Histoire naturelle (trad. Littré)/II
1(I.) Le monde, ou, ce que l’on est convenu d’appeler d’un autre nom, le ciel, qui embrasse tout dans ses replis, doit être considéré comme une divinité éternelle, immense, sans commencement et sans fin. Rechercher ce qui est en dehors est sans intérêt pour les hommes, et au-dessus des conjectures de leur esprit. Le monde est sacré, éternel, immense, tout dans tout, et, à bien dire, il est lui-même le tout ; infini, il semble être fini ; possédant la certitude de toutes choses, il semble livré à l’incertitude ; au dehors, au dedans, il renferme tout en soi ; il est à la fois l’œuvre de 2la nature et la nature elle-même. Ce fut une folie à quelques-uns de s’être occupés à en chercher l’étendue, et d’avoir eu la prétention de l’indiquer ; ce fut une folie à d’autres, qui s’appuyèrent de ces essais ou qui y donnèrent lieu, d’assurer qu’il y avait une infinité de mondes ; de sorte qu’il faudrait croire ou à une infinité de natures, ou, si une seule nature présidait à tout, à une infinité de soleils, à une infinité de lunes, et autres astres, qui seraient, comme ils le sont déjà dans notre seul monde, immenses et innombrables. Est-ce que la pensée arrivée au terme ne se fera pas toujours la même question, par le désir de toucher à une limite ? ou, si l’on peut accorder l’infini à la nature artisan de tout, n’est-il pas plus facile de concevoir cet infini dans une seule œuvre, surtout si l’on se représente combien elle est grande ? 3Folie, pure folie, de vouloir sortir du monde et d’en scruter l’extérieur, comme si l’intérieur en était déjà tellement connu ! Et d’ailleurs, comment un être qui ne connaît pas sa propre mesure pourrait-il mesurer quoi que ce soit ? ou l’esprit de l’homme voir des choses que le monde lui-même ne renferme pas ?
1(II.) Le monde a la forme d’un globe parfait, ce qu’indique d’abord ce nom de globe que les hommes lui ont donné unanimement ; puis les faits le démontrent. En effet, non seulement une telle figure a toutes ses parties convergentes l’une vers l’autre, elle se supporte elle-même, elle se renferme et se contient, n’ayant besoin d’aucun lien, et ne présentant nulle part ni commencement ni fin :2 non seulement elle est la plus appropriée au mode de révolution qui, comme nous le verrons bientôt, lui appartient, mais encore les yeux en rendent témoignage ; car, de quelque point qu’on le regarde, il offre une voûte dont le spectateur occupe le centre, ce qui ne peut être que dans la figure sphérique.
1(III.) Cette figure, animée d’un mouvement éternel et sans repos, exécute sa révolution avec une vitesse ineffable dans l’espace de vingt-quatre heures : c’est un fait sur lequel le lever et le coucher du soleil n’ont laissé aucun doute. Faut-il croire que le bruit produit par la rotation perpétuelle d’une masse aussi énorme est infini, et par là échappe à notre ouïe ? C’est ce que je ne puis dire, pas plus que je ne dirai si le son produit par les astres qui se meuvent ensemble dans leurs orbes est un concert d’une harmonie et d’une suavité incroyable. 2Pour nous, placés dans l’intérieur, le monde, le jour comme la nuit, chemine silencieusement. Un nombre infini d’images d’animaux et de choses de toute espèce est empreint sur la voûte céleste. En vain des auteurs d’un grand nom ont dit qu’elle était d’un poli uniforme, comme est l’œuf des oiseaux ; les faits montrent le contraire, car de là tombent les germes de toutes choses, qui, se confondant souvent, donnent naissance, surtout dans la mer, à des formes innombrables et monstrueuses : 3en outre, nous y découvrons par la vue, ici un chariot, là un ours, là un taureau, ailleurs la figure d’une lettre, et un cercle blanchâtre qui en traverse le point le plus élevé. (IV.) J’ajouterai que le consentement des hommes me touche ; car ce que les Grecs ont appelé κόσμος, d’un mot qui signifie ornement, nous l’appelons monde, d’un mot qui indique une élégance parfaite et suprême. Le ciel (cœlum), sans aucun doute, tire son nom du mot ciseler (cœlare), d’après l’étymologie de M. Varron, à laquelle l’arrangement de l’univers vient en aide, puisque le cercle appelé zodiaque est marqué de douze figures d’animaux parcourues (1) par le soleil, selon un ordre qui ne se dément pas depuis tant de siècles.
1(V.) Quant aux éléments, je remarque qu’il ne s’élève aucun doute ; on en compte quatre : le feu occupe la région supérieure, de là tant d’étoiles qui brillent comme autant d’yeux au haut du ciel. Au-dessous vient l’air, qui porte le même nom dans notre langue et dans celle des Grecs : il est le souffle de vie, il pénètre à travers toutes choses, il n’est rien où il ne soit insinué. Par la force de l’air, la terre, avec l’eau, quatrième élément, est suspendue en équilibre au milieu de l’espace. C’est l’entrelacement mutuel de ces éléments divers qui en constitue le lien ; les substances légères sont retenues par les substances pesantes, qui ne leur permettent pas de s’élever ; et, par compensation, les substances pesantes ne peuvent tomber, tenues en suspension par les substances légères, qui tendent à monter. 2Ainsi un effort égal en sens contraire maintient dans leur place les choses resserrées encore par le mouvement circulaire du monde, que rien n’arrête. Dans cette révolution éternelle de l’univers, la terre est au fond et au milieu de l’ensemble ; elle est le point cardinal du monde, tenant en équilibre ce qui la tient elle-même en suspension. De la sorte, elle est seule immobile, tandis que tout se meut autour d’elle ; elle a des liens dans toute chose, et toute chose s’appuie sur elle. (VI.) 3Entre elle et le ciel, la même force de l’air tient suspendus à des intervalles réglés sept astres que nous appelons errants à cause de leur marche, bien que rien ne soit moins errant que ces corps. Au milieu de ces astres roule le soleil, dont la grandeur et la puissance l’emportent sur tous les autres, et qui gouverne non seulement nos saisons et nos climats, mais encore les astres et le ciel lui-même. Il est la vie ou plutôt l’âme du monde entier ; il est le principal régulateur, la principale divinité de la nature : c’est du moins ce qu’il faut croire, si nous en jugeons par ses œuvres. 4C’est lui qui donne la lumière aux choses, et qui enlève les ténèbres ; c’est lui qui éclipse et qui illumine les autres astres ; c’est lui qui règle, d’après les besoins de la nature, les alternatives des saisons, et l’année toujours renaissante ; c’est lui qui dissipe la tristesse du ciel, et qui même écarte les nuages jetés sur l’esprit humain ; c’est lui qui prête sa lumière aux autres corps célestes. Admirable, sans rival, il voit tout, il entend même tout ; double attribut que je trouve accordé à lui seul par Homère, le prince des lettres (Ib. III, 277).
1(VII.) Aussi c’est, je pense, le fait de la faiblesse humaine, que de chercher l’image et la forme de Dieu. Quel que soit Dieu, si tant est que ce n’est pas le soleil, et en quelque région qu’il réside, il est tout sensation, tout œil, tout oreille, tout âme, tout vie, tout lui-même. Croire qu’il y en a un nombre infini, et quelques-uns même imaginés d’après les vertus et les vices des hommes, tels que la Pudicité, la Concorde, l’Intelligence, l’Espérance, l’Honneur, la Clémence, la Foi, ou croire avec Démocrite qu’il n’y en a que deux, la Peine et le Bienfait, c’est passer les bornes de la stupidité. 2L’humanité débile et souffrante, se souvenant de sa faiblesse, a établi ces divisions, et voulu que chacun pût adorer celle dont il avait le plus besoin. Aussi voyons-nous les noms des dieux changer avec les nations, et chacune avoir des divinités innombrables. Les divinités infernales elles-mêmes sont divisées en classes, ainsi que les maladies et beaucoup de fléaux qui épouvantent, et qu’on voudrait par là détourner. Ainsi l’État a consacré un temple à la Fièvre sur le mont Palatin, un autre à la déesse Orbona (2) auprès de celui des dieux Lares, et un autel à la Mauvaise Fortune dans les Esquilies. 3On peut croire que la population des êtres divins est plus considérable que celle des hommes, car d’une part chaque individu se fait pour lui un dieu, adoptant un Génie, une Junon qui n’est qu’à lui ; d’autre part les nations ont pour divinités certains animaux, même des animaux immondes, et bien d’autres choses plus honteuses à rapporter ; et l’on y jure (3) par l’oignon fétide (XIX, 32), l’ail, et objets semblables. Quant à croire qu’il y a des mariages entre les dieux, sans qu’il en naisse personne depuis un si long espace de temps ; quant à s’imaginer que les uns sont âgés et toujours en cheveux blancs, les autres jeunes, enfants, noirs, ailés, boiteux, issus d’un œuf, vivant et mourant alternativement, ce sont là des rêveries presque puériles. 4Mais ce qui passe toute impudence, c’est de supposer des adultères entre eux, puis des querelles et des haines, et même de se figurer des divinités protectrices du larcin et du crime. L’homme devient dieu pour l’homme en le secourant ; ce chemin est celui de la gloire éternelle. C’est dans cette voie qu’ont marché les héros de Rome ; c’est dans cette voie que d’un pas divin marche maintenant avec ses fils le plus grand souverain de tous les âges, Vespasien, dont les mains soutiennent l’empire affaissé. 5La plus ancienne coutume de rendre grâce à des bienfaiteurs, c’est de les mettre au rang des dieux. En effet, les noms de toutes les divinités et ceux des astres, que j’ai rapportés plus haut, sont ceux de personnages bienfaisants pour l’humanité. Ira-t-on dire qu’il y a un Jupiter ou un Mercure, des dieux désignés par des noms à eux, et une liste de personnages célestes ? qui ne voit que l’explication de la nature rend digne de risée une pareille imagination (4) ? 6Quant à la cause suprême, quelle qu’elle soit, lui attribuera-t-on le soin des choses humaines ? ou supposera-t-on qu’elle ne se souille pas par un ministère aussi triste et aussi minutieux ? Lequel croire ou lequel rejeter ? On ne sait vraiment ce qui vaut le mieux pour le genre humain, puisque les hommes ou n’ont aucun souci des dieux, ou n’en ont que des idées honteuses. Les uns se font esclaves de superstitions étrangères, portent leurs dieux au doigt, adorent (5) jusqu’à des monstruosités, proscrivent ou imaginent des mets, et s’imposent des lois dures, qui ne laissent pas même le sommeil tranquille ; ni mariages, ni adoption, rien enfin ne se passe des cérémonies sacrées. Les autres trompent dans le Capitole, et se parjurent devant Jupiter et sa foudre. Ceux-ci trouvent un appui dans leurs crimes ; ceux-là rencontrent un supplice dans l’objet de leurs adorations.
7Entre ces deux opinions opposées, l’humanité s’est créé une divinité intermédiaire, comme pour embarrasser encore les conjectures sur la Divinité. Dans le monde entier, en tous lieux, à toute heure, une voix universelle n’implore que la Fortune ; on ne nomme qu’elle, on n’accuse qu’elle, ce n’est qu’elle qu’on rend responsable ; seul objet des pensées, de louanges, des reproches, on l’adore en l’injuriant ; inconstante, regardée même comme aveugle par la plupart, vagabonde, fugitive, incertaine, changeante, protectrice de ceux qui ne méritent pas ses faveurs ; on lui impute la perte et le gain. Dans le compte des humains, elle seule fait l’actif et le passif ; et tel est sur nous l’empire du sort, qu’il n’y a plus d’autre divinité que ce même Sort, qui rend incertaine l’existence de Dieu.
8D’autres expulsent aussi la Fortune, ils assignent les ornements à leur étoile, la nativité fait tout ; Dieu décrète une fois pour toutes le destin des hommes à venir, et du reste demeure dans le repos. Cette opinion commence à se fixer dans les esprits ; le vulgaire lettré et le vulgaire ignorant s’y précipitent également. Voici venir les avertissements donnés par les éclairs, les prévisions des oracles, les prédictions des aruspices ; et l’on va même jusqu’à tirer pronostic de circonstances insignifiantes, des éternuements, et des objets que heurte le pied. Le dieu Auguste a rapporté que malheureusement il avait mis son soulier gauche le premier le jour où il faillit périr dans une sédition militaire. 9Tout cela embarrasse l’humanité imprévoyante ; et une seule chose est certaine, c’est que rien n’est certain, et que l’homme est ce qu’il y a de plus misérable ou de plus orgueilleux. Les autres animaux n’ont qu’un soin, celui de leur nourriture, et la bénignité de la nature y pourvoit spontanément ; condition bien préférable (6) à tous les biens, quand elle ne le serait que par ne penser jamais à la gloire, à la richesse, à l’ambition, et surtout à la mort.
