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Émile de Girardin

journaliste et homme politique français

Émile de Girardin, né Émile Delamothe (parfois écrit Émile de la Mothe) le [1],[2] à Paris où il est mort le , est un journaliste, homme d'affaires et homme politique français.

Émile de Girardin
Portrait d’Émile de Girardin par Nadar.
Fonctions
Député de la Seine
-
Député du Bas-Rhin
-
Député de la Creuse
-
Député de Tarn-et-Garonne
-
Député de la Creuse
-
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nationalité
Activités
Père
Conjoints
Delphine de Girardin (de à )
Wilhelmine Brunold de Tiefenbach (d) (à partir de )Voir et modifier les données sur Wikidata
Parentèle
Autres informations
Parti politique
Membre de
Cercle des chemins de fer (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Distinction

Théoricien du double marché, il est le fondateur de La Presse, quotidien parisien (1836) dont il réduit de moitié le prix de l'abonnement pour multiplier les souscripteurs et, par voie de conséquence, augmenter le nombre d'insertions publicitaires. Il est aussi connu pour avoir fait paraître dans La Presse les premiers romans-feuilletons, dont il partage l'invention avec son concurrent Armand Dutacq, directeur du journal Le Siècle.

Biographie

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Son enfance et ses débuts dans la littérature

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Émile de Girardin naît le , 4, rue Chabanais à Paris, chez l'accoucheur Bigot, sous le nom d’Émile Delamothe[3], nom qu'il porte jusqu'en 1827, année de sa majorité officielle. Toutefois, selon le Dictionnaire des contemporains de Vapereau, « son état-civil, qui lui donne pour famille des personnages imaginaires, le fait naître le 21 juin 1806 ; mais l'acte de notoriété qu'il a dû substituer plus tard à cette fausse déclaration reporte l'année de sa naissance à 1802 ». Conçu hors mariage, il fut éloigné de ses parents, élevé chez M. et Mme Choisel qu’il quitte en 1814 pour dix années d’apprentissage aux Haras du Pin, en Normandie. Il étudie au collège d’Argentan et découvre les livres dans la riche bibliothèque du château du Bourg-Saint-Léonard.

À 18 ans[4], il revient à Paris à la recherche de ses parents. Son père lui ouvre sa porte, mais pas sa mère (épouse d'un magistrat, Joseph-Jules Dupuy, qui s'était vu offrir aux colonies un emploi honorable). Émile se rend régulièrement à Châtenay-Malabry, chez son père, qui subvient à ses besoins. En 1827, il a 21 ans et se réapproprie le nom de ses ancêtres, en signant « Émile de Girardin » son premier roman Émile, en partie autobiographique, qui traite, dans le goût romantique de l’époque, de sa jeunesse. En 1829, il s’établit à Paris sur l’avenue des Champs-Élysées et il est nommé Inspecteur Adjoint des Beaux Arts. Girardin est un ami d'enfance de Laurent Boutmy, père d'Émile Boutmy, dont il est le parrain[5].

Sa famille

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Delphine Gay, 1re épouse de Girardin.
 
Wilhelmina Brunold von Tiefenbach, 2de épouse de Girardin.

Il est le petit-fils de René-Louis de Girardin, maréchal de camp, né à Paris en 1735 et mort à Vernouillet en 1808, issu de la noblesse des Gherardini de Florence, qui importa sur le continent le jardin anglais avec ses jardins d'Ermenonville. Le marquis de Girardin fournit à Jean-Jacques Rousseau une retraite sur sa terre d’Ermenonville et fait élever un monument funéraire sur le tombeau du philosophe dans l’île des Peupliers, située dans la parc de sa propriété. Il écrit un célèbre Traité de la composition des Paysages en 1777[6].

Il est le fils illégitime que le comte Alexandre Louis Robert de Girardin (1776-1855), fils cadet du précédent, et d'Adélaïde-Marie Dupuy (1775-1851), née Fagnan, fille d'un fonctionnaire des finances de l'Ancien Régime et femme de Joseph-Jules Dupuy, procureur impérial à la Guyane. Alexandre de Girardin sert dans l'armée lors des campagnes napoléoniennes et se distingue tout au long des guerres de l’Empire notamment à la bataille d'Austerlitz où, avec dix hommes, il fait 400 prisonniers et prend quatre pièces de canon, et à celle d’Ostrovno, où, avec deux bataillons, il repousse six mille Russes. Sa brillante conduite lui vaut le grade de général de division. Il se rallie aux Bourbons en et est nommé premier veneur de Louis XVIII et de Charles X.

Alexandre de Girardin reconnaît sa paternité, le , devant une commission de la Chambre des députés.

