exemple.

Les économistes Milton Friedman et George Stigler par exemple ont attaqué le contrôle des loyers : en se fondant sur la comparaison entre la résolution d'une crise du logement par le mécanisme des prix libres et par le contrôle des prix, ils écrivent que la libre fluctuation des prix est la solution la plus efficace pour offrir à tous un logement décent. Ce système a pour eux l'avantage de la simplicité, de la clarté et surtout de l'efficacité, en particulier car « les loyers élevés agissent comme un fort stimulant en faveur de nouvelles constructions ». Inversement dans un système de loyers contrôlés, les « amis du pouvoir » en profiteraient, le contrôle des loyers n'étant in fine pour eux qu'un « rationnement par la chance et le favoritisme »[10]. En outre les constructeurs n'ont plus intérêt à investir si les prix sont bloqués, et donc la pénurie de logements risque d'être amplifiée par le contrôle des loyers. Selon Henry Hazlitt : « [À cause du contrôle des loyers], on ne construit pas de nouveaux logements, parce qu'il n'y a plus de bonnes raisons de les construire. »

L'économiste péruvien Hernando de Soto applique cette même analyse au marché immobilier des pays en développement[24].

Approche sociale

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Les crises du logement dans les pays occidentaux, notamment en Europe, ont des origines communes corrélées aux crises du capitalisme[25].

Le processus est souvent le même : Le marché du travail est déréglementé au nom de la flexibilité et de l'adaptation à l'économie monde, les protections salariales et sociales reculent, la précarité et le chômage augmentent. Les salaires baissent, stagnent ou augmentent moins vite que le coût de la vie auquel contribuent principalement les prix de la nourriture, de l'énergie et surtout du logement. L'appauvrissement force dans un premier temps nombre de ménages à contracter des crédits et à s’endetter, pour conserver ou accéder à une certaine qualité de vie, aux biens de consommation courants, voire aux biens de première nécessité, qui jusque dans les années 1980 avaient vu leur poids baisser dans les budgets des ménages. Ces dégradations liées aux politiques économiques libérales ont touché les pays européens de façon décalée, mais tous sans exception. Les premiers touchés furent les pays anglo-saxons dès la fin des années 1970 ; la France fut dans les derniers atteints, avec les pays de l’Est convertis à l'économie de marché, après la chute du mur de Berlin (1989), au début des années 1990.

Cette politique libérale économique ne pouvait épargner le secteur du logement, c’est même par l’immobilier que les politiques libérales se sont implantées et diffusées[26]. Cette politique a fait d’un bien d’usage (le logement), un bien d’investissement. Cette évolution dans la perception du logement fut l’un des principaux moteurs du crédit, de la spéculation, de la déréglementation financière et de l’endettement. Mais ce fut aussi l’origine de la transformation des villes américaines et européennes. Après la bulle spéculative des années 1980 c'est ce qui sera encore à l'origine de la crise de 2007 dite des "subprime".

En France, comme dans beaucoup d'autres pays d'Europe, le discours libéral, en s’appuyant sur les constructeurs de maisons individuelles, réussit à imposer comme idéal et modèle de société, basé sur la propriété individuelle d'une maison[27]. On a vu dès les années 1960 dans tous les pays de l'Ouest apparaître, la construction plus ou moins anarchiquement, de dizaines de milliers de zones pavillonnaires et d'immenses zones résidentielles, ainsi que de vastes centres commerciaux, au profit d'un étalement urbain rapide et au détriment des zones agricoles périurbaines, en exacerbant le besoin de réseaux de transports (routiers surtout) vers les lieux de travail et la consommation d'énergie.

Parallèlement, une critique de l’inhumanité des grands immeubles et des quartiers à fort taux de logements sociaux se multiplie (inhumanité souvent supposée plus que réelle). Après la Seconde Guerre mondiale ces grands immeubles, ces quartiers neufs et ces « villes neuves » ont cependant permis à des millions de personnes de quitter des bidonvilles, des logements insalubres et sans toilette, sans eau courante ni confort, sans chauffage parfois), d’accéder à des logements adaptés à la taille des familles et équipés « tout confort ».

À ces critiques s’ajoutera une action visant à amoindrir le rôle de l’État dans la construction de logements, en faisant baisser les budgets des États consacrés à l’aide à la pierre (construction de logements sociaux), et aux financements (foncier et crédits). Les banques récupéreront le rôle de financement des crédits et les promoteurs ceux de constructeurs à la place de l’État.