10Toutefois il est bon dans la société de croire que les dieux prennent soin des choses humaines ; que des punitions, quelquefois tardives à cause des occupations de la Divinité dans un si vaste ensemble, ne manquent jamais cependant d’atteindre le coupable, et que l’homme n’a pas été créé aussi voisin d’elle, pour ne pas être estimé plus haut que les bêtes. 11Ce qui nous console surtout de l’imperfection de notre nature, c’est que Dieu lui même ne peut pas tout ; il ne peut se donner la mort, quand même il le voudrait, la mort, qui est ce qu’il a fait de mieux pour l’homme au milieu des douleurs si grandes de la vie ; il ne peut rendre un mortel immortel, ni ressusciter les trépassés, ni faire que celui qui a vécu n’ait pas vécu ; que celui qui a géré les charges ne les ait pas gérées ; il n’a sur les choses passées aucun droit, si ce n’est celui de l’oubli : et, pour montrer même par des arguments moins sérieux notre conformité avec Dieu, il ne peut pas faire que deux fois dix ne soit pas vingt, et beaucoup d’autres choses semblables, ce qui témoigne indubitablement la puissance de la nature et son identité avec ce que nous appelons Dieu. Cette digression sur un sujet si familier, à cause des controverses continuelles dont Dieu est l’objet, n’aura pas paru hors de propos.
1(VIII.) Revenons aux astres, que nous avons dits fixés au monde (II, 4, no 3). Il ne s’agit pas de ces étoiles auxquelles a foi le vulgaire, attribuées à chacun de nous, brillantes pour les riches, moindres pour les pauvres, obscures pour les vies qui s’éteignent, d’un éclat proportionné à la condition des mortels à qui elles sont assignées. Ils ne naissent ni ne meurent avec un individu humain ; et quand ils tombent ils n’indiquent la mort de personne. Nous ne sommes pas tellement associés aux choses du ciel, qu’à notre destinée soit attachée l’éclipse de brillantes étoiles. 2Lorsqu’on croit voir tomber ces astres, c’est que, trop alimentés par les liquides qu’ils aspirent, ils les rendent en abondance par l’effet du feu ; c’est aussi ce que nous voyons l’huile produire dans une lampe allumée. Du reste, les corps célestes sont d’une nature éternelle ; ils forment le tissu du monde, et sont engagés dans ce tissu ; l’influence s’en fait sentir puissamment sur la terre. Ce que les effets qu’ils produisent, leur clarté et leur grandeur ont pu, malgré la difficulté du sujet, faire connaître de cette influence, sera (7) démontré en lieu et place (XVII, XVIII). 3Quant à la théorie des cercles célestes, elle sera plus convenablement expliquée quand il sera question de la terre, à laquelle cette théorie appartient complètement. Seulement je ne renverrai pas plus loin la mention de ceux (8) qui ont découvert le zodiaque. L’obliquité en fut, dit-on, comprise ; c’est-à-dire que la porte des choses fut ouverte par Anaximandre de Milet, dans la 58e olympiade. Cléostrate y signala ensuite les constellations, et d’abord celle du Bélier et du Sagittaire. Longtemps auparavant la sphère elle-même avait été trouvée par Atlas. Maintenant laissons le corps même du monde, et occupons-nous de ce qui est entre le ciel et la terre.
4Il est certain que l’astre le plus élevé est celui de Saturne ; aussi paraît-il être le plus petit, et décrit-il la plus longue révolution ; ce n’est qu’au bout de trente ans qu’il revient à son point de départ. La marche de toutes les planètes, du soleil et de la lune, est contraire à celle du monde, c’est-à-dire qu’elle est dirigée à gauche (9), tandis que celle du monde est dirigée à droite ; et quoique la rotation quotidienne, dont la rapidité est extrême, les enlève et les précipite vers le couchant, ils n’en ont pas moins un mouvement annuel et contraire, qu’ils accomplissent pas à pas. C’est afin que l’air, au lieu d’être roulé dans la même partie par la révolution éternelle du monde, et d’y former une masse sans mouvement, soit atténué (10) par le choc opposé des astres qui le divisent et l’étendent. 5Saturne est un astre d’une nature froide et glaciale. Beaucoup au-dessous est le cercle de Jupiter, dont la révolution, par conséquent plus rapide, s’accomplit en douze ans. En troisième est Mars, appelé par quelques-uns Hercule : cette planète, d’une couleur de feu, est ardente à cause du voisinage du soleil ; sa révolution est d’environ deux ans. Aussi Jupiter, placé entre la trop grande chaleur de Mars et le froid de Saturne, participe de la nature de l’un et de l’autre, et est salutaire. 6Suit le soleil ; son orbite est, il est vrai, de 360 degrés ; mais pour que l’ombre qu’il projette revienne au point qui a été marqué au départ, il faut ajouter à l’année, outre les cinq jours, un quart en sus : c’est en raison de ce quart que tous les cinq ans on place un jour intercalaire, afin que l’ordre des saisons soit conforme à la marche du soleil.
7 Au-dessous du soleil tourne une grande planète appelée Vénus, qui a un mouvement alternatif, et qui, par ses surnoms, est la rivale du soleil et de la lune. Car, prévenant l’aurore et paraissant dès le matin, elle reçoit le nom de Lucifer, et, comme un autre soleil, hâte l’arrivée du jour ; d’autre part, brillant après le soir, elle est appelée Hespérus, prolonge la durée du jour, et remplace la lune. Pythagore de Samos est le premier qui ait reconnu cette particularité vers la 42e olympiade, qui répond à la 142e année de Rome (11) : 8par sa grandeur elle dépasse tous les autres astres, et l’éclat en est tel, qu’elle est la seule des étoiles qui produise de l’ombre ; aussi lui a-t-on à l’envi donné des noms, appelée par les uns Junon, par les autres Isis, par d’autres Mère des dieux. 9C’est par son influence que tout s’engendre sur la terre : répandant, à son lever du matin comme à son lever du soir, une rosée féconde, non seulement elle fertilise la terre, mais encore elle stimule la fécondation des animaux. Elle parcourt le zodiaque en 348 jours, et ne s’écarte jamais du soleil de plus de 46 degrés, suivant Timée.
10 Semblable par la marche, mais non par la grandeur ou par l’influence, Mercure, appelé par quelques-uns Apollon, vient après Vénus, et parcourt un cercle inférieur dans une révolution plus courte de neuf jours ; il brille tantôt avant le lever du soleil, tantôt après le coucher, et ne s’en éloigne jamais de plus de 23 degrés, comme l’enseignent le même Timée (11*) et Sosigène. 11Aussi la théorie de ces deux planètes est spéciale, et n’a rien de commun avec celle des planètes précédentes ; car ces dernières s’éloignent du soleil de quart et même du tiers du ciel, et souvent on les voit en opposition. Au reste, toutes les planètes ont de plus grandes révolutions, dont il doit être traité dans la théorie de la grande année.
12(IX.) Mais le plus admirable de tous est l’astre dont il me reste à parler, celui qui est le plus familier aux habitants de la terre, celui que la nature a créé pour remédier aux ténèbres, la lune. Elle a mis à la torture, par sa révolution compliquée, l’esprit de ceux qui la contemplaient, et qui s’indignaient d’ignorer le plus l’astre le plus voisin. Croissant toujours ou décroissant, tantôt recourbée en arc, tantôt divisée par moitié, tantôt arrondie en cercle lumineux ; pleine de taches, puis brillant d’un éclat subit ; immense dans la plénitude de son disque, et tout à coup disparaissant ; tantôt veillant toute la nuit, tantôt paresseuse, et aidant pendant une partie de la journée la lumière du soleil ; s’éclipsant, et cependant visible dans l’éclipse ; puis invisible à la fin du mois, sans toutefois être éclipsée. 13Ce n’est pas tout : tantôt elle s’abaisse et tantôt elle s’élève, sans uniformité même en cela, car parfois elle touche au ciel, parfois aux montagnes, parfois au haut dans le nord, parfois au bas dans le midi. Le premier qui reconnut ces différents mouvements fut Endymion ; et aussi dit-on qu’il en était épris. Certes, nous ne sommes pas assez reconnaissants envers ceux qui, par leurs travaux et leurs efforts, ont jeté de la lumière sur cette source de lumière : par un singulier travers de l’esprit humain, on se plaît à consigner dans les annales les meurtres et le carnage, afin que les crimes des hommes soient connus de ceux qui ne connaissent pas le monde qu’ils habitent.
14 La plus voisine du centre, et ayant par conséquent le moins d’espace à parcourir, elle accomplit en vingt-sept jours et un tiers la même révolution que Saturne, la plus élevée des planètes, accomplit, comme nous avons dit, en trente années ; puis demeurant en conjonction avec le soleil pendant deux jours au plus, ce n’est qu’au bout du trentième qu’elle recommence la série de ses mouvements. Je ne sais si ce n’est pas elle qui a enseigné tout ce qu’on connaît sur le ciel. Elle a conduit à diviser l’année en douze mois, elle-même atteignant douze fois le soleil avant son retour au point de départ ; elle est, comme les autres astres, régie par la lumière du soleil, puisque elle-même emprunte à cet astre toute la lumière dont elle brille, et qui est semblable à celle que l’eau renvoie par réflexion : n’ayant qu’une lumière d’emprunt, elle n’a aussi qu’une influence faible et imparfaite, qui résout seulement et même augmente les humidités destinées à être consumées par le soleil ; 15par la même raison, elle est vue sous des aspects différents, car, pleine lorsqu’elle est en opposition, les autres jours elle ne montre de son globe que ce que le soleil en illumine ; et en conjonction elle est invisible, parce que, nous tournant le dos, elle renvoie tout le flot de lumière à la source d’où il lui vient. Elle a appris encore que les astres sont alimentés par les humidités terrestres, car à demi-pleine elle paraît couverte de taches, n’ayant pas encore toutes les forces qu’il lui faut pour les faire disparaître en les absorbant ; or, ces taches ne sont que des souillures enlevées à la terre en même temps que les humidités. Quant à ses éclipses et à celles du soleil, le phénomène le plus merveilleux qu’offre la contemplation de la nature entière et qui a quelque chose de miraculeux, elles sont les indices de la grandeur de ces astres et de l’ombre projetée.
1 Il est manifeste que le soleil est caché par l’interposition de la lune, et la lune par l’interposition de la terre ; effets réciproques dans lesquels la lune enlève à la terre les mêmes rayons que la terre enlève à la lune. L’interposition de la lune amène de soudaines ténèbres, et à son tour l’interposition de la terre obscurcit la lune ; la nuit elle-même n’est pas autre chose que l’ombre de la terre. La figure de l’ombre est semblable à un cône renversé, dont la pointe seule atteint la lune sans dépasser la hauteur de cet astre, car nul autre astre n’éprouve d’éclipse en même temps ; or, une figure de cette espèce va toujours en s’effilant davantage, et l’espace diminue les ombres : on peut s’en convaincre par les oiseaux qui s’élèvent à une grande hauteur. 2Donc la limite de l’ombre est la fin de l’air et le commencement de l’éther ; au-dessus de la lune tout est pur, et rempli par une lumière durable. Quant à nous, nous voyons les astres la nuit, comme les autres lumières qui se détachent dans les ténèbres. C’est aussi pour cela que la lune s’éclipse pendant la nuit. Les éclipses du soleil et de la lune ne sont pas réglées et mensuelles, à cause de l’obliquité du zodiaque et des sinuosités que j’ai dit compliquer la
révolution de la lune ; d’où il résulte que les mouvements de ces deux astres ne se correspondent pas toujours dans les fractions de degrés.
1(XII.) De telles considérations emportent l’intelligence humaine dans les cieux, et de là, comme du haut d’un observatoire, nous découvrons les dimensions des trois plus grands corps de la nature. En effet, le soleil tout entier ne pourrait pas être caché à la terre par l’interposition de la lune, si la terre était plus grande que celle-ci. 2L’immensité du troisième corps, du soleil, ressort par la comparaison, et il n’est pas nécessaire d’en demander les dimensions au témoignage des yeux ou aux conjectures de l’intelligence, ni de dire : Il est immense, car une ligne d’arbres plantés dans l’étendue d’autant de milles qu’on voudra donnera des ombres parallèles, comme si l’astre répondait à tous les points de cette ligne. 3Il est immense, car à l’équinoxe il paraît, au même moment, vertical pour tout l’espace qui s’étend d’un tropique à l’autre. Il est immense, car pour ceux qui habitent en deçà du tropique l’ombre est projetée à midi vers le nord, à l’heure du lever vers le couchant ; ce qui ne pourrait se faire s’il n’était beaucoup plus grand que la terre. Il est immense, car à son lever il dépasse en largeur le sommet du mont Ida, qu’il déborde amplement à gauche et à droite, malgré la distance énorme qui l’en sépare. 4Mais ce qui démontre indubitablement la dimension du soleil, ce sont les éclipses de lune, de même que les éclipses du soleil ont démontré la petitesse de la terre. En effet, il y a trois figures d’ombres : si le corps opaque est égal au corps éclairant, l’ombre a la forme d’un cylindre prolongé indéfiniment ; si le corps opaque est plus grand que le corps éclairant, l’ombre a la forme d’un cône droit, dont la partie inférieure est la plus étroite, et qui se prolonge également indéfiniment ; si le corps opaque est plus petit que le corps éclairant, l’ombre a la forme d’un cône qui se termine par une pointe, et telle est l’apparence de l’ombre de la terre dans l’éclipse de lune. Il ne reste donc aucune raison de douter que le soleil ne l’emporte en grandeur sur la terre, 5et la nature même semble l’indiquer par des témoignages muets : pourquoi, en effet, pendant une moitié de l’année, le soleil s’éloigne-t-il de nous ? C’est pour refaire par la fraîcheur des nuits la terre, qu’il embraserait sans aucun doute, et que même il embrase en certaines parties, tant sont grandes ses dimensions.