Le , à Paris IIe, Émile de Girardin épouse, en premières noces, la fille de la célèbre Sophie Gay, Delphine Gay, une femme remarquable par son esprit et ses talents littéraires[7], qui publie ses premiers poèmes dans la Muse française en . Son premier recueil, les Essais poétiques, obtient un grand succès, qui lui vaut une pension de 1 500 francs octroyée par le roi Charles X. En 1827, elle reçoit, à Rome, une ovation pour sa pièce Retour de romains captifs à Alger. Elle écrit des œuvres à succès, romans : Le Lorgnon, Le Marquis de Pontanges, La Canne de Balzac, Marguerite et aussi comédies : L’École des Journalistes, Lady Tartuffe, La Joie fait Peur. Après son mariage, elle écrit pour La Presse, le journal de son mari, sous les pseudonymes de « Léo Lespès », « Charles de Launay », « vicomte de Launay », etc.

D'une liaison avec Mme Brunetière (Clarisse Gabrielle Théresa Cabarrus, fille de Thérésa Cabarrus , Mme Tallien), il a un fils illégitime, Alexandre Émile de Girardin (1839-1911).

Delphine Gay morte le , il épouse, en secondes noces, le , à Paris IIe, la fille du prince Frédéric de Nassau et de son épouse morganatique Anne Ritter de Vallyemare, Wilhelmina Josephina Rudolphina « Mina » Brunold (1834-1891), titrée en 1844 comtesse de Tiefenbach. Une fille, qui mourra très jeune (1859-1865), naît de cette union. La dissolution de leur mariage a lieu en 1872.

 
Portrait en pied de la marquise d'Anforti
Carolus-Duran, 1873
Musée de Cambrai
en dépôt au
Musée d'Orsay

La Marquise d'Anforti dont Carolus-Duran a fait le portrait en 1873[8] a été sa maîtresse. Il lui a fait épouser le vieux marquis d'Anforti, pour qu'elle puisse bénéficier d'un titre[9].

Carrière journalistique

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Ses débuts

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Avec un ancien camarade de classe, du collège d’Argentan, Charles Lautour-Mézeray, Émile de Girardin fonde en 1828 un journal, Le Voleur. Composé d’articles pillés dans d’autres journaux, ce journal paraît tous les cinq jours. Avec les bénéfices engrangés, il crée La Mode, où l'on retrouve les plumes d'Honoré de Balzac, Charles Nodier, Alphonse de Lamartine, Eugène Sue, et les crayons de Valmont et Tony Johannot pour les illustrations. Girardin fréquente le salon de Sophie Gay, ce qui lui permet de rencontrer des écrivains romantiques et la fille de Sophie, Delphine Gay, qui devient sa femme en 1831.

Après la Mode, il crée avec Lautour-Mézeray Le Garde National (du au ) puis, en [10], le Journal des connaissances utiles qui aura un tirage de 125 000 exemplaires après 18 mois d'activités[11], et le Musée des familles en 1833.

La presse

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La publicité

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Émile de Girardin transforme la presse en concevant le principe du quotidien à bon marché ; il fonde La Presse en 1836, au moment où naît aussi Le Siècle d’Armand Dutacq (Le Siècle était financé par l’avocat et député Odilon Barrot, qui représentait sous la monarchie de Juillet la gauche opposée à Guizot). Le journaliste américain James Gordon Bennett senior a montré la voie quatre ans plus tôt en devenant l'éditeur du journal à bon marché New York Globe, puis en fondant, en 1835, le New York Herald.

 
Émile de Girardin, Les Contemporains, n°5, 1881. Dessin d'Alfred Le Petit qui évoque la mort d'Armand Carrel.

C’est le que parut pour la première fois en kiosque La Presse : un journal quotidien politique, agricole, industriel et commercial (un numéro modèle avait paru le ). Émile le qualifia de « journal qui occupe parmi les journaux français la place du Times en Angleterre et qui assiste le gouvernement sans être dans la dépendance d’aucun cabinet »[réf. nécessaire].

Il souhaitait créer un quotidien dans lequel la publicité jouerait un aussi grand rôle que la rédaction. Les frais de fabrication des journaux étant élevés, le quotidien se vendait relativement cher pour les budgets de l’époque, et les tirages étaient par conséquent assez bas. L’abaissement du prix d’abonnement, simultanément à l’introduction massive de la publicité, permet à La Presse de conquérir un large lectorat, alors que la baisse du cens électoral élargit le nombre d'électeurs potentiels[12]. Il s’oppose ainsi aux journaux de partis, réservés à un petit nombre de lecteurs et devient l'éditeur puissant et respecté d'une presse à grand public en divisant le prix de l’abonnement, qui passa de 80 à 40 francs. Le manque à gagner est compensé par les annonceurs auxquels il ouvre les colonnes du journal.