En 1966 est mis en place le marché hypothécaire ouvrant aux banques la faculté d’offrir des crédits à long terme et réduit la part de l’apport initial. À ceci vient s’ajouter la création de comptes épargne logement, favorisant un financement bancaire massif de la construction. En 1962, en France, les banques assuraient 21,7 % des crédits au logement, en 1972 leur part est passée à 65,1 %. À l’inverse la part du secteur public tombe lui de 59,7 % à 29,7 %.

Enfin, guidés par l’idée selon laquelle la baisse des protections des locataires favorise la location, un travail de lobby sera fait dans tous les pays pour diminuer les protections juridiques des locataires :

  • remise en cause du contrat de bail et/ou de la durée de bail ;
  • facilités pour expulser les locataires ;
  • durcissement des garanties pour accéder à un logement ;
  • déréglementation du prix des loyers ;
  • déréglementation ou assouplissement des normes de qualité.

Tous propriétaires ?

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En revanche, tout est fait pour inciter les ménages même les plus modestes à devenir propriétaires, par des aides fiscales et des facilités de crédit. Cette posture idéologique est soutenue par les États et les collectivités locales qui voient là un moyen de faire des économies budgétaires importantes et de se désengager des politiques de logement.

Ce processus sera camouflé sous couvert de la « décentralisation » de l’État qui transfère ses responsabilités d’abord aux communes ou collectivités locales. Celles-ci feront alors tout pour s’alléger de cette « charge » qu’est la gestion sociale du logement au profit du marché, présenté comme seul capable de répondre aux besoins de construction et de logements. Les États et les collectivités ont alors vendu tout ou partie de leur parc social ou à caractère social. Les organismes sociaux de gestion et de construction se sont transformés au mieux en sociétés d’économie mixte mais le plus souvent en sociétés privées (Sociétés Anonymes : SA HLM), dont le but n’est plus de loger un maximum de ménages à des loyers abordables, mais de loger les ménages solvables en réalisant les meilleurs profits possibles.

Cette politique des États consistant à vendre leur patrimoine et laisser le marché répondre aux besoins de logement a terminé de modifier la configuration des villes et des quartiers. L’assouplissement ou la déréglementation des hausses de loyer, la vente du patrimoine public et des logements sociaux a attiré les investisseurs et promoteurs venus investir dans des quartiers jusque-là gérés par le secteur public ou des structures sociales.

En outre, pour le secteur privé, les quartiers anciens, délabrés, mal réputés, sont devenus les plus attractifs en devenant de vastes terrains d’investissement, soutenu par la mise en place de plans d'urbanisme et de rénovation dans les grandes villes et les villes de tailles moyennes.

À chaque fois le schéma est le même. Des investisseurs réhabilitent et modernisent des immeubles anciens et les revendent à des prix très supérieurs aux prix d’achats.

En achetant un immeuble d’un seul morceau, en le réhabilitant et en le revendant appartement par appartement, faisant ainsi une plus value sur chaque logement, les gains sont très nettement supérieurs qu’en revendant l’immeuble d’un bloc. C’est ce phénomène dit de vente à la découpe qui a reconfiguré beaucoup des grandes villes d’Europe (Marseille, Berlin, Budapest, Vilnius, Madrid…). Dans toutes les grandes villes d’Europe, on a assisté à un phénomène de « gentrification[28] »[29] (embourgeoisement) des centres-villes ou de quartiers autrefois populaires. Car la modernisation et la transformation des immeubles s’accompagnent de changements de populations. Les nouveaux propriétaires et les nouveaux locataires plus fortunés délogent peu à peu les ménages plus modestes[30]. Soit de façon directe par l’augmentation des prix de l’immobilier, des loyers et des charges, soit de façon indirecte par la transformation des quartiers liée à l’installation de ces nouveaux habitants qui par leur style et leur niveau de vie modifient l’ambiance des quartiers, quartiers qui peu à peu deviennent « étrangers » ou inaccessibles aux anciens habitants.

De plus, avec la décentralisation et l’accès à la propriété on décharge le contribuable pour faire payer l’usager. La vente de l’habitat public, notamment par la vente « forcée » des logements HLM[31] à leurs occupants, favorise la future pénurie. L’intérêt du marché immobilier est de perpétuer cette pénurie, car la demande de logement permet de faire grimper les prix.