1(XII.) Le premier Romain qui exposa publiquement la théorie des éclipses du soleil et de la lune est Sulpicius Gallus, qui fut consul avec Marcellus, mais qui alors était tribun militaire. La veille du jour où Persée fut défait par Paul-Émile il parut par ordre du général, afin de prévenir les alarmes de l’armée, devant les troupes assemblées pour annoncer l’éclipse qui allait survenir ; peu de temps après, il composa un livre sur ce sujet. Le premier qui s’en occupa chez les Grecs fut Thalès de Milet, dans la quatrième année de la quarante-huitième olympiade (an 585 av. J. C), l’an 170 de la fondation de Rome, et prédit une éclipse de lune qui arriva sous le roi Alyatte. 2Après eux, Hipparque dressa pour six cents ans la table du cours du soleil et de la lune, déterminant les mois des divers calendriers, les jours, les heures, les localités et les aspects, suivant les entrées. Le cours des ans ne lui a donné aucun démenti, et il semble avoir été admis aux conseils de la nature. Génies puissants et élevés au-dessus de l’humanité, ils ont découvert la loi qui régit ces grandes divinités, et ils ont délivré de ses craintes l’esprit misérable des hommes, qui dans les éclipses, tantôt croyaient voir une influence malfaisante ou une espèce de mort des astres, crainte qui, comme on sait, a, pour l’éclipse du soleil, troublé Stésichore et Pindare, poëtes sublimes, et tantôt attribuaient l’obscurcissement de la lune à des maléfices, et lui venaient en aide par un bruit dissonant. 3Redoutant ce phénomène, dont il ignorait la cause, Nicias, général des Athéniens, n’osa pas faire sortir la flotte du port de Syracuse, et ruina la puissance de sa patrie. Redoublez de génie, interprètes du ciel, vous dont l’intelligence, embrassant la nature, a inventé des théories qui ont créé un lien entre les dieux et les hommes (12) ! À la vue de ce spectacle, à la vue des labeurs (puisque c’est le nom qu’on a voulu donner aux éclipses), des labeurs réguliers auxquels les astres sont soumis, quel mortel ne pardonnerait à la nécessité sous laquelle il est né ? Maintenant je vais parler, d’une manière brève et sommaire, des points sur lesquels on est d’accord en cette matière. Je ne donnerai que de courtes explications, et là où il sera tout à fait nécessaire ; car les explications n’entrent pas dans le plan de cet ouvrage, et il n’y a pas moins de mérite à énumérer les causes de toutes choses qu’à s’appesantir sur quelques-unes.
1(XIII.) Les éclipses se reproduisent dans le même ordre après deux cent vingt-trois mois, cela est certain ; le soleil ne s’éclipse que lorsque la lune finit ou commence son cours, c’est-à-dire aux conjonctions ; la lune, que quand elle est pleine, et toujours en deçà du lieu où elle s’est éclipsée la dernière fois. Chaque année il y a, à des jours et à des heures fixes, des éclipses de ces deux astres ; elles ne sont pas visibles partout quand elles arrivent de l’autre côté de la terre [dans l’hémisphère austral] (13), ni même quand elles arrivent de ce côté-ci [dans l’hémisphère boréal], quelquefois les nuages nous empêchant de les voir, plus souvent la convexité du globe terrestre y mettant obstacle. 2Grâce à la sagacité d’Hipparque, depuis moins de deux cents ans il est établi que la lune peut s’éclipser cinq mois après une éclipse précédente, et le soleil sept mois ; que le soleil peut être caché deux fois en trente jours pour notre côté de la terre, mais que ces éclipses ne sont pas vues toutes deux des même points ; que (circonstance particulièrement merveilleuse dans ce phénomène si merveilleux) l’ombre de la terre, qui va éclipser la lune, l’entame tantôt par la partie occidentale de son disque, tantôt par la partie orientale ; et que, ce qui est déjà arrivé une fois, la lune peut s’éclipser à son couchant au moment du lever du soleil, les deux astres étant sur l’horizon, quoique l’ombre qui cause l’éclipse doive être au-dessous. 3Quant à deux éclipses, l’une de lune et l’autre de soleil, se succédant dans un intervalle de quinze jours, cela s’est vu de notre temps sous le règne des deux Vespasien, le père et le fils étant en même temps consuls (14).
1(XIV.) La lune a toujours son croissant tourné à l’opposite du soleil, regardant l’orient quand elle croît, l’occident quand elle décroît : cela n’est pas douteux. À partir du second jour après la néoménie, la durée du temps pendant lequel elle luit augmente de dix-neuf vingt-quatrièmes d’heure (47 min. ½), jusqu’à ce qu’elle soit pleine, et diminue ensuite d’autant. Elle est invisible dès qu’elle est à moins de quatorze degrés du soleil : 2ce fait prouve que les planètes sont plus grandes que la lune, puisqu’elles font leur émersion, même parfois à sept degrés ; c’est l’éloignement où elles sont qui nous les fait paraître plus petites. Les étoiles fixes sont invisibles aussi pendant le jour, à cause de l’éclat du soleil, bien qu’elle brillent comme lui pendant la nuit : on en a la preuve lors des éclipses du soleil, et dans les puits très profonds.
1(XV.) Parmi les planètes, trois que nous avons dites supérieures au soleil (II, 6) sont cachées quand elles entrent en conjonction avec lui ; elles le quittent à une distance d’au plus onze degrés, et font leur émersion le matin ; puis ses rayons les arrêtent lorsqu’elles sont en trine aspect, c’est-à-dire, à cent vingt degrés, et elles font leur station matinale ou première station ; ensuite en opposition, c’est-à-dire, à cent quatre-vingts degrés, elles font leur lever du soir ; enfin de l’autre côté, à cent vingt degrés, elles font leur station du soir ou seconde station, jusqu’à ce que le soleil, n’en étant plus qu’à douze degrés, les rende invisibles, ce qui est appelé leur coucher du soir. 2Mars étant plus près ressent l’action des rayons du soleil dès la quadrature, c’est-à-dire, dès quatre-vingt-dix degrés ; d’où le nom de premier et second nonagésimal, suivant qu’il s’agit de l’un ou de l’autre lever. Quand il est stationnaire il emploie six mois à parcourir un signe ; hors de là, il parcourt un signe en deux mois ; les deux autres planètes supérieures, au contraire, ne mettent pas quatre mois pleins à parcourir le signe où elles font leur station. 3Les deux planètes inférieures sont invisibles dans la conjonction du soir, de la même façon ; puis, abandonnant le soleil, elles font leur lever du matin à la distance d’autant de degrés que les planètes précédentes. Quand elles sont à leur plus grand éloignement du soleil, elles rétrogradent vers lui ; l’ayant atteint, elles deviennent invisibles au coucher du matin, et dépassent cet astre ; puis, à la même distance qu’au lever du matin, elles font leur lever du soir, et atteignent la limite dont nous venons de parler ; de ce point elles rétrogradent vers le soleil, et disparaissent au coucher du soir. Vénus fait (15) ses deux stations l’une le matin et l’autre le soir, séparées chacune par un lever, quand elle est le plus loin du soleil. Les stations de Mercure sont trop courtes pour pouvoir être appréciées.
1 Telle est la théorie des apparitions et des disparitions des planètes, théorie compliquée, et pleine de choses merveilleuses. En effet, elles changent de dimension et de couleur, elles s’approchent du septentrion, elles s’écartent vers le midi ; tout à coup on les trouve voisines tantôt de la terre, tantôt du ciel. Nous allons sans doute, sur beaucoup de points, nous éloigner des explications données par les anciens, mais nous avouons que le pas que nous allons faire est dû aussi à ceux qui les premiers ont montré la voie des recherches ; c’est une raison pour ne pas désespérer du progrès indéfini des siècles. 2Ces phénomènes sont le résultat de causes nombreuses. La première est dans les cercles que les Grecs appellent (car il faudra nous servir de noms grecs) apsides. Chacune des planètes a ses cercles particuliers, qui sont différents de ceux du monde ; car la terre, avec ses deux sommets qu’on appelle pôles, est le centre du monde, ainsi que du zodiaque, situé obliquement entre ces pôles. Tout cela se démontre par le compas, dont la certitude est irrécusable. 3Donc, d’un centre différent pour chaque plante, s’élèvent les apsides (16), condition qui fait que les astres ont des révolutions et des mouvements dissemblables, parce que de toute nécessité les apsides intérieurs ont le plus de brièveté. (XVI.) À partir du centre de la terre les apsides les plus hauts sont, pour Saturne dans le Scorpion, pour Jupiter dans la Vierge, pour Mars dans le Lion, pour le Soleil dans les Gémeaux, pour Vénus dans le Sagittaire, pour Mercure dans le Capricorne, au milieu de chacun de ces signes ; les plus bas et les plus voisins du centre de la terre seul à l’opposite. 4Aussi les astres paraissent-ils se mouvoir plus lentement au moment de leur plus grande élévation : ce n’est pas qu’ils accélèrent ou qu’ils ralentissent leur mouvement fixe et indépendant pour chacun, mais c’est que les lignes menées du haut de l’apside vont en se rapprochant nécessairement vers le centre, comme les rayons des roues, et que le même mouvement semble ou plus rapide ou plus lent, selon la distance au centre.
5 La seconde cause des hauteurs, c’est quand les planètes ont, par rapport à leur propre centre, les apsides le plus élevés ; ce qui arrive dans d’autres signes, pour Saturne au vingtième degré de la balance, Jupiter au quinzième de l’Écrevisse, Mars au vingt-huitième du Capricorne, le soleil au dix-neuvième du Bélier, Vénus au vingt-septième des Poissons, Mercure au quinzième de la Vierge, la lune au troisième du Taureau.
6 La troisième raison des hauteurs est dans la dimension du ciel et non d’un cercle, dimension qui fait qu’à la vue les planètes paraissent s’enfoncer ou descendre dans les profondeurs de l’air.
7 À cette théorie se rattache celle des latitudes et de l’obliquité du zodiaque. Ce cercle est parcouru par les astres que nous appelons planètes ; et il n’y a sur la terre d’habité que les parties qui lui sont sous-jacentes ; le reste, vers les pôles, est frappé de stérilité. Vénus seule s’en écarte de deux degrés, ce qui explique pourquoi certains animaux naissent, même dans les parties désertes du monde. La lune en parcourt toute la largeur, sans toutefois jamais en sortir. Après ces planètes, celle dont la marche a le plus d’amplitude est Mercure ; cependant, sur les douze degrés qui font la largeur du zodiaque, il n’en parcourt pas plus de huit, et il ne les parcourt pas également ; mais il en parcourt deux quand il est au milieu, quatre quand il est au-dessus, et deux quand il est au-dessous. Puis le soleil marche, entre les deux du milieu, d’un mouvement inégal, semblable au mouvement tortueux des dragons. 8Mars s’écarte de l’écliptique de deux degrés ; Jupiter d’un degré et demi, Saturne d’un (17). Telle est la théorie des latitudes pour les planètes, quand elles descendent vers le midi ou montent vers le nord. La plupart des auteurs ont pensé que cette troisième hauteur des planètes, qui s’élèvent de la terre vers le ciel, dépendait de leur latitude et y correspondait ; c’est une erreur. Pour démontrer la fausseté de cette opinion, il faut exposer une théorie générale de ces causes, œuvre d’une sagacité infinie.
9 Il est reconnu que les planètes, à leur coucher du soir, se trouvent par rapport à la terre dans le plus grand rapprochement ; et quant à leur latitude et quant à leur élévation, que les levers du matin se font à l’origine de leur latitude et de leur élévation, et les stations dans les nœuds moyens des latitudes, appelés écliptique. Il est reconnu aussi que le mouvement des planètes s’accroît quand elles sont dans le voisinage de la terre, et qu’il diminue quand elles s’en éloignent. Cela se voit surtout dans les élévations de la lune. Il n’est pas non plus douteux qu’il ne s’augmente au lever du matin, et qu’à partir des premières stations les trois planètes supérieures ne diminuent de rapidité jusqu’aux secondes stations. 10Cela étant, il est manifeste qu’à partir du lever matinal elles s’élèvent en latitude, parce que c’est dans cette position qu’elles commencent à accélérer de moins en moins leur mouvement, mais que dans la première station elles prennent de la hauteur, parce qu’alors seulement on commence à soustraire un nombre de degrés et à voir la planète rétrograder. Il faut rendre en particulier raison de ce phénomène : frappées dans la position dont nous avons parlé, c’est-à-dire en trine aspect, elles sont à la fois empêchées par les rayons du soleil de suivre la route directe, et soulevées en haut par la force du feu. Cela n’est pas immédiatement perçu par nos regards ; aussi pensons-nous qu’elles sont stationnaires, d’où est venu le nom de stations.
11 Puis l’intensité des mêmes rayons fait des progrès, et la chaleur répercutée les force à rétrograder. Ce phénomène est encore plus frappant dans leur lever du soir, au moment où elles sont en opposition complète avec le soleil ; alors elles sont chassées au sommet des apsides, et elles sont le moins visibles, étant placées à la plus grande hauteur et animées du plus petit mouvement, d’autant plus petit que l’astre se trouve dans les signes les plus élevés des apsides. À partir du lever du soir, les planètes descendent en latitude, le mouvement commence déjà à subir une moindre diminution, mais il ne s’accroît pas avant la seconde station ; c’est alors que leur hauteur diminue, les rayons du soleil les atteignant par l’autre côté, et les abaissant vers la terre avec la même force qui à leur premier trine aspect les avait élevées dans le ciel, tant il y a de différence dans l’action qu’exercent les rayons, selon la direction qu’ils suivent. 12Les mêmes phénomènes se manifestent, et avec beaucoup plus de force, dans le coucher du soir. Telle est la théorie des planètes supérieures ; celle des autres est plus difficile, et avant nous aucun Romain n’en a rendu compte.