Girardin écrit ainsi, en 1838 :

« En France, l'industrie du journalisme repose sur une base essentiellement fausse, c'est-à-dire plus sur les abonnements que sur les annonces. Il serait désirable que ce fût le contraire. Les rédacteurs d'un journal ont d'autant moins de liberté de s'exprimer que son existence est plus directement soumise au despotisme étroit de l'abonné, qui permet rarement qu'on s'écarte de ce qu'il s'est habitué à considérer comme des articles de foi[12]. »

Le fort succès de La Presse suscita beaucoup de jalousie et de haine auprès des concurrents d’Émile Girardin, notamment une feuille appelée Le Bon Sens (qui disparaît en 1839)[12]. Poursuivi en diffamation par Girardin, Le Bon Sens fut soutenu par un entrefilet d'Armand Carrel, le fondateur du National (avec Thiers et Mignet). Armand Carrel et Émile de Girardin s'affrontent alors très durement. Le directeur du National accuse Girardin de concurrence déloyale. Ce dernier contre-attaque en publiant un article où il menace, entre les lignes, de révéler le nom d'un officier avec la femme duquel Carrel a une liaison[12]. Un duel, de pratique courante à l'époque dans le monde de la presse (Carrel comme Girardin n'en étaient pas à leur premier duel), oppose les deux rivaux au bords du lac de Saint-Mandé au bois de Vincennes, le [13]. Les deux coups de feu partent en même temps : Girardin est blessé à la cuisse, Carrel à l'aine ; il succombe à sa blessure deux jours plus tard, tandis que Girardin évite de peu l'amputation et jure de ne plus accepter de duel[12]. Chateaubriand déplora par la suite que le duel ait « privé la société d'un de ces hommes rares qui ne viennent qu'après le travail d'un siècle. »[12].

Le roman-feuilleton

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Le succès de la Presse, journal bon marché et de contenu très complet pour l'époque, est immédiat, mais il est vital pour Girardin de fidéliser son lectorat. Il y parvient grâce à la formule du roman-feuilleton et à la prépublication de romans à paraître tels que la Vieille Fille d'Honoré de Balzac qui fit la une d’un des premiers numéros et provoqua un scandale. La Presse publie d'abord La Comtesse de Salisbury d'Alexandre Dumas, puis d'autres œuvres du même auteur. Le journal embauche des équipes d’auteurs qui écrivent pour les goûts du public. La publication de roman-feuilleton devient un argument publicitaire attirant un large lectorat : l’auteur est au service du journal et ne doit pas déplaire aux lecteurs. En cas de succès, il faut allonger le récit, quitte à le terminer brutalement quand le public se lasse.

Le tirage qui est de 13 480 exemplaires passe rapidement à 63 000[réf. nécessaire], grâce, notamment, à l'association de Girardin avec le banquier Dujarrier.

Girardin confie à Théophile Gautier le rôle de critique d’art : son premier article eut pour sujet les « Peintures de la Chambre des députés » d'Eugène Delacroix. Théophile Gautier fut également le critique dramatique du journal. La femme de Girardin, Delphine Gay, prit la rubrique Le Courrier de Paris sous le pseudonyme de « Vicomte de Launay ».

Différents romans feuilletons apparus dans La Presse :

La Presse est vendue par Girardin en 1856 et connaît plusieurs propriétaires successifs comme Auguste Nefftzer, Alphonse Peyrat, Adolphe Guéroult de Mirés, Arsène Houssaye... Girardin le récupère en 1862. Mais le succès décline et Girardin rachète en 1866 un autre journal, La Liberté, journal d'opposition au Second Empire dont la vente est interdite dans la rue. Puis sous sa direction paraissent Le Petit Journal (qui invente le supplément hebdomadaire illustré) et Le Moniteur universel en 1872.

Carrière politique

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Ancien siège du journal La France, rue Montmartre à Paris.

Il est député de la Creuse (1834-1839, 1846-1848), de Tarn-et-Garonne (1842-1846), du Bas-Rhin (1850-1851), puis de la Seine (1877-1881)[14].

Le , Girardin est décoré de la Légion d'honneur[15].

Un conservateur-progressiste sous la monarchie de Juillet

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Caricature de l'Assemblée législative par Charles-Marie de Sarcus. Émile de Girardin chasse les députés.