À cela s’ajoutent les risques de la conception du « tous propriétaires », fondée sur le crédit dont la crise des « subprimes[32]» a démontré les limites et les dangers en générant la plus grande crise immobilière et banquière aux États-Unis[33], puis dans tout le monde occidental. L’un des symboles de cette crise est l’évolution qu’elle a provoquée dans le profil des mal-logés. Dans certains cas, cette crise a mis à la rue de nouvelles catégories de ménages jusque-là épargnés, dans d’autres, elle est devenue un accélérateur de ce phénomène.

Cette évolution dans le profil des mal-logés, beaucoup d’associations et d’organisations d’aide aux mal-logés la constatent. Ainsi, dans les rues, sous tentes, sous les ponts… il n’y a plus que des personnes seules et désocialisées. On y trouve aussi des familles, des parents exerçant des petits boulots, de l’intérim, des CDD à la petite semaine, et qui ne peuvent pas se loger décemment.

De plus dans des associations comme Comité Actions Logement[34], Droit au logement[35], qui jusque-là accueillaient souvent des familles d’origine étrangère parmi les plus discriminées, on voit de plus en plus arriver des personnes âgées, retraitées, des étudiants, des jeunes seuls ou en couples et plus forcément d’origine étrangère.

Les personnes qui vivent à la rue et par période en foyers d’urgence ou d’accueil, ne sont plus le modèle classique des « clochards » marginaux. Désormais, on recense majoritairement des travailleurs pauvres, qui survivent de petits boulots, qui n’ont pas les moyens de se loger. Ce sont souvent des hommes seuls, des jeunes, en recherches d’emploi, mais aussi de plus en plus de familles avec enfants, des femmes seules avec enfants, des retraités, ou simplement des personnes instables psychologiquement livrées à elles-mêmes…

Sur 66 000 personnes accueillies en centres d’hébergements et de réinsertion sociale[36], en établissements d’accueil mère-enfant, en centres réservés aux demandeurs d’asile… : 30 % sont des mineurs et 40 % des femmes (ces dernières représentent 21 % des personnes sans abri et en centre d’urgence). Cela témoigne d’une dégradation de la vie, d’un recul des protections sociales et surtout des effets néfastes du désengagement de l’État en matière de politique du logement.

Les États n’ont conservé qu’un rôle de voiture-balai, prenant à leur charge les victimes du système, peu ou pas solvables, exclues du parc de location privée, ne parvenant pas à accéder au parc public, incapables d’accéder à la propriété. L’intervention des États se limita alors de plus en plus à développer les aides personnalisées afin de rendre les ménages modestes solvables[37].

L'abandon des banlieues

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Les banlieues et les quartiers à fort taux de logements sociaux, ont été touchés par la crise de l'emploi et la fermeture de nombreuses entreprises accompagnant la fin de « l'ère industrielle ». Avec la fin du quasi plein emploi, ces villes et quartiers ont concentré peu à peu les ménages les plus modestes, les ménages d’origine étrangère, les chômeurs, les RMIstes… Ce phénomène fut accentué par le départ de ceux qui le pouvaient notamment avec les incitations multiples et les aides à l'accès à la propriété.

Face à la dégradation générale des bâtiments, des infrastructures, face à l’ampleur des besoins, l’État et les collectivités locales ont trouvé alors la pire des parades : la démolition.

Partout en Europe, on rase des immeubles, des quartiers, car on ne sait pas répondre aux problèmes sociaux concentrés dans ces quartiers.

Ainsi les logements détruits ne sont pas toujours en mauvais état ou très délabrés. Même si certains furent construits pour une durée de vie déterminée, leur durée de vie correspondait au temps nécessaire à la construction de bâtiments de remplacement de bon standing et de qualité meilleure, qui devaient accueillir de façon régulière, raisonnée et concertée, les anciens résidents des grands ensembles. Aujourd’hui, on rase vite, on déloge et on déplace des individus, au nom de la mixité sociale, sans concertation, ni même de consultation démocratique des habitants.