1(XVII.) Disons d’abord pourquoi Vénus ne s’éloigne jamais de plus de 46 degrés du soleil, et Mercure de 23, et que souvent ces deux planètes commencent leur retour vers le soleil avant de s’être autant écartées. Étant inférieures au soleil, elles ont la convexité de leurs apsides tournée vers cet astre ; et de ces cercles il en passe au-dessous (18) autant que de ceux des planètes supérieures il en passe au-dessus : elles ne peuvent donc pas s’écarter davantage, attendu que la courbure de leurs apsides n’a pas là une longueur plus grande. Ainsi chacune des deux planètes inférieures est semblablement limitée par l’extrémité de son apside ; et elle compense ce qui lui manque en longitude par la digression en latitude. 2Mais pourquoi ces deux planètes ne parviennent-elles pas toujours l’une à 46 degrés, et l’autre à 23 ? Elles y parviennent sans doute, mais la théorie est ici en défaut ; car il est manifeste que leurs apsides se meuvent aussi, attendu qu’ils ne dépassent jamais le soleil : c’est pourquoi, lorsque leurs orbites rencontrent par l’un ou l’autre côté le degré où est le soleil, alors les planètes sont censées être parvenues aussi loin qu’elles le peuvent ; et lorsque leurs orbites restent en deçà du soleil d’autant de degrés, ces mêmes planètes sont alors censées rétrograder trop vite, quoique dans l’un ou l’autre cas elles aient atteint également l’extrémité de leur écartement. 3Ce qui doit faire comprendre que le mouvement y est en sens opposé des autres : car dans les supérieures il s’accélère à leur coucher du soir, tandis qu’alors il se ralentit dans les planètes inférieures ; c’est à la plus grande hauteur qu’a lieu là le ralentissement, ici l’accélération. En effet, l’accélération de vitesse est pour les unes au voisinage du centre, pour les autres dans la plus grande hauteur de leur cercle. Arrivées au lever matinal, les supérieures perdent de leur rapidité, les inférieures en acquièrent davantage. 4Les premières rétrogradent de la station du matin à celle du soir ; au contraire, Vénus rétrograde de celle du soir à celle du matin, monte en latitude au lever matinal, suit le soleil et prend de la hauteur à partir de la première station, atteint à l’instant du coucher du soir le plus de hauteur et le plus de vitesse, puis au lever du soir descend en latitude et diminue de mouvement, enfin rétrograde et s’abaisse à partir de la station du soir. 5De son côté, Mercure au lever matinal prend de la latitude et de la hauteur, et décroît en latitude au lever du soir ; arrivé à quinze degrés du soleil, il reste là environ quatre jours immobile, décroît de hauteur et rétrograde, depuis le coucher du soir jusqu’au lever du matin. Seul avec la lune, il met à descendre le même temps qu’à monter ; Vénus en met quinze fois autant à monter. La digression coûte à Saturne et à Jupiter deux fois, à Mars quatre fois, le temps de l’ascension, tant est grande la variété de la nature. Mais la raison en est évidente : ce qui fait effort vers les rayons brûlants du soleil descend aussi à regret (19).
1Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces mystères de la nature, et les lois auxquelles elle s’est assujettie elle-même. Par exemple, Mars, dont le cours échappe le plus à l’observation, n’est jamais stationnaire quand Jupiter est en trine aspect, et ne l’est que rarement quand cet astre est à 60 degrés, nombre qui donne au monde la forme hexagone ; les deux planètes ne se lèvent en même temps que sous les signes de l’Écrevisse et du Lion. Le lever du soir de Mercure est rare dans les Poissons, il est très fréquent dans la Vierge ; le lever du matin se fait dans la Balance, aussi bien que dans le Verseau ; 2en revanche, il est extrêmement rare dans le Lion. Mercure ne rétrograde jamais dans le Taureau et les Gémeaux, et sa rétrogradation dans l’Écrevisse ne commence qu’au vingt-cinquième degré de ce signe. Deux conjonctions de la lune avec le soleil ne se rencontrent que dans le signe des Gémeaux ; le Sagittaire est le seul qu’elle passe quelquefois sans conjonction. Dans le Bélier seulement, on apercevra, le même jour ou la même nuit, le dernier quartier et la nouvelle lune ; encore est-il donné à peu d’hommes d’apercevoir ce phénomène, et de la fable de la vue de Lyncée. 3Saturne et Mars ne sont jamais invisibles dans le ciel plus de cent soixante et dix jours ; Jupiter s’absente trente-six ou du moins vingt-six jours ; Vénus, de soixante-neuf à cinquante-deux au moins ; Mercure, de treize à dix-huit au plus.
1(XVIII.) La couleur des planètes se modifie suivant leur altitude : elles prennent une ressemblance avec les hauteurs dont elles ont traversé l’air, et en approchant elles se teignent, suivant le côté par où elles viennent, de la teinte du cercle qui ne leur appartient pas. Un cercle plus froid les rend plus pâles, un cercle plus chaud les rend plus rouges, un cercle venteux leur donne un aspect sinistre. Le soleil, les nœuds des apsides et l’extrémité de leur orbite leur ôtent leur éclat. Chaque planète a pourtant sa couleur, blanche pour Saturne, claire pour Jupiter, ignée pour Mars, blanchissante pour l’étoile du matin, flamboyante pour l’étoile du soir, radieuse pour Mercure, douce pour la lune, ardente pour le soleil quand il se lève, puis rayonnante. 2À ces causes se rattache la contemplation des étoiles fixes que renferme le ciel : tantôt on les voit former une multitude pressée autour de l’orbe à demi plein de la lune, à la douce lueur d’une nuit paisible ; tantôt, comme si elles avaient pris la fuite, elles deviennent rares, cachées qu’elles sont par la pleine lune, ou lorsque les rayons du soleil ou des autres planètes ont ébloui nos regards. La lune elle-même éprouve, sans aucun doute, des différences, suivant la manière dont elle reçoit les rayons du soleil. La convexité du monde les détourne et les amortit dans tous les cas, excepté quand ils la frappent à angle droit. 3Ainsi en quadrature elle est demi-pleine, en trine aspect elle offre un orbe à demi vide, qui se remplit en opposition ; puis, dans son décours, elle présente les mêmes phases aux mêmes intervalles : la théorie en est semblable à celle qui régit les trois planètes supérieures.
1(XIX.) Le soleil lui-même éprouve quatre différences, faisant deux fois la nuit égale au jour, au printemps et à l’automne ; époques auxquelles il répond au milieu de la terre, dans le huitième degré du Bélier et de la Balance, et revenant deux fois sur ses pas, l’une pour augmenter le jour, au solstice d’hiver, dans le huitième degré du Capricorne, l’autre pour augmenter la nuit, au solstice d’été, dans le huitième degré de l’Écrevisse. 2La cause de cette inégalité est l’obliquité du zodiaque : une partie égale du monde est, il est vrai, à tout moment au-dessus et au-dessous de la terre ; mais les signes qui montent perpendiculairement gardent la lumière pendant un plus long espace : au contraire, les signes qui montent obliquement passent avec plus de rapidité.
1(XX.) On ignore généralement que, par une observation attentive du ciel, les maîtres de la science ont établi que les trois planètes supérieures projettent des feux qui, tombant sur la terre, ont le nom de foudres. Ces feux proviennent surtout de la planète intermédiaire, peut-être parce que, recevant un excès d’humidité du cercle supérieur, et un excès de chaleur du cercle inférieur, elle se débarrasse de cette façon ; c’est pour cela que l’on a dit que Jupiter lançait la foudre. 2Ainsi, de même qu’un bois enflammé projette un charbon avec bruit, de même l’astre projette un feu céleste qui apporte en même temps des présages, les opérations divines ne cessant même pas dans la partie ainsi rejetée. C’est surtout lorsque l’air est agité que survient ce phénomène, parce que les humidités retenues dans l’atmosphère provoquent l’émission d’un feu abondant, ou parce que la perturbation est due à une sorte d’enfantement de la planète.
1(XXI.) Beaucoup ont essayé de déterminer la distance des astres à la terre ; et ils ont dit que le soleil lui-même est dix-neuf fois plus éloigné de la lune, que la lune elle-même ne l’est de la terre. Pythagore, homme d’un génie sagace, a conclu qu’il y avait de la terre à la lune 126 mille stades, de la lune jusqu’au soleil le double : 2cette opinion a été celle du Romain Gallus Sulpicius.
1(XXI.) Mais Pythagore appelle parfois, d’après des rapports musicaux, un ton la distance qui sépare la lune de la terre ; de celle-ci à Mercure, il compte un demi-ton ; de lui à Vénus à peu près autant, de Vénus au soleil un ton et demi, du soleil à Mars, un ton, c’est-à-dire autant que de la lune à la terre ; de Mars jusqu’à Jupiter un demi-ton, de Jupiter jusqu’à Saturne un demi-ton, et de là jusqu’au zodiaque un ton et demi. 2Cela fait sept tons, dont l’ensemble est appelé diapason, c’est-à-dire accord universel. Dans ce concert, Saturne se meut suivant le mode dorien, Jupiter suivant le mode phrygien, et ainsi des autres : subtilités plus amusantes qu’utiles.
1(XXIII.) Un stade fait 125 de nos pas, ou 625 pieds (184 mètres) (20). Posidonius prétend qu’il n’y a pas moins de 40 stades de la terre à la région d’où proviennent les nuages, les vents et les brouillards ; que, à partir de là, l’air est pur, limpide, et rempli d’une lumière que rien ne trouble ; mais que de l’air trouble à la lune il y a deux millions de stades, et de là au soleil 500 million de stades : c’est grâce à cette distance que, malgré son volume énorme, il n’embrase pas la terre. 2Plusieurs auteurs ont rapporté que les nuages s’élèvent à une hauteur de 900 stades. Ces choses sont ignorées et insolubles ; mais il faut en parler, parce qu’on en a parlé. Dans ces problèmes l’argumentation géométrique est la seule qui ne trompe jamais, et à laquelle il faut recourir si l’on se complaît à aller plus loin dans ces recherches, sans toutefois songer à mesurer (le vouloir ce serait user de son loisir avec folie) de pareilles dimensions, mais en se bornant à des évaluations approximatives. 3D’après la révolution du soleil, on reconnaît que le cercle qu’il parcourt comprend environ 366 parties ; or, le diamètre est le tiers et un peu moins du 21e de la circonférence ; donc, si on retranche la moitié de ce diamètre à cause de la situation centrale de la terre, on trouve que la distance qui la sépare du soleil est la sixième partie de l’espace immense que parcourt cet astre dans sa révolution, et que la distance de la terre à la lune est la douzième partie de cet espace, parce qu’elle décrit son orbite dans un intervalle de temps douze fois plus court, et que c’est de la sorte qu’elle chemine entre le soleil et la terre. 4Jusqu’où ne va pas l’audace de l’esprit humain, encouragée, comme dans les problèmes précédents, par quelque petit succès ! La raison fournit un prétexte à l’impudence : on n’ose deviner la distance de la terre au soleil, et l’on double cette distance pour trouver celle du ciel, sous le prétexte que le soleil est juste au milieu, de sorte que la dimension du ciel lui-même peut se mesurer sur les doigts. Le rapport du diamètre à la circonférence est comme 7 à 22, et il ne faut plus qu’un fil à plomb pour mesurer le ciel.
5 Le calcul égyptien enseigné par Pétosiris et Necepsos montre que dans l’orbite lunaire, qui, comme nous l’avons dit, est la plus petite, chaque degré comprend un intervalle d’un peu plus de 33 stades, le double dans l’orbite de Saturne qui est la plus grande ; dans celle du soleil qui est intermédiaire, la moitié de la somme de ces deux mesures. Ce calcul est plein de retenue ; car si au cercle de Saturne on ajoutait l’intervalle qui le sépare du zodiaque lui-même, on arriverait à une multiplication infinie.
1(XXIV.) Il reste peu de chose à dire du monde. Dans le ciel même, des étoiles naissent soudainement ; il y en a plusieurs espèces. Les Grecs appellent comètes, les Romains étoiles chevelues, des astres qui inspirent la terreur par une crinière couleur de sang, et qui semblent hérissés sur le sommet. On appelle pogonies ceux dont la crinière est disposée à la partie inférieure sous la forme d’une longue barbe. Les aconties sont lancées comme un javelot ; elles indiquent des événements d’un accomplissement très prochain : 2telle est celle dont le César Titus Imperator, dans son cinquième consulat (an de J. C. 77), a fait le sujet d’une pièce de vers admirable. C’est la dernière de ce genre qu’on ait vue. Les comètes plus courtes et allongées en pointe ont été appelées xiphies ; et ce sont les plus pâles de toutes ; elles ont le reflet d’un glaive, et sont dépourvues de rayons. Les discoïdes, d’une forme indiquée par leur nom, ont la couleur de l’ambre, et ne projettent que peu de rayons par leurs bords. Les pithées ont la figure de tonneaux, et présentent dans leur partie concave une lueur fumeuse. Les cératies ont l’apparence d’une corne : telle fut celle qui apparut quand la Grèce coalisée livra la bataille de Salamine (av. J. C. 480). 3Les lampadies imitent les torches ardentes. Les hippées imitent la crinière d’un cheval, vivement agitée, et tournoyant sur elle-même. Il y a aussi des comètes blanches, à chevelure argentée, d’un éclat tellement radieux que l’on peut à peine y fixer les yeux ; elles offrent, sous une apparence humaine, l’image d’un dieu. 4Il y en a aussi qui sont comme hérissées de poils et enveloppées d’une espèce de nuage. Il est arrivé une fois que la chevelure s’est changée en lance ; ce fut dans la 108e olympiade, l’an 398 de Rome (21). Le plus court espace de temps noté durant lequel elles ont été visibles est de 7 jours, le plus long de 80 (22).