Depuis la Révolution de juillet 1830, le roi Louis-Philippe Ier gouverne avec l'appui de libéral Guizot auquel Girardin s’oppose. Lors de la révolution de février 1848, Girardin n'entre pas immédiatement de façon claire et décisive dans l’opposition, mais dès que le général Cavaignac rétablit le cautionnement autrefois exigé des journaux, il participe aux Journées de Juin. Cette insurrection ouvrière qui a éclaté à Paris est sauvagement réprimée. Il est emprisonné à la Conciergerie et, à partir du , le journal La Presse sera suspendu (pour reparaître dès le mois d’).

 
MM. Victor Hugo et Émile Girardin cherchent à élever le prince Louis sur un pavois, ça n'est pas très solide ! Caricature de Daumier en 1848.

En 1848, le journal de Girardin donne son appui à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la république. Mais avec le coup d'État du 2 décembre 1851, Émile de Girardin se déclare fortement opposé à la restauration du régime impérial et, menacé, part en exil à Bruxelles avec sa femme Delphine, aux côtés de Victor Hugo ; quelques mois après, ils sont de retour à Paris.

Un libéral sous le Second Empire

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Le , il se déclare opposé au retour de l’Empire, dont on parle de plus en plus à Paris. Cependant, le , il affirme dans son éditorial qu’il combattra l’Empire jusqu’au jour où se fera celui-ci. Lorsque le , le rétablissement de l'Empire est voté par plébiscite, il accepte l’Empire qui vient de naître, mais refuse l’arbitraire, les atteintes aux libertés. De nombreuses sanctions vont être prononcées, à son encontre à la suite de nombreux articles, où l'homme de presse attaque la politique du nouveau régime. Cependant, le , il pose la plume et se contente des tâches administratives de son journal, alors que sa femme est gravement malade d’un cancer de l’estomac. Elle meurt le , laissant un Girardin fou de douleur. S'ensuit une parenthèse dans sa vie, où il se tient à l'écart de la vie politique et en profite pour rédiger un recueil de 12 volumes contenant nombre de ses articles passés.

En 1862, il se décide pourtant à revenir à La Presse. À cette époque l’ouverture libérale n’est encore qu’une espérance soigneusement entretenue par le président du corps législatif, Morny. Celui-ci connaît les périls menaçant l’Empire autoritaire et, faute d’être écouté par son demi-frère l'empereur, il use de la tribune à l’assemblée pour lancer ses idées. Des élections sont prévues pour le . Girardin réfléchit depuis des semaines à la tactique la mieux appropriée. Deux élus de l’opposition, Jules Favre et Émile Ollivier doivent retourner devant les électeurs. Avec Jules Ferry et Léon Gambetta, deux jeunes avocats, ils publient un Manuel électoral afin que les Français sachent bien comment et pourquoi l’on vote. Girardin n’est plus député et il ne veut pas le redevenir, il veut simplement la liberté, avec l’Empire s’il le faut. Il devient le chef de l’état-major de l’opposition constitutionnelle, celle qui, comme Girardin, veut une libéralisation sans changement de régime. Il organise une sorte de comité électoral pour soutenir les candidats de l’opposition, en y conviant outre La Presse, Le Siècle, Le Journal des débats. Au soir du , c’est dans les bureaux de La Presse que les libéraux attendent le résultat du vote. C’est le triomphe dans la capitale comme en province, la majorité est battue. Le pouvoir ne s’y trompe pas, c’est la campagne de La Presse et de Girardin qui a provoqué ce revers. Le il est convoqué au ministère de l’Intérieur, et on lui interdit de parler désormais de la prépondérance des classes ouvrières dans les élections. L’empereur n’a pas apprécié, mais Girardin continue d’être invité aux réceptions impériales. Il harcèle le pouvoir au risque de sanctions qui ne tardent pas à tomber. C’en est trop pour les actionnaires et quand Clément Duvernois, qui deviendra ministre de l’Agriculture en 1870, reçoit deux avertissements au début 1866, il demande son départ. Girardin décide d'accepter cette demande, et quitte La Presse.

 
Caricature de Girardin.

Morny, mort en 1865, n’assistera pas à la montée du libéralisme. Pourtant, dès 1863, un ministre libéral a été nommé à l’Instruction publique, Victor Duruy, et l’année suivante, le droit de grève a été reconnu ; il y a également des projets sociaux mais rien de définitif. L’Empire vit comme il peut de ses contradictions. Politiquement, il se réclame de l’adhésion populaire, mais n’accorde les libertés qu’avec parcimonie. Émile Ollivier continue sa route sans Morny, et Girardin prend à côté de lui la place du demi-frère de l’Empereur. Il devient le mentor de l’avocat marseillais, aussi ambitieux que lui mais moins doué, roué. Ollivier demande l'ouverture libérale à deux reprises le et le . Mais Napoléon III reste passif. Girardin enrage et dans La Liberté, il écrit des articles véhéments contre l’Empire autoritaire. Il doit alors faire face à des poursuites pour excitation à la haine et au mépris du gouvernement.