Ces politiques de démolitions et de déplacements des populations sont un double aveu : on ne s’attaque pas aux vrais problèmes des quartiers et des banlieues qui sont avant tout : la concentration de pauvreté, le manque d’emploi, d’équipements publics, d’infrastructures, de moyens de transport. C’est pourtant cette lutte contre la pauvreté qui est en définitive le moyen vraiment efficace pour faire disparaître les problèmes sociaux de ces quartiers. Ce n’est pas en éliminant les quartiers qu’on élimine la pauvreté. On suppose que le fait de saupoudrer quelques ménages de classe « moyenne » dans des quartiers populaires ou de mettre quelques pauvres au milieu de riches est bénéfique aux pauvres.

Lors de leur annonce, les politiques de démolitions garantissent que pour chaque logement social détruit on reconstruira un logement social neuf. Cet engagement en Allemagne comme en France n’est pas tenu. En France, moins d’un tiers de l’offre démolie a été reconstruite[38] au [39].

De plus, beaucoup des logements reconstruits sont toujours plus chers à la location et ils ne répondent qu’à une petite minorité de demandeurs de logements sociaux. En revanche, les logements détruits sont souvent des logements sociaux au loyer très faible, accessibles aux familles modestes et répondant à la très grande majorité de demandeurs de logements sociaux. Cette politique dite de rénovation urbaine, accentue le décalage entre l’offre et la demande de logements sociaux et aggrave la crise du logement.

Les effets néfastes de cette politique depuis l’année 2000 sont largement abordés dans le document que vient de publier la division logement de l’Insee[40]. Cette étude confirme ce que la fondation Abbé Pierre dénonce depuis des années dans ces rapports : il y a augmentation des mal logés et évolution du mal-logement. Le rapport 2010 de la Fondation Abbé Pierre (FAP) sur l’état du mal-logement en France, chiffre à 3,5 millions le nombre de personnes « non ou très mal logées ». La FAP inclut dans son estimation les personnes en location meublée et les ménages sous décision juridique d’expulsion. À cela s’ajoutent 6,6 millions de personnes « en situation de réelle fragilité à court ou moyen terme », correspondant à des difficultés relatives au maintien dans le logement. En tout, ce sont plus de 10 millions de personnes qui vivent mal.

La subdivision de logements

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Parfois associé au développement des phénomènes d'habitats groupés et de colocation (à Londres notamment), c'est un mode de production d'habitat[41] (parfois « alternatif »[42], encouragé par les contextes de crise du logement et c'est devenu en Europe et dans de nombreuses capitales (Beyrouth par exemple[43]) un phénomène très courant depuis les années 1990[44],[45],[46]. Elle contribue à la densification urbaine, et au phénomène de ville reconstruite sur elle-même[47], mais pas toujours dans de bonnes conditions pour la population.
Il a été montré que la subdivision de logements existants (généralement unifamiliaux) est très souvent source d’habitat indigne et insalubre, notamment car les réseaux d’eau, gaz, électricité, les écoles, les capacités de parking et de transport, ou systèmes de collecte et gestion des déchets n’ont pas été dimensionnés pour répondre aux besoins de cette nouvelle population[46],[48]. En France, la subdivision fut, par exemple, fortement augmentée en Seine-Saint-Denis et dans la métropole lilloise de 2000 à 2017, surtout dans les zones de forte demande en logements, à population modeste et où les logements sociaux font défaut, là où de nombreux logements individuels anciens sont présents à des prix permettant une bonne rentabilité. Dans le même pays, la loi ALUR a mis en place un « permis de diviser » et un « permis de louer », qui devraient limiter les risques de dérive (type marchands de sommeil)[46]. En outre les conditions de déclaration de mise en location de logement et d'autorisation préalable de mise en location de logement ont ainsi été précisés par deux arrêtés, dans le journal officiel de [46].

Notes et références

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  1. Jean Sasseville, « À quoi reconnaît-on une crise du logement? », sur Investir en immobilier à Montréal, (consulté le )
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Annexes

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Articles connexes

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Lien externe

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Bibliographie

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  • Claire Levy-Vroelant (Sous la direction de), Valérie Laflamme (Auteur), Collectif (Auteur), Thibault Tellier (Auteur), Douglas Robertson (Sous la direction de), Jim Smyth (Sous la direction de), Le logement précaire en Europe : Aux marges du palais Broché: 430 pages,  éd. L'Harmattan (), Collection : Habitat et sociétés, (ISBN 2296026079).