1 Parmi les comètes les unes se meuvent comme les planètes, les autres demeurent immobiles. Presque toutes sont dans la région septentrionale du ciel ; elles en occupent une partie qui n’est pas fixe, et surtout la partie blanche, qui a reçu le nom de voie lactée. Aristote (23) rapporte qu’on en voit souvent plusieurs à la fois, observation que personne autre n’a faite, à ma connaissance ; et il ajoute que ce phénomène indique des vents violents et de fortes chaleurs. Les comètes se montrent aussi dans les mois d’hiver et vers le pôle du midi, mais là sans aucun éclat. 2Il y a eu une comète fatale aux peuples de l’Éthiopie et de l’Égypte, et connue sous le nom de Typhon, qui fut un roi de ces temps anciens ; d’une apparence ignée, d’une forme contournée en spirale, d’un aspect effrayant, moins une étoile qu’une espèce de nœud enflammé. Quelquefois les planètes et les autres astres se montrent garnis de cheveux. Les comètes n’apparaissent jamais à l’occident (24). Ce sont des astres pleins de présages funestes, et qui ne se contentent pas de légères expiations, témoin les troubles civils sous le consul Octavius (an de Rome 678 ; avant J. C. 76.), et derechef la guerre de Pompée et de César (avant J. C. 49); témoin encore, de notre temps, l’empoisonnement qui fit succéder Néron à l’empereur Claude (an de Rome 707, de J. C. 54) ; témoin enfin le règne de ce prince, durant lequel l’influence en fut presque continuelle et funeste. On pense que la diversité des effets qu’elles produisent dépend des parties vers lesquelles elles s’élancent, de l’étoile dont elles ressentent l’action, des formes qu’elles imitent, et des lieux où elles font éruption. On assure que, présentant la forme d’une flûte, elles sont un signe d’art musical ; de mœurs infâmes, paraissant dans les parties honteuses des constellations ; d’esprit et de science, quand elles sont en trine aspect ou en quadrature avec quelqu’un des astres permanents ; et qu’elles versent des poisons, étant dans la tête du Dragon du nord ou du midi. 4Rome est le seul lieu de l’univers qui ait élevé un temple à une comète, celle que le dieu Auguste jugea de si bon augure pour lui. Elle apparut lors des débuts de sa fortune, pendant les jeux qu’il célébrait en l’honneur de Vénus Genitrix, peu de temps après la mort de son père César, et dans le collège institué pour cela par ce dernier ; il exprima en ces termes la joie qu’elle lui causait : « Pendant la célébration de mes jeux, on aperçut durant sept jours une comète dans la région du ciel qui est au Septentrion. Elle commençait à paraître vers la onzième heure (cinq heures du soir); elle eut beaucoup d’éclat, et fut visible de toutes les parties de la terre. Suivant l’opinion générale, cet astre annonça que l’âme de César avait été reçue au nombre des divinités éternelles ; c’est à ce titre qu’une comète fut ajoutée à sa statue, que peu de temps après nous consacrâmes dans le forum. » 5Tel fut du moins son langage public ; mais dans l’intimité il se félicitait de l’apparition de cette comète, née, disait-il, pour lui, et dans laquelle il naissait à son tour : à vrai dire, ce fut un bonheur pour la terre. Il y a des auteurs qui pensent que les comètes sont des astres durables, qui ont leur propre orbite, mais qui ne sont visibles que lorsque le soleil les a abandonnés ; d’autres, au contraire, supposent qu’elles sont le produit du concours fortuit de l’humidité et de la force ignée, et que, en conséquence, elles se dissolvent.
1(XXVI.) Hipparque, dont nous avons déjà parlé (chap. 9 et 10), Hipparque, qu’on ne louera jamais assez, car personne plus que lui n’a fait sentir que l’homme a des affinités avec les astres et que nos âmes sont une partie du ciel, a observé une étoile nouvelle différente des comètes, et née de son temps. Le jour où il la vit briller, le mouvement qu’il y aperçut excita des doutes dans son esprit ; il se demanda si cela n’arrivait pas souvent, et si les étoiles que nous croyons fixes n’étaient pas mobiles elles-mêmes : 2alors il osa, chose audacieuse même pour un dieu, dresser pour la postérité le catalogue des étoiles, et en faire, pour ainsi dire, l’appel nominal. À cet effet, il inventa des instruments pour déterminer avec précision la position et la grandeur de chacune ; il donna ainsi les moyens de reconnaître non-seulement si elles mouraient ou naissaient, mais encore si quelques-unes traversaient le ciel ou s’y mouraient, et semblablement si elles croissaient ou diminuaient, laissant à tous le ciel en héritage, s’il se trouvait quelqu’un capable de recueillir la succession.
1 Il y a aussi des torches flamboyantes, visibles seulement quand elles tombent, comme celle qui, en plein midi, traversa le ciel aux yeux du peuple pendant les combats de gladiateurs donnés par le César Germanicus. On en distingue deux espèces : les lampades, qui sont tout simplement des torches, et les bolides, comme on en vit lors des désastreux événements de Modène. 2La différence est que les torches, allumées par leur partie antérieure, laissent de longues traînées, tandis que les bolides, brûlant dans toute leur longueur, occupent un plus grand espace.
1 On voit aussi flamboyer des poutres, doques en grec, telles qu’il en apparut lorsque les Lacédémoniens, vaincus sur mer, perdirent l’empire de la Grèce. (Ol. 96, 2 ; 395 av. J. C.) Il se fait aussi dans le ciel lui-même des crevasses qu’on appelle Chasma.
1(XXVII.) On a encore observé des incendies couleur de sang, se dirigeant vers la terre. Rien de plus terrible que ce phénomène aux yeux des mortels épouvantés ; on en vit un semblable l’an III de la cent septième olympiade, lorsque le roi Philippe ébranlait la Grèce. 2Pour moi, je crois que ces météores se manifestent, comme le reste, à des époques réglées, et qu’ils sont indépendants des causes variées, fruit d’une imagination subtile, auxquelles la plupart les attribuent. Ils furent, sans doute, le présage de grandes catastrophes ; mais, je pense, que ces catastrophes ne surviennent pas à cause des météores ; les météores apparurent parce qu’elles étaient prochaines. Ce qui cache la loi de leur reproduction, c’est qu’ils sont rares ; cela empêche qu’ils ne soient connus comme le sont les levers des planètes ci-dessus indiqués, les éclipses, et beaucoup d’autres phénomènes.
1(XXVIII.) On voit des étoiles apparaître des journées entières avec le soleil ; le plus souvent elles entourent cet astre d’une espèce de couronne d’épis et de cercles de diverses couleurs. Ce phénomène arriva lors de l’entrée à Rome d’Auguste dans sa première jeunesse, venant, après la mort de son père, prendre l’héritage d’un grand nom. (XXIX) De semblables couronnes se font voir autour de la lune, et des étoiles fixes qui ont un grand éclat.
1 Le soleil parut avec un arc sous le consulat de Lucius Opimius et de Quintus Fabius (an de Rome 623) ; avec un cercle, sous le consulat de Porcius et de Manius Acilius (an de Rome 640); avec un cercle de couleur rouge sous le consulat de Lucius Julius et de Publius Rutilius (an de Rome 664).
1(XXX.) Le soleil éprouve des éclipses dont la longueur est un prodige : ainsi, lors du meurtre du dictateur César et durant la guerre d’Antoine, il fut pâle, presque sans interruption, pendant toute l’année.
1(XXXI.) On a vu aussi plusieurs soleils à la fois (25), non au-dessus ni en-dessous du soleil lui-même, mais sur les côtés, et non près de la terre, ni à l’opposite, ni la nuit, mais le matin ou le soir ; on en a vu, dit-on, même à midi, une fois, sur le Bosphore ; ils avaient paru dès le matin, et durèrent jusqu’au soir. 2Les anciens ont observé plusieurs fois trois soleils : par exemple, sous les consulats de Sp. Postumius, de Q. Mucius (an de Rome 580) ; de Q. Marcius, de M. Porcius (an de Rome 631) ; de Marc-Antoine, de P. Dolabella (an de Rome 710) ; de M. Lepidus, de L. Plancus (an de Rome 712). Ce phénomène s’est montré aussi de notre temps, durant le règne du dieu Claude lorsqu’il était consul, ayant Cornelius Orfitus pour collègue (après J.-C. 51). Aucun document ne parle de l’apparition de plus de trois soleils à la fois.
1(XXXII.) Trois lunes ont été observées, comme sous le consulat de Cn. Domitius et de C. Fannius (an de Rome 632). On les a généralement appelées soleils nocturnes.
1(XXXIII.) On a vu pendant la nuit, sous le consulat de C. Caecilius et de Cn. Papirius (an de Rome 641), et d’autres fois encore, une lumière se répandre dans le ciel, de sorte qu’une espèce de jour remplaçait les ténèbres.
1(XXXIV.) Un bouclier ardent, jetant des étincelles, a traversé le ciel de l’occident à l’orient, au moment du coucher du soleil, sous le consulat de L. Valerius et de C. Marius (an de Rome 654).
1(XXXV.) Sous le consulat de Cn. Octavius et de C. Scribonius (an de Rome 678), phénomène mentionné une seule fois, une étincelle étant tombée d’une étoile s’accrut à mesure qu’elle approchait de la terre, atteignit la grandeur de la lune, et donna une clarté pareille à un jour nuageux ; puis, regagnant le ciel, prit la forme d’une torche. Le proconsul Silanus, avec sa suite, en fut témoin.
1(XXXVI.) Il arrive aussi que des étoiles semblent se détacher : cela n’est pas sans signification, et il ne manque jamais de s’élever de ce côté des vents formidables.
1 Il se montre des étoiles dans la mer et sur la terre. (XXXVII.) J’ai vu, la nuit, pendant les factions des sentinelles devant les retranchements, briller à la pointe des javelots des lueurs à la forme étoilée. Les étoiles se posent sur les antennes et sur d’autres parties des vaisseaux avec une espèce de son vocal, comme des oiseaux allant de place en place. Cette espèce d’étoile est dangereuse quand il n’en vient qu’une seule ; elle cause la submersion du bâtiment ; et si elle tombe dans la partie inférieure de la carène, elle y met le feu. Mais s’il en vient deux, l’augure en est favorable ; elles annoncent une heureuse navigation : l’on prétend même que, survenant, elles mettent en fuite Hélène, c’est le nom de cette étoile funeste et menaçante. Aussi attribue-t-on cette apparition divine à Castor et à Pollux, et on les invoque comme les dieux de la mer. 2La tête de l’homme est quelquefois, pendant le soir, entourée de ces lueurs, et c’est un présage de grandes choses. La raison de tout cela est un mystère caché derrière la majesté de la nature.
1(XXXVIII.) Jusqu’à présent nous avons parlé du monde lui-même et des astres ; je passe à ce qui reste de remarquable dans le ciel. En effet, le nom de ciel a été aussi donné par nos ancêtres à cet espace qui semble vide, et qui, sous le nom d’air, répand le souffle de vie. Cette région est au-dessous de la lune, et de beaucoup ; telle est du moins l’opinion à peu près générale : faisant un immense emprunt et à l’éther supérieur et aux exhalaisons terrestres, elle participe de ces deux natures. 2De là les nuages, les tonnerres et les éclairs ; de là les grêles, les brouillards, les pluies, les tempêtes, les tourbillons ; de là de nombreux désastres pour les mortels, et une lutte intestine de la nature avec elle-même. Des choses terrestres, qui tendent vers le ciel, sont repoussées par la force des astres ; d’autres, qui spontanément n’y montent pas, sont entraînées par elles. Les pluies tombent, les nuages montent, les rivières se dessèchent, la grêle se précipite, les rayons embrasent, et de toutes parts ils poussent la terre dans l’espace ; réfléchis, ils rebroussent chemin, emportant avec eux ce qu’ils peuvent. La chaleur vient d’en haut, et elle y retourne. Les vents fondent à vide sur la terre, et ils remontent chargés de butin. 3La respiration d’innombrables animaux attire l’air des hautes régions ; l’air fait résistance, et la terre épanche le souffle de vie dans le ciel qui s’est épuisé. Ainsi la nature a des mouvements alternatifs, le monde est emporté avec une grande vitesse comme par une machine de guerre, et la discorde s’en accroît. Nulle pause n’est possible dans le combat, mais une rotation perpétuelle l’entraîne, et montre successivement à la terre la sphère infinie où siègent les causes des choses. Parfois même, en interposant les nuages, elle jette au-devant du ciel un autre ciel ; c’est le royaume des vents. Là résident surtout leurs principes, dans lesquels les causes des autres phénomènes sont implicitement comprises, car on attribue généralement à leur violence la foudre et les éclairs ; on leur attribue aussi les pluies de pierre, attendu que les pierres sont enlevées par le vent ; et beaucoup d’autres choses semblables. En conséquence, il faut entrer dans quelques détails.