Aussitôt après les élections législatives de 1869, qui témoignent une nouvelle poussée libérale, Rouher propose à l’empereur d’aller chercher une nouvelle légitimité, et de conclure un pacte directement avec le pays. Il veut un plébiscite. Napoléon III n’y croit guère et refuse. Premier ministre le , parce que le « tiers parti » est le grand vainqueur des élections, Émile Ollivier reprend à son compte l’idée du plébiscite et l’impose à l’empereur. Encore fallait-il de l’aide pour réussir. Émile de Girardin accepte de rentrer en scène. Il met La Liberté à la disposition d’Ollivier, au service de l’empereur. Il fait campagne pour le oui au plébiscite. Le les résultats sont connus : 7 350 142 voix pour le oui contre 1 538 825 voix contre. Le , Émile de Girardin vend La Liberté pour un million de francs mais continue à publier des articles. Seule explication à ce départ : Émile de Girardin a reçu l’assurance qu’il sera bientôt sénateur, ce qui est fait le , lorsque le décret est enfin signé à Saint-Cloud. Il est fait sénateur d’Empire et il ne l'est que quelques semaines avant que la France ne déclare la guerre à la Prusse.

La réconciliation avec Thiers et la défense de la République

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Caricature d'Émile de Girardin parue dans Le Trombinoscope de Touchatout en 1872.

Après la chute de l'Empire, au mois de , Girardin voit son nouveau journal interdit par les communards parisiens et se décide à rejoindre les Versaillais. Thiers s’apprête alors à reprendre Paris mais il veut entendre Girardin ; le voici de nouveau éminence grise, expliquant comment Gambetta et les hommes du ont aggravé les conséquences de la défaite et indirectement provoqué la Commune. Le , dès le début de l’après midi, un quart de la ville est reprise. Le , des milliers de communards et de nombreux otages des communards sont fusillés froidement et les principaux bâtiments brûlés. Le , le combat est fini. Paris est en ruine et des Parisiens se vengent des communards en adressant 175 000 lettres de dénonciation en deux semaines au gouvernement. Paris est à reconstruire, l’unité nationale à refaire. Thiers s’y prépare comme Gambetta. Girardin y songe. L’homme hésite toujours entre sa vocation d’homme de presse et ses ambitions politiques.

Girardin définitivement réconcilié avec Thiers, ils s’épaulent mutuellement. Le , dans les 46 départements où l’on vote, monarchistes et bonapartistes s’effondrent ; ce sont les républicains modérés proches de Thiers qui l’emportent. Même à Paris, ni Gambetta, ni Hugo, ni Clemenceau, l’aile gauche des républicains, ne sont élus. Dans cette victoire, Girardin peut revendiquer sa part. Il a entraîné du côté de Thiers la plus grande partie de la presse parisienne. Son « Union parisienne de la presse » n’a pas caché son attachement à l’ordre et à la paix, et son aversion pour Gambetta. Il y a 26 journaux, 11 s’étaient prononcés contre la Commune et 10 allaient être interdits entre mars et mai. Ces journaux entendent recommander et soutenir les candidatures qui seront en harmonie avec le but qu'ils se sont fixé : la paix publique.

 
Portrait d'Émile de Girardin, par Carolus-Duran, 1875 (Palais des Beaux-Arts de Lille)

En 1875, c’est la IIIe République qui naît, presque par hasard : l’amendement Wallon est voté à une voix de majorité. Thiers songe aux combats qui lui restent à mener pour atteindre une authentique république libérale. Il a besoin de Gambetta, et Girardin aide Thiers et Gambetta à discuter. Girardin à ce moment écrit : « Si la France ne veut pas de la République, il faut qu’elle renonce au suffrage universel ; mais si elle tient au suffrage universel, elle n’a qu’à prendre parti et à organiser franchement la République ». La curieuse alliance des trois hommes connaît son apothéose en 1877. La crise politique est déjà sérieuse : la République est toujours fragile.