1(XXXIX.) Il est évident que parmi les causes des saisons et des choses les unes sont fixes, les autres fortuites, ou du moins régies par des lois encore ignorées. Qui doute, en effet, que les étés, les hivers, et toutes les vicissitudes périodiques, ne soient déterminées par le mouvement des astres ? De même que l’influence du soleil se manifeste dans les modifications de l’année, de même chacun des autres astres a sa force spéciale, et produit en conséquence des effets spéciaux. Les uns sont fertiles en humidités versées sous forme de pluies, les autres en humidités solidifiées sous forme de givre, agglomérées sous forme de neige, congelées sous forme de grêle ; d’autres le sont en vents, en chaleur tiède, en chaleur brûlante, en rosée, en froid. Et il ne faut pas en estimer la grandeur d’après le volume apparent ; car à en juger d’après leur immense hauteur, évidemment aucun d’eux n’est plus petit que la lune. 2Donc, ils exercent une action conforme à leur nature, chacun dans sa révolution ; cela est manifeste surtout dans les passages de Saturne, qui s’accompagnent de pluie. Et cette influence n’appartient pas seulement aux planètes, elle appartient aussi à plusieurs étoiles fixes, toutes les fois qu’elles sont excitées par l’ascension de planètes, ou stimulées par le jet de rayons ; c’est ce que nous voyons arriver dans les Sucules, que pour cela les Grecs ont appelées Hyades, d’un mot qui signifie pluvieuses. Quelques-unes même agissent spontanément et à des époques fixes, comme (26) les Chevreaux (XVIII, 74) à leur lever. Arcturus ne se lève presque jamais sans une grêle accompagnée d’orage.
1(XL.) Quant à la Canicule, qui ignore que, se levant, elle allume l’ardeur du soleil ? Les effets de cet astre sont les plus puissants sur la terre : les mers bouillonnent (XVIII, 68) à son lever, les vins fermentent dans les celliers, les eaux stagnantes s’agitent. 2Les Égyptiens donnent le nom d’oryx à un animal qui, disent-ils, se tient en face de cette étoile à son lever, fixe ses regards sur elle, et l’adore, pour ainsi dire, en éternuant. Les chiens aussi sont plus exposés à la rage (VIII, 61) durant tout cet intervalle de temps ; cela n’est pas douteux.
1(XLI.) Des portions de certaines constellations ont aussi une action propre, par exemple à l’équinoxe d’automne et au solstice d’hiver, époques auxquelles des tempêtes nous révèlent le passage du soleil ; et ce passage se manifeste non pas seulement par des pluies et des orages, mais aussi par beaucoup d’effets qu’en ressentent les corps et la campagne. Sous l’influence de l’astre, les uns éprouvent des paralysies, les autres des commotions dans le ventre, dans les nerfs, dans la tête, dans l’intelligence, à des époques réglées. L’olivier (XVIII, 68), le peuplier blanc et le saule, au solstice d’été, recoquillent leurs feuilles ; 2le pouliot desséché et suspendu au toit fleurit le jour même du solstice d’hiver ; les membranes distendues par l’air se rompent. Celui-là s’étonnera de ces phénomènes qui n’a pas remarqué (expérience quotidienne) qu’une plante appelée tournesol (XXII, 19) regarde toujours le soleil qui s’en va, et tourne continuellement avec lui, même lorsque les nuages le voilent ; que la lune a aussi une action par laquelle les huîtres, les coquillages et les testacés de toute espèce croissent et diminuent selon ses phases. 3Bien plus, les observateur attentifs ont découvert que le nombre des lobes du foie de la souris répond à l’âge de la lune (XI, 76 ; XXIX, 15), et qu’un très petit animal, la fourmi (XI, 36), est sensible à l’influence de cet astre, et cesse son travail quand il n’est pas visible. En ceci notre ignorance est d’autant plus honteuse qu’il est reconnu que les affections des yeux, chez certaines bêtes de somme (XI, 55), croissent et décroissent avec la lune. Ce qui nous excuse, c’est l’immensité des cieux séparés de nous par une énorme hauteur, et divisés en soixante-douze constellations. 4Ces constellations sont les images d’objets ou d’animaux entre lesquelles les astronomes ont partagé le ciel. On y a noté seize cents étoiles, c’est-à-dire les étoiles remarquables par leurs effets ou par leur apparence ; par exemple, dans la queue du Taureau, sept qu’on appelle Pléiades, les Hyades au front, le Bouvier qui suit la grande Ourse.
1(XLII.) Je ne nierai pas qu’indépendamment de ces causes, il ne se forme de la pluie et du vent ; car il est certain que la terre exhale des brouillards, tantôt humides, tantôt semblables à de la fumée, à cause des chaleurs, et qu’il ne se forme des nuages, soit par la sublimation de l’humidité, soit par la condensation de l’air en eau. 2Les nuages ont de la densité, et sont des corps ; on ne peut en douter, puisqu’ils voilent le soleil, qui, autrement, est visible même aux plongeurs, quelle que soit la profondeur à laquelle ils descendent.
1(XLIII.) En conséquence, je ne contesterai pas que les feux des étoiles peuvent tomber d’en haut sur les nuages, comme on le voit souvent par un temps serein. Il est certain que le choc de ces feux ébranle l’air : c’est ainsi que les traits sifflent dans leur trajet. Quand ils sont arrivés à la nue, il en résulte de la vapeur avec un bruit étrange, comme quand on plonge un fer rouge dans l’eau, et il se forme un tourbillon de fumée ; de là naissent les tempêtes. S’il y a dans la nue lutte de l’air ou de la vapeur, le tonnerre gronde ; si éruption ardente, la foudre éclate ; si effort prolongé dans un plus grand espace, l’éclair brille. Les éclairs fendent la nue, les foudres la déchirent. 2Le tonnerre est le retentissement des coups que frappent les feux ; aussi la flamme rayonne-t-elle dès que le nuage se fend. Le souffle émané de la terre peut aussi, repoussé en bas par les astres et arrêté dans les nuages, faire entendre le grondement du tonnerre tant que le son reste étouffé pendant la lutte, et les éclats de la foudre au moment de l’éruption, comme pour une vessie distendue par l’air. Il se peut encore que ce souffle, quel qu’il soit, s’allume par le frottement dans une descente rapide. Il se peut enfin que le choc des nuages fasse jaillir des éclairs, comme le choc de deux pierres fait jaillir des étincelles. 3Mais tout cela est dû au hasard. De là des foudres aveugles et vaines toujours, n’étant le produit d’aucune des lois de la nature : elles frappent les monts, elles se précipitent dans les mers, et portent tant d’autres coups inutiles ; mais les foudres qui viennent de plus haut sont les interprètes du destin, elles ont des causes fixes, et elles sont envoyées par les astres qui les engendrent.
1(XLIV.) Je ne nierai pas non plus que des vents, ou plutôt des souffles, ne puissent provenir aussi d’une exhalaison aride et sèche de la terre ; qu’ils ne puissent sortir des eaux donnant issue à un air qui ne se condense pas en brouillards, ni ne s’agglomère en nuages ; qu’ils ne puissent enfin être déterminés par l’impulsion du soleil, puisque le vent, on le sait, n’est qu’un courant d’air. 2À ces causes on peut en joindre bien d’autres ; car nous voyons certains vents s’élever des fleuves, des golfes, et de la mer même tranquille ; et d’autres, qu’on appelle Autans, venir de terre. Ces vents, revenant de la mer à la terre, sont appelés Tropées ; continuant à porter en haute mer, Apogées.
3(XLIV.) Les montagnes avec leurs lignes brisées, avec leurs sommets nombreux, avec leur croupe coudée ou arrondie, avec leurs vallées profondes, fendant par leurs inégalités l’air qui les frappe (disposition qui, en beaucoup d’endroits, produit des échos sans fin), sont une cause de vents.
4(XLV.) Il y a même des cavernes qui en produisent : telle est, sur la côte de Dalmatie, une caverne qui offre un abîme à large embouchure : il suffit d’y jeter l’objet le plus léger, même en un jour calme, pour qu’il en jaillisse une tempête semblable à un tourbillon ; le lieu se nomme Senta. Bien plus, dans la Cyrénaïque se trouve, dit-on, une roche consacrée au vent du midi : y porter la main est un sacrilège, et aussitôt le vent du midi soulève les sables. Dans beaucoup de maisons mêmes, des endroits humides et complètement à l’abri font sentir un souffle, tant il y a de causes de vents.
1 Mais il importe beaucoup de distinguer le souffle et le vent. Ces vents réglés et durables qui se font sentir, non à une localité, mais à de vastes contrées ; qui ne sont ni une brise ni une tempête, mais qui se montrent mâles jusque dans leur nom, soit qu’ils naissent du mouvement continuel du monde et du mouvement contraire des astres, soit qu’ils émanent de ce souffle fécond qui anime la nature entière, et qui s’agite çà et là comme dans une espèce de matrice, soit qu’on y voie les effets de l’air fouetté par les coups inégaux des planètes et par les jets divers des rayons, soit qu’ils sortent des planètes voisines ou qu’ils tombent des étoiles fixes ; ces vents, dis-je, sont manifestement assujettis à une loi naturelle qui, sans être ignorée, n’est cependant pas non plus complètement connue. (XLVI.) 2Plus de vingt anciens auteurs grecs ont recueilli des observations sur ce sujet. Mon étonnement est extrême quand je vois que dans le monde, en proie à la division et partagé en royaumes comme en autant de membres, un aussi grand nombre d’hommes s’est livré à la recherche de choses si difficiles à trouver ; et cela sans en être empêchés par les guerres, par les hospitalités infidèles, par les pirates ennemis de tous, et interceptant presque les passages ; et cela avec un tel succès, que, pour des lieux où ils ne sont jamais allés, on en apprend plus sur certains points, à l’aide de leurs livres, que par toutes les connaissances des habitants. De nos jours, au contraire, au sein d’un pays que fête l’univers, sous un prince qui se plaît tant à voir prospérer les choses et les arts, non seulement on n’ajoute rien aux découvertes déjà faites, mais encore on ne se tient pas même au niveau des connaissances des anciens. 3Les récompenses n’étaient pas plus grandes, car la puissance souveraine était partagée entre plus de mains ; et pourtant beaucoup ont fouillé ces secrets de la nature, sans autre rémunération que la satisfaction d’être utiles à la postérité. Ce sont les mœurs qui ont déchu, et non les récompenses. La mer est ouverte dans toute son étendue, tous les rivages sont hospitaliers ; 4mais la foule immense qui navigue le fait pour l’amour du gain et non de la science, sans songer, dans son aveuglement et dans son avidité exclusive, que la navigation elle-même devient plus sûre par la science. En conséquence, avec plus de détails qu’il ne convient peut-être au plan de cet ouvrage, je traiterai des vents, en considération de tant de milliers de marins.
1(XLVII.) Les anciens n’ont compté que quatre vents, et Homère (Od. V, 295) n’en nomme pas davantage pour les quatre points cardinaux, division qui bientôt parut trop grossière. À ces quatre l’âge suivant en ajouta huit, division qui, à son tour, parut trop subtile et trop fractionnée. Alors on jugea convenable de prendre un terme moyen, et d’ajouter à la division trop succincte quatre vents pris à la division trop nombreuse. Il y a donc deux vents dans chacune des quatre parties du monde. Le Subsolanus (est), venant du lever du printemps ; le Vulturne (sud-est), venant du lever de l’hiver : les Grecs appellent le premier Aphéliotes, le second Eurus ; l’Auster (sud), venant du midi ; l’Africus (sud-ouest), venant du coucher de l’hiver : 2les Grecs les appellent Notus et Libs ; le Favonius (ouest}, venant du coucher du printemps ; le Corus (nord-ouest), du coucher de l’été : Zephyr et Argestes en grec ; le Septentrion (nord), venant du septentrion, et l’Aquilon (nord-est), soufflant entre le précédent et le lever de l’été : Aparctias et Borée en grec. Dans la rose la plus nombreuse on avait intercalé quatre rhombes : le Thrascias (nord-nord-ouest), dans l’espace intermédiaire entre le septentrion et le coucher du midi ; le Cæcias (est-nord-est), venant du lever de l’été, entre l’Aquilon et le lever du printemps ; le Phœnicias (27) (sud-sud-est), dans la région intermédiaire entre le lever de l’hiver et le midi ; et de même, entre le Libs et le Notus, le Libonotus (sud-sud-ouest), composé de l’un et de l’autre, intermédiaire entre le midi et le coucher de l’hiver. 3Ce n’est pas tout : d’autres ont ajouté un vent (nord-est-nord) appelé Meses, entre le Borée et le Cæcias, et un vent (sud-est-sud) appelé Euronotus, entre l’Eurus et le Notus. Il y a en outre des vents particuliers à chaque contrée, et qui ne s’étendent pas au delà d’une certaine limite : tel est dans l’Attique le Sciron, déviant un peu de l’Argestes, et inconnu dans le reste de la Grèce ; le même, quand il est un peu plus septentrional, est appelé Olympias ; dans le langage habituel, on rapporte à l’Argestes ces dénominations. 4Quelques-uns nomment le Cæcias vent d’Hellespont ; au reste, les appellations de ces mêmes vents varient suivant les localités. Dans la Narbonnaise, il est un vent très célèbre, le Circius, qui ne le cède en violence à aucun, et qui la plupart du temps porte à Ostie en droite ligne, à travers la mer de Ligurie. Non seulement il est inconnu dans les autres contrées, mais même il ne se fait pas sentir à Vienne, ville de la même province : à peu de distance, ce vent si terrible est arrêté par l’interposition d’une chaîne de médiocre hauteur. Fabianus assure que les vents du midi ne se font pas sentir en Égypte. Là intervient manifestement une loi naturelle, qui règle la durée et les limites des vents eux-mêmes.
1 C’est le printemps qui ouvre les mers aux navigateurs. Au commencement de cette saison les Favonius (ouest) adoucissent la rigueur du temps, le soleil étant dans le vingt-cinquième degré du Verseau, c’est-à-dire le sixième jour avant les ides de février (le 8 février). Assujettis à une régularité à peu près pareille, s’élèvent tous les vents dont je vais parler ensuite, avec l’anticipation d’un jour pour les années bissextiles ; mais cet ordre est conservé dans toutes les années, sans intercalation. Quelques-uns appellent vent de l’Hirondelle, parce qu’alors cet oiseau se montre, le Favonius qui souffle le huitième jour des calendes de mars (22 février) ; d’autres donnent le nom d’Ornithie, à cause de l’arrivée des oiseaux, au même vent, qui soixante et un jours (28) après le solstice d’hiver souffle pendant neuf jours. Au Favonius (ouest) est opposé celui que nous avons appelé Subsolanus (est). 2Ce vent coïncide avec le lever des Pléiades dans le vingt-cinquième degré du Taureau, le sixième jour avant les ides de mai (le 10 mai) ; à partir de ces ides règne l’Auster (midi), auquel le Septentrion (nord) est opposé. C’est dans les plus grandes chaleurs de l’été que se lève la Canicule, au moment où le soleil entre dans le premier degré du Lion : ce jour est le quinzième avant les calendes d’août (le 18 juillet). Le lever de cet astre est précédé, pendant environ huit jours, par des Aquilons (nord-est) qu’on appelle précurseurs. Deux jours après ce lever les mêmes vents, soufflant avec plus de constance, reçoivent le nom de vents Étésiens pendant les jours caniculaires ; on suppose que la chaleur du soleil, redoublée par la chaleur de la Canicule, les adoucit : parmi les vents, aucuns ne sont plus réglés. 3Ensuite les Auster (midi) redeviennent fréquents jusqu’à Arcturus, qui se lève environ onze jours avant l’équinoxe d’automne. Avec Arcturus commence le Corus (nord-ouest), qui règne pendant l’automne ; à ce vent est opposé le Vulturne (sud-est). 4Quarante-quatre jours environ après cet équinoxe, le coucher des Pléiades commence l’hiver, époque qui coïncide ordinairement avec le 3 des ides de novembre (le 11 novembre) ; c’est le temps de l’Aquilon d’hiver, très différent de l’Aquilon d’été, dont l’opposé est l’Africus (sud-ouest). Sept jours avant le solstice d’hiver et sept jours après, la mer devient assez calme pour porter les nids des alcyons, d’où ces jours ont pris le nom d’Alcyoniens ; le reste de l’hiver elle est livrée aux mauvais temps ; mais toute la violence des tempêtes ne peut arrêter la navigation. Ce furent les pirates qui d’abord forcèrent les voyageurs à se jeter au-devant de la mort par crainte de la mort même, et à se hasarder sur les flots malgré l’hiver. Maintenant l’avidité fait courir les mêmes dangers.
1 Les vents les plus froids sont ceux que nous avons dit souffler du septentrion, et le Corus (nord-ouest), qui en est voisin. Ils font tomber les autres, et dissipent les nuages. L’Africus (sud-ouest) et surtout l’Auster (sud) sont humides pour l’Italie. On raconte que dans la mer du Pont le Cæcias (est-nord-est) attire à lui les nuages. Le Corus (nord-ouest) et le Vulturne (sud-est) sont secs, excepté lorsqu’ils vont finir. L’Aquilon (nord-est) et le Septentrion (nord) sont neigeux. Le Septentrion et le Corus amènent la grêle ; l’Auster, la chaleur ; le Vulturne et le Favonius (ouest), une température tiède : 2ces deux derniers sont plus secs que le Subsolanus (est); et, en général, tous les vents qui soufflent du septentrion et de l’occident sont plus secs que ceux du midi et de l’orient. Le plus salubre de tous est l’Aquilon (nord-est) ; l’Auster (sud) est nuisible, surtout quand il est sec, peut-être parce que humide il est plus froid : on pense que les animaux ont moins d’appétit quand il règne. Les vents étésiens cessent d’ordinaire de souffler la nuit, et ils commencent à la troisième heure du jour (trois heures après le lever du soleil) ; en Espagne et en Asie, ils soufflent de l’orient ; dans le Pont, de l’aquilon (nord-est) ; dans les autres contrées, du midi. 3Ils soufflent aussi du solstice d’hiver, et alors ils sont appelés Ornithies, mais ils sont plus faibles et durent peu de jours. Il y a même deux vents qui changent de nature en changeant de pays : en Afrique, l’Auster (sud) est serein, l’Aquilon (nord-est), nuageux. Les vents ou se succèdent de proche en proche, ce qui est le plus ordinaire, ou sautent au point opposé. Dans le premier cas, ils se remplacent de gauche à droite, dans le sens de la marche du soleil. Le quatrième jour de la nouvelle lune est surtout celui qui décide ce qu’ils seront dans tout le mois. Avec les mêmes vents on navigue dans des directions contraires, suivant les écoutes qu’on largue ; et il arrive souvent, pendant la nuit, que des navires venant de sens opposé se rencontrent. 4L’Auster (sud) soulève de plus grandes vagues que l’Aquilon (nord-est), parce que le premier souffle des régions inférieures de la mer, et le second, des régions supérieures : aussi est-ce surtout après les vents du sud qu’il y a des tremblements de terre destructeurs. L’Auster est plus violent la nuit : l’Aquilon, le jour ; les vents qui soufflent de l’orient sont plus durables que ceux qui soufflent de l’occident. Les vents du septentrion cessent généralement au bout d’un nombre impair de jours, observation qui se retrouve dans beaucoup d’autres parties de la nature ; aussi les nombres impairs sont-ils regardés comme mâles. Le soleil augmente ou comprime les vents ; il les augmente à son lever et à son coucher ; il les comprime à son midi dans l’été. Ils s’assoupissent la plupart du temps vers le milieu du jour et de la nuit, car un excès de froid les apaise, comme un excès de chaleur ; des pluies abondantes les apaisent aussi ; on les attend surtout du point où les nuées dissipées ont découvert le ciel. 5Eudoxe pense que, si l’on se donne la peine d’observer les plus courtes révolutions, on voit revenir dans le même ordre, au bout de quatre ans, tous les phénomènes météorologiques, non seulement les vents, mais encore à peu près toutes les autres tempêtes. Le lustre d’Eudoxe commence toujours dans une année bissextile, au lever de la Canicule. Voilà ce que j’avais à dire des vents généraux.
1 Quant aux souffles soudains qui, nés, comme nous l’avons dit (II, 42), des exhalaisons de la terre, s’élèvent pour être de nouveau précipités, ils s’entourent d’abord d’une enveloppe de nuage, et présentent des apparences variées. En effet, tantôt ils errent et se précipitent comme des torrents, et, dans ce mouvement, produisent les tonnerres et les éclairs, d’après l’opinion déjà citée (II, 43) de quelques-uns ; tantôt, roulant avec un poids et une violence plus grande, s’ils déchirent largement la nuée sèche, ils engendrent un ouragan appelé par les Grecs Ecnéphias. Si, au contraire, pris et roulés dans le pli d’une nuée qui les resserre davantage, ils la brisent sans feu, c’est-à-dire sans foudre, ils s’engouffrent, et forment ce qu’on appelle Typhon, c’est-à-dire un Ecnéphias qui tournoie. 2Il entraîne avec lui ce qu’il arrache à la nue glacée, tourbillonnant, roulant, augmentant le poids de sa chute du poids qu’il emporte, et passant de lieu en lieu par un mouvement rapide de rotation. Il est le principal fléau des navigateurs, brisant non seulement les antennes, mais encore les vaisseaux eux-mêmes, qu’il fait tournoyer. On n’a contre ses attaques qu’un bien faible remède dans des aspersions de vinaigre, liquide dont la nature est très froide. Ce même typhon, se relevant par l’effet du choc, aspire les objets qu’il saisit, et les emporte avec lui dans l’espace.
1 Si le météore s’échappe du repli du nuage par une ouverture plus large, sans que cette ouverture le soit autant que pour l’ouragan, et cela non sans fracas, on l’appelle tourbillon ; il renverse tout autour de lui. Plus ardent, et sévissant avec flamme, on lui donne le nom de prester : il brûle et abat à la fois ce qu’il touche. (XLIX.) Il n’y a point de typhon avec l’Aquilon, ni d’Ecnéphias avec la neige ou pendant qu’il y a de la neige. Si, la nue se déchirant, le météore s’embrase à l’instant même et non pas après (29), c’est la foudre, qui diffère du prester comme la flamme du feu. Le prester s’étend au loin, animé par le vent ; la foudre se condense dans le choc. Le vent qui s’engouffre (typhon) diffère du tourbillon parce qu’il se relève, et comme un bruit strident (30) diffère d’un fracas. L’ouragan diffère de l’un et de l’autre par son étendue ; la nue y est plutôt dissipée que percée. Il y a aussi une nue (trombe) qui ressemble à une espèce de monstre, et qui est funeste aux navigateurs : on l’appelle colonne, quand le liquide épaissi et consistant se soutient par lui-même ; siphon, quand la nue, prenant une forme allongée, aspire les eaux.
1(L.) En hiver et en été la foudre est rare, par des causes opposées. En hiver, l’air condensé est recouvert d’une enveloppe plus épaisse de nuages, et les exhalaisons terrestres denses et congelées éteignent tout ce qu’elles reçoivent de vapeur ignée. C’est cette raison qui exempte de la foudre la Scythie et les contrées glacées qui l’environnent ; au contraire, un excès de chaleur protège l’Égypte, et les exhalaisons chaudes et sèches de la terre ne s’y forment que très rarement en nuée, et encore peu épaisse. 2Au printemps et dans l’automne la foudre est plus fréquente, les conditions de l’été et de l’hiver s’altérant dans ces deux saisons ; aussi est-elle commune en Italie ; car avec un air plus variable, un hiver plus doux et un été nuageux, on a, pour ainsi dire, perpétuellement le printemps ou l’automne. Dans les parties de l’Italie qui tirent vers le midi, par exemple dans la Campagne de Rome et dans la Campanie, il tonne en hiver comme en été, ce qui n’arrive pas dans d’autres contrées.
1(LI.) Dans la foudre on distingue plusieurs espèces : celle qui est sèche ne consume pas, elle disperse ; celle qui est humide ne brûle pas, elle noircit : il y en a une troisième espèce qu’on appelle claire ; elle est d’une nature tout à fait extraordinaire, vide les tonneaux sans les endommager, et sans laisser aucune trace de son passage, fond l’or, l’airain, l’argent contenus dans un sac, sans le brûler et même sans en altérer les cachets de cire. 2Marcia, princesse (31) des dames romaines, fut, étant enceinte, frappée par la foudre : elle eut son enfant tué dans son sein, et n’éprouva, quant à elle, aucun mal. Parmi les prodiges qui éclatèrent du temps de Catilina, M. Herennius (32), décurion du municipe de Pompéi, fut atteint de la foudre dans un jour serein.
1(LII.) Dans les livres des Étrusques il est dit que neuf dieux lancent la foudre, dont il y a onze espèces, le seul Jupiter en lançant trois. Les Romains n’ont conservé que deux espèces de foudres, attribuant celles du jour à Jupiter, celles de la nuit à Summanus ; ces dernières plus rares, sans doute pour la raison indiquée plus haut, la fraîcheur du ciel. L’Étrurie pense que de la terre aussi partent des foudres qu’elle appelle inférieures, foudres qui, arrivant en hiver, passent pour funestes et exécrables ; car toutes les choses regardées comme terrestres différent des choses générales, qui viennent des astres ; et elles sont d’une nature voisine de la nôtre, et impure. 2Un fait incontestable, c’est que toutes les foudres qui tombent du ciel supérieur frappent en zig-zag, tandis que toutes celles qu’on appelle terrestres frappent en droite ligne. Ce qui fait croire que celles-ci sortent de terre, c’est qu’elles tombent de quelque nuage plus rapproché ; elles ne rencontrent rien qui les repousse et en marque le trajet ; or, cela indique que le coup est porté, non de bas en haut, mais sans intermédiaire. Ceux qui raffinent pensent que ces foudres proviennent de Saturne, de même que les foudres qui brûlent proviendraient de Mars, comme celle qui consuma entièrement Volsinies, ville opulente de l’Étrurie. On appelle foudres de famille les premières foudres qui, prédisant la destinée pour toute la vie, éclatent quand un homme se met en famille. Au reste, on pense que pour les particuliers les présages de ces foudres ne s’étendent pas au delà de dix ans, si ce n’est de celles qui surviennent le jour du premier mariage ou le jour de la naissance, et que pour les États ils ne s’étendent pas au delà de trente ans, si ce n’est lors de la fondation des villes.