En survient l’incident : l’Assemblée vote un texte retirant les délits de presse aux tribunaux correctionnels pour les rendre à la compétence des jurys, une réforme que les monarchistes et Mac Mahon jugent périlleuse. C'est l'occasion pour le président de se séparer de son premier ministre, Jules Simon. Curieusement, Girardin a eu peur de cette réforme favorable à la presse, comme s’il devinait en arrière-plan les risques politiques. Le , Simon démissionne. La crise politique est ouverte. Le jour même, les 363 députés républicains se réunissent et adoptent un manifeste. Les Républicains ont leurs grands hommes : Gambetta et Thiers. Il leur faut un porte-parole : Girardin. Celui-ci, dans ces deux journaux qui tirent au total à 700 000 exemplaires, se met au service de la cause républicaine. Le combat mené par les trois hommes est gagné ; les 14 et , les électeurs confirment leur adhésion à la République. Thiers ne l’a pas vue, il est mort le . Gambetta doit pourtant se contenter de la présidence de la Chambre de 1879 à 1881 et n'est que deux mois et demi chef du gouvernement.

Le retour en politique

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Émile de Girardin n’a pas voulu être candidat aux élections d’. Il prépare pourtant déjà son retour à la vie politique. Il a décidé de se débarrasser d’une réputation encombrante ; celle d’avoir été belliciste militant en 1870. Il se justifie, mais en accusant : tout au long de l’été, lorsque la campagne contre Mac-Mahon et son premier ministre de Broglie lui en laisse le temps, il rassemble preuves et documents qui démontreront la totale impréparation des troupes impériales. Le , il achève ses douze pages d’introduction, et la brochure sort un peu plus tard sous le nom de Dossier de la guerre de 1870 publié sous le patronage de La France. Ainsi purifié il peut retourner devant les électeurs. Un siège est à pourvoir le  : celui que Jules Simon a laissé vacant, celui que Thiers a longtemps occupé, le siège du 9e arrondissement de Paris. Émile de Girardin est élu député de la Seine avec 11 076 voix.

Quand il retrouve l’hémicycle, il a 72 ans. Pour ce dernier mandat, le rôle lui échoit, avec d’autres députés, de préparer la loi sur la presse. Il en est la cheville ouvrière, presque le père naturel. Il se passionne pour le travail de la commission (qu’il préside) et veille à ce que les textes organisent bien la liberté et non pas de nouvelles contraintes. La loi de 1881 est en préparation. Son influence politique, Girardin l’exerce de diverses façons : par ses articles de La France, mais ils se raréfient, ainsi que par son action à l’Assemblée. Il oriente la commission préparant la loi sur la presse dans deux directions fondamentales : la liberté de publier sans restriction, c'est-à-dire sans les mesures administratives préventives qui seront interdites, sans que subsiste quelque chose ressemblant à un délit d’opinion ; la liberté d’entreprendre la plus généreuse, avec toutes les possibilités offertes au capitalisme naissant pour venir investir dans la presse.

 
Testament olographe d’Émile de Girardin, . Archives nationales.

Il meurt en 1881, l’année du vote de la loi qui institue en France le principe de la liberté de la presse. Ses dernières volontés, exprimées in extremis dans un testament rédigé de sa main sont déposées chez son notaire le [16].

Combats et idées politiques

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Toute sa vie, Émile de Girardin est un farouche opposant à toutes les mesures qui entravent la liberté de la presse. De même en matière de politique étrangère, il n'hésite jamais à dire ce qu'il pense sur les questions géopolitiques.

Opposition à la censure

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Dans ses écrits intitulés L’empire avec la liberté et La révolution légale ainsi que dans Journal d’un journaliste tenu au secret, Émile de Girardin explique qu’il tient pour légitime l’homme politique qui défend la liberté de la presse, qui ne la censure pas. En 1857, il explique que son journal La Presse a échappé de 1852 à 1856 à la suspension, mais vient d’être suspendu pour deux mois à cause d’un article, qui parlait de progrès démocratique et de la véritable liberté du suffrage universel comme de la véritable liberté des élections, en ferme opposition avec le gouvernement de Napoléon III, qui tentait de contrôler les résultats des votes en imposant les candidats pour lesquels voter. Puis Girardin explique qu’il met au premier rang des libertés publiques « incontestablement la liberté de la presse et la liberté individuelle ». Pour lui les trois dernières révolutions (celles de 1830, , ) ont eu lieu avant tout pour la défense des libertés bafouées. Devenu député - à partir de 1834 - Émile de Girardin, dès 1835, vote contre les lois restreignant la liberté de la presse, devenant sur cette base un opposant à Guizot et à Thiers. Il écrit une lettre à Thiers sur l’abolition de la misère par l’élévation des salaires. Dans Le Bien-Être Universel, en 1852, Émile de Girardin s’oppose à la loi rétablissant le « timbre », une taxe imposée sur chaque exemplaire de journal, qui contraignait les éditeurs de presse à augmenter le prix de chaque exemplaire vendu avec des retombées désastreuses sur le prix des abonnements[17].

Son opinion en matière de politique étrangère

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Dans son livre La Honte de l’Europe, Émile de Girardin affirme que l'Empire ottoman remet en question la paix du monde. Pour le démontrer, il s’appuie sur les articles du journal anglais The Times. Il récuse la politique de la Sublime Porte qui selon lui ne tient aucun de ses engagements. Girardin s’oppose donc au prêt important de la France à l'Empire Ottoman puisqu’il ne sert qu’au sultan. Il dénonce la « démence héréditaire et incurable des Sultans » aptes seulement à dépenser inutilement : « ces sultans qui dépensent follement les millions de l’Angleterre et de la France ». Il affirme qu’avec cet argent les sultans préfèrent construire de nouveaux palais au lieu de développer et augmenter les voies de communication, les voies de transport et les échanges. Il regrette que cet argent ne serve pas même à paver les rues de Constantinople, mais aux caprices des sultans qui jouent à « se construire des palais qu’ils démolissent après les avoir bâtis ». Il qualifie l'islam de religion intolérante, citant John Lemoinne qui allègue que « le Coran ne repose que sur une guerre éternelle aux infidèles, le Coran défend aux croyants de s’arrêter dans leur carnage et dans leur conquête avant que le monde entier ait été soumis à l’islamisme ». Émile de Girardin va jusqu'à dire que les Turcs ne se sont pas modernisés et qu’ils en sont toujours à un état de leur société semblable à ce qui était quatre siècles auparavant, c'est-à-dire au XVe siècle.

En 1870, la France voulait la guerre contre la Prusse et la presse n'était pas la dernière à être belliciste, y compris le journal La Liberté. C'est ainsi que le , Girardin écrit dans un article : « Si la Prusse refuse de se battre, nous la contraindrons à coup de bottes à repasser le Rhin et à vider la rive gauche ». Pourtant, dès 1874, ses positions politiques étonnent, lorsqu'on le voit demander le rapprochement franco-allemand, malgré sa posture belliciste en 1870.

Féministe

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Il est l'un des premiers à se déclarer féministe dans les tribunes d'un journal[Lequel ?], fait qui a pu participer à la popularisation et à la promotion de ce mot, alors que l'origine du terme féministe date de cette période-là[réf. nécessaire].

Principaux écrits politiques et sociaux

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  • De la presse périodique au XIXe siècle (1837)
  • De l'Instruction Publique (1838)
  • Études politiques (1838)
  • De la liberté de la presse et du journalisme (1842)
  • Le Droit au travail au Luxembourg et à l'Assemblée Nationale (2 volumes, 1848)
  • Avant la Constitution précédée d’une Réponse à Timon (1848)
  • Journal d’un journaliste au secret (1848), Paris, Libraires-Éditeurs : Michel Levy Frères, 1848, 144 p.
  • Bon sens et bonne foi (1848)
  • Les Cinquante-deux (1849), une série d'articles sur les questions parlementaires courantes
  • La Politique universelle, décrets de l'avenir (1852)
  • Questions de mon temps, 1836 à 1846 (12 volumes, 1858), articles extraits de la presse quotidienne et hebdomadaire
  • La Révolution Légale par la présidence d’un ouvrier : solution démocratique de 1852, Paris, A la libraire nouvelle, 1851, 24 p.
  • L’Empire avec la liberté, Libraires-Éditeurs : Michel Levy Frères, 1859, 160 p.
  • Les Droits de la pensée : questions de presse : 1830-1864[18] et sa préface introductive
  • Lettre sur la philosophie de l'histoire, avec François-Odysse Barot, Éd. Germer Baillière, coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine» (1864)
  • Le Condamné du (1867), un compte rendu de ses différends avec le gouvernement impérial de 1867 (quand il sera condamné à une amende de 5000 fr. pour un article paru dans La Liberté)
  • Le Gouffre. Questions des années 1870 et 1871, Henri Plon, 1871. Textes datés du au , avec un soutien explicite à Adolphe Thiers.
  • La Honte de l’Europe, Paris, Imprimeurs-Éditeurs: E. Plon et Cie, 1876, 79 p.
  • Le Dossier de la guerre (1877), recueil de documents officiels

Timbre poste

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Le , l'administration des PTT émet un timbre-poste dessiné par Huguette Sainson pour le centenaire de la loi du dont l'article 1er stipule que pour la « Presse, l’imprimerie et la librairie sont libres » ; ce timbre représente les effigies de Théophraste Renaudot, pour le 350e anniversaire de la parution de La Gazette, et d'Émile de Girardin, fondateur du journal La Presse, pour le 100e anniversaire de sa mort[19].

Notes et références

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  1. « Émile de Girardin », sur assemblee-nationale.fr (consulté le ).
  2. Alors que son acte de naissance, fabriqué pour dissimuler ses origines illégitimes, faisait état d'une naissance le 21 juin 1806 en Suisse, un acte de notoriété du 2 mai 1834 a fixé approximativement sa naissance en 1802, et un jugement du 26 avril 1839 déclare qu'il est né en France.
  3. Ces Creusois qui ont fait l'histoire de Robert Guinot Édition Lucien Souny 2006 page 104.
  4. Société archéologique et historique de Clermont Auteur du texte, « Comptes-rendus & mémoires de la Société archéologique et historique de Clermont-de-l'Oise », sur Gallica, (consulté le )
  5. François Leblond et Renaud Leblond, Émile Boutmy, le père de Science Po, A. Carrière, (ISBN 978-2-84337-698-6)
  6. Voir René-Louis de Gérardin [sic], De la composition des paysages : ou Des moyens d'embellir la nature autour des habitations, Paris, s.n., , 176 p. (lire en ligne sur Gallica).
  7. Ce mariage a donné lieu à la rédaction d'un contrat passé devant notaire, le et dont la minute est conservée au Minutier central des notaires de Paris, département des Archives nationales (site de Paris) ; document coté MC/ET/LXIV/656.
  8. Carolus-Duran, « La Marquise d'Anforti », sur webmuseo.com (consulté le )
  9. Marcel Thomas, Esterhazy ou l'Envers de l'affaire Dreyfus, Vernal-Philippe Lebaud, , 581 p. (ISBN 9782865940493, lire en ligne)
  10. Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française, Paris, Librairie de Firmin Didot Frères, Fils et Cie, , 660 p. (lire en ligne), p. 377
  11. ALBERT, Pierre. le Journal des connaissances utiles de Girardin (1831-1836) ou la première réussite de la presse à bon marché. Revue du Nord, Tome LXVI, no 261-262, avril-septembre 1984
  12. a b c d e et f Jean-Noël Jeanneney, « Le duel Carrel-Girardin », L'Histoire, no 342, mai 2009, p. 88-89.
  13. Bulletin de la Société Chateaubriand, nos 32-34, éditions Société Chateaubriand, 1989, p. 114.
  14. « Girardin (Émile de) », dans Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Edgar Bourloton, 1889-1891 [détail de l’édition] [texte sur Sycomore]
  15. « Cote LH/1146/58 », base Léonore, ministère français de la Culture
  16. Le document est consultable aux Archives nationales - site de Paris, sous la forme d'un microfilm coté MC/MI/RS/920 Acte reçu par Me Joseph LAVOIGNAT (cote originelle MC/ET/CIX/1324)
  17. « Chaque fois que le gouvernement, quel qu'il fût, s'est défié de la liberté, M. Émile de Girardin l'a prévenu qu'il s'exposait à un danger. Sur ce point il était intraitable, nous dirons intransigeant pour user d'un mot à la mode. » La Presse, édition du 28 avril 1881
  18. « Les droits de la pensée : questions de presse : 1830-1864 », sur Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, (consulté le )
  19. Timbre Presse (2143), La Poste, consulté le .

Voir aussi

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Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

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  • Odysse Barot, Histoire des idées au XIXe siècle : Émile de Girardin, sa vie, ses idées, son œuvre, son influence, Paris, Michel Lévy frères, (lire en ligne)
  • Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant, 1836 : l’an 1 de l’ère médiatique, Analyse littéraire et historique du journal La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde, 2001.
  • Jean Claude Garrigues, Lacombrade, Philippe, La France au XIXe siècle 1814-1914, Paris, Armand Colin, 2004, 191 p.
  • Louis-Julien Larcher, Émile de Girardin, Paris, Garnier Frères, (lire en ligne)
  • Eugène de Mirecourt, Les Contemporains : Hommes de lettres, publicistes, etc., etc., vol. 3 : Émile de Girardin, Paris, Gustave Havard, , 4e éd. (lire en ligne)
  • Pierre Pellissier, Émile de Girardin, Prince de la Presse, Denoël, 1985, 420 p.
  • Guy Thuillier, « Les idées politiques d’Émile de Girardin », Revue Administrative, 1959, no 68, p. 134-143.
  • Maurice Reclus, Figures du passé, Émile de Girardin, le créateur de la Presse moderne, Hachette, 1934, 239 p.
  • Le Figaro du , article de Marie-Louise Pailleron.
  • « Émile de Girardin », dans Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Edgar Bourloton, 1889-1891 [détail de l’édition]

Articles connexes

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Liens externes

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