1(LIII.) Les Annales rapportent que par certains rites et certaines invocations on force ou l’on obtient la descente des foudres. C’est une vieille tradition dans l’Étrurie, qu’on fit ainsi descendre la foudre sur un monstre appelé Volta, qui menaçait la ville de Volsinies, après avoir dévasté le territoire. Elle a été aussi évoquée par le roi étrusque Porsenna. Avant lui cela avait été pratiqué souvent par Numa, d’après le premier livre des Annales de L. Pison, auteur grave ; ce fut en imitant cette pratique d’une manière peu conforme aux rites que Tullus Hostilius fut frappé de la foudre (XXVIII, 4). Pour cela nous avons des bois, des autels et des rites ; et parmi les Jupiter Stator, Tonnant, Féretrien, nous avons reçu un Jupiter Elicius (qui attire la foudre). 2Sur ce point l’opinion des hommes varie, suivant les dispositions de chacun. Il y a de l’audace à croire que l’on commande à la nature, comme il y a de la stupidité à contester les services qu’on peut tirer de la foudre, puisque la science est parvenue, dans l’interprétation de ce phénomène, au point d’en prédire l’arrivée à jour fixe, et d’annoncer si la foudre qui existera doit interrompre une destinée ou ouvrir la voie à de nouveaux destins voilés jusqu’alors : cela est prouvé par des exemples innombrables, tant publics que privés. Laissons donc ces phénomènes tels que la nature a voulu qu’ils fussent, tantôt certains, tantôt douteux, approuvés par les uns, condamnés par les autres ; mais n’omettons rien de ce qu’ils offrent de mémorable.
1(LIV.) Il est certain que, bien que l’éclair et le tonnerre soient simultanés, l’éclair se voit avant que le tonnerre ne s’entende. Cela n’est pas surprenant ; car la lumière est plus rapide que le son. Le choc au départ et le bruit coïncident par une nécessité naturelle ; et le bruit appartient à ce choc de départ, et non au choc de l’arrivée. Le souffle de la foudre, plus rapide que la foudre même, agite et ébranle tout avant qu’elle ne frappe. On n’est jamais atteint si on a vu l’éclair ou entendu le tonnerre. 2À gauche la foudre est regardée comme de bon augure, parce que l’orient est à la gauche du monde. Ce n’est pas tant l’arrivée de la foudre que le retour qu’on observe, à savoir si le feu rebondit par le choc, ou si, l’œuvre étant achevée ou le feu consumé, le souffle remonte. Pour ces observations, les Étrusques ont divisé le ciel en seize parties : quatre aspects principaux, le premier du septentrion au lever équinoxial, le second jusqu’au midi, le troisième jusqu’au coucher équinoxial, le quatrième dans l’intervalle compris entre le coucher et le septentrion, ont été subdivisés chacun en quatre autres aspects : huit à partir du lever sont appelés gauches, et huit en sens contraire sont appelés droits. 3Les plus funestes des foudres sont celles qui, partant du coucher, atteignent le nord. Ainsi, il importe beaucoup de savoir d’où sont venues les foudres et où elles sont allées : ce qu’il y a de mieux, c’est qu’elles retournent vers les parties orientales. Quand elles sont venues du premier aspect du ciel et qu’elles y sont retournées, c’est le présage d’un bonheur extraordinaire, présage qu’on rapporte avoir été donné au dictateur Sylla. Les autres foudres sont moins prospères ou moins funestes, suivant la portion du monde. On pense qu’il y a certaines foudres dont il n’est permis ni de donner ni d’écouter l’interprétation, à moins qu’elles ne s’adressent à un hôte, au père, ou à la mère. On a reconnu à Rome, quand le temple de Junon fut frappé par la foudre, sous le consulat de Scaurus, qui bientôt après fut prince du sénat (XXXVI, 24), combien ces observations sont vaines.
4 C’est plutôt pendant la nuit que pendant le jour qu’il y a des éclairs sans tonnerre. L’homme est le seul animal que la foudre, par un privilège que la nature lui accorde, ne tue pas toujours ; elle tue les autres soudainement, bien que beaucoup l’emportent sur lui par la force. Tous les animaux tombent sur le côté opposé au coup ; l’homme au contraire ne meurt que s’il tombe sur le côté atteint (XXVIII, 12); frappé sur la tête, il s’affaisse sur lui-même ; frappé dans l’état de veille, il est trouvé les yeux fermés ; frappé dans le sommeil, il est trouvé les yeux ouverts. La religion ne permet pas de brûler le corps d’un homme ainsi tué ; elle veut qu’on l’enterre. Le corps d’aucun animal ne s’enflamme par la foudre, s’il n’est à l’état de cadavre. Les plaies des personnes foudroyées sont plus froides que le reste du corps.
1(LV.) Parmi les productions de la terre, la foudre ne frappe pas le laurier (XV, 40). Elle ne s’enfonce jamais de plus de cinq pieds dans la terre. En conséquence, les personnes timides pensent que les endroits les plus sûrs sont les cavernes profondes. On se réfugie encore sous des tentes de peaux de veau-marin, le seul, parmi les animaux de la mer, qu’elle ne frappe pas ; parmi les oiseaux, elle ne frappe pas non plus l’aigle, que pour cette raison l’on représente comme porteur de la foudre. 2En Italie, entre Terracine (III, 9) et le temple Féronien (en Campanie), on cesse d’élever des tours en temps de guerre, toutes ayant été détruites par la foudre.
1(LVI.) Il se passe encore d’autres phénomènes dans le ciel inférieur. Les monuments historiques rapportent qu’il est tombé des pluies de lait et de sang sous le consulat (an de Rome 640) de Manius Acilius et de C. Porcius, et dans beaucoup d’autres circonstances ; des pluies de chair, sous le consulat (an de Rome 293) de P. Volumnius et de Servius Sulpicius, ce qui ne fut pas enlevé par les oiseaux ne se putréfia pas ; 2des pluies de fer dans la Lucanie, l’année qui précéda celle où M. Crassus fut tué par les Parthes, et avec lui tous les soldats lucaniens, dont il y avait un grand nombre dans l’armée : le fer qui tomba avait l’aspect spongieux ; les aruspices annoncèrent que des blessures venant d’en haut étaient à craindre. Sous le consulat de L. Paulus et de C. Marcellus (an de Rome 704) il y eut une pluie de laine autour du château de Carissa (33), auprès duquel, l’année suivante, T. Annius Milon fut tué. Pendant le procès de ce même personnage (an de Rome 702) il y eut une pluie de briques cuites : cela est rapporté dans les Actes de cette année.
1(LVII.) Le fracas des armes et le son de la trompette ont été entendus au haut du ciel lors des guerres Cimbriques (an de Rome 654) ; il l’a été souvent dans les temps qui ont précédé et suivi. Sous le troisième consulat de Marius (an de Rome 651) les habitants d’Ameria et de Tudertum virent des armes célestes venir se heurter du levant et du couchant, et celles qui étaient du côté du couchant furent mises en déroute. On a vu plusieurs fois le ciel lui-même en feu ; cela n’est pas étonnant : ce sont les nuages qui s’enflamment dans une grande étendue.
1(LVIII.) Les Grecs célèbrent Anaxagore de Clazomène, qui, la seconde année de la 78e olympiade, prédit par la science astronomique qu’à tel jour une pierre devait tomber du soleil ; et cela arriva, en plein jour, dans la Thrace, auprès de Ægos-Potamos (IV, 18) : encore aujourd’hui on montre cette pierre : elle est d’un poids à faire la charge d’un chariot, et d’une couleur brûlée. À la même époque, une comète brilla pendant les nuits. 2Si l’on croit à cette prédiction, il faut avouer que l’esprit divinateur d’Anaxagore fut bien merveilleux : et c’est renoncer à comprendre la nature et reconnaître une confusion générale, que d’admettre que le soleil lui-même est une pierre, ou qu’une pierre y ait jamais été contenue. Toutefois, il n’est pas douteux que des pierres tombent souvent du ciel. 3Dans le gymnase d’Abydos (V, 40), aujourd’hui même, une pierre est révérée en raison de cette origine ; elle est d’un médiocre volume ; et le même Anaxagore avait annoncé, dit-on, qu’elle tomberait au milieu de la terre. Une pierre est aussi honorée à Cassandrie (IV, 17), qu’on appelle Potidée, et qui fut colonisée pour ce motif. Moi-même j’ai vu, dans le territoire des Vocontiens, une pierre qui venait d’y tomber.
1(LIX.) Nous appelons arc-en-ciel un phénomène qui, en raison de sa fréquence, n’est ni une merveille ni un prodige ; car il n’annonce pas, d’une manière sûre, même la pluie ou le beau temps. Il est évident que le rayon solaire entré dans une nuée concave est repoussé vers le soleil et réfracté, et que la variété des couleurs est due au mélange du nuage, de l’air et du feu. Ce phénomène ne se voit qu’à l’opposite du soleil. Il n’a jamais d’autre forme que celle d’un demi-cercle. Il ne se montre jamais la nuit, bien qu’Aristote rapporte qu’on en a vu quelquefois. Cependant le même Aristote avoue que cela ne peut arriver que le trentième jour de la lune (34). Les arcs-en-ciel se montrent en hiver, surtout durant la décroissance des jours, après l’équinoxe d’automne. Après l’équinoxe du printemps, quand les jours croissent, il n’y a pas d’arc-en-ciel ; il n’y en a pas non plus vers le solstice, pendant les jours les plus longs ; mais ils sont fréquents vers le solstice d’hiver, c’est-à-dire pendant les jours les plus courts. Ils sont élevés quand le soleil est bas, bas quand le soleil est élevé, moindres au lever ou au coucher, mais ayant de la largeur ; étroits à midi, mais embrassant un plus grand espace. En été, on n’en voit pas à midi ; après l’équinoxe d’automne, on en voit à toute heure, et jamais plus de deux à la fois.
1 Les autres phénomènes naturels de ce genre ne sont guère l’objet de difficultés. (LX.) La grêle est une pluie congelée ; la neige, une pluie moins condensée par la congélation ; le givre (XVII, 37), de la rosée gelée. Pendant l’hiver il tombe de la neige, et point de grêle. La grêle elle-même tombe plus souvent pendant le jour que pendant la nuit ; et elle fond plus rapidement que la neige. Les brouillards ne s’élèvent ni en été ni par les plus grands froids. Les rosées ne tombent ni par la gelée, ni par la chaleur, ni par le vent ; il n’y en a que par les nuits sereines. 2Un liquide (XXXI, 21) en se congelant diminue ; et, la glace fondue, on n’en retrouve plus la même quantité (35).
3(LXI.) On aperçoit des couleurs et des figures diverses dans les nuages, suivant que le feu y domine ou y est dominé.
1(LXII.) En outre, certains lieux offrent des particularités. En Afrique, pendant l’été, les nuits sont abondantes en rosée. En Italie, à Locres (III, 10) et sur le lac Vélin (III, 18), il n’y a pas de jour où un arc-en-ciel n’apparaisse ; à Rhodes et à Syracuse, les nuages ne sont jamais tellement épais que le soleil ne brille au moins pendant quelques moments. Il sera plus convenablement question de ces phénomènes en lieu et place. Voilà ce que j’ai à dire au sujet de l’air.
1((LXIII.) Vient ensuite la terre. Seule, entre toutes les choses de la nature, elle a mérité par tous ses bienfaits qu’on lui donnât le nom sacré de mère (XXIII, 4). Elle appartient aux hommes comme le ciel à Dieu ; naissants, elle nous reçoit ; nés, elle nous nourrit ; une fois venus à la lumière du jour, elle nous sert toujours de support ; enfin elle nous embrasse dans son sein lorsque nous sommes déjà séparés du reste de la nature, nous couvrant alors surtout, comme une mère ; sacrée, puisqu’elle nous rend nous-mêmes un objet sacré ; portant nos monuments et nos inscriptions, faisant durer notre nom, et étendant notre mémoire au delà du court intervalle de cette vie. 2Divinité suprême, nous la souhaitons, dans notre colère, pesante à ceux qui ne sont plus, comme si nous ignorions que seule elle ne s’irrite jamais contre l’homme. L’eau descend en pluie, se congèle et grêle, se soulève en flots, se précipite en torrents ; l’air se condense en nuage, se déchaîne en tempêtes ; mais la terre, bénigne, bonne, indulgente, et toujours au service des mortels, que n’engendre-t-elle pas malgré elle ! que n’épanche-t-elle pas spontanément ! quels parfums, quelles saveurs, quels sucs, quels objets doux au toucher, quelles couleurs ! avec quelle fidélité ne rend-elle pas ce qui lui a été confié ! que n’alimente-t-elle pas en notre faveur ! Car, pour les animaux nuisibles, la faute en est au souffle de vie, et elle est obligée d’en recevoir les germes, et, mis au jour, de les supporter. Dans les choses mauvaises, ce qui est coupable, c’est ce qui engendre. 3La terre ne reçoit plus un serpent (XXIX, 23) qui a donné le coup mortel à un homme, infligeant des peines, même au nom de ceux qui ne demandent pas vengeance. Elle prodigue les herbes médicinales, et pour l’homme elle est toujours en enfantement. Quant à ce qui est des poisons, on peut croire que c’est par compassion pour nous qu’elle les a composés ; autrement, saisis par le dégoût de la vie, il faudrait ou que la faim, genre de mort le plus contraire à la bienfaisance de la terre, nous consumât lentement, ou que nous allassions soit nous briser dans les précipices, soit nous soumettre au supplice de la corde, supplice contraire à notre but, et fermant le chemin au souffle vital pour lequel on cherchait justement une issue, soit nous jeter dans les flots où les poissons nous serviront de tombeau, soit nous déchirer le corps par le tranchant du fer. 4Oui, par pitié pour nous elle a produit ces substances faciles à boire, et sous l’action desquelles nous nous éteignons, le corps intact, sans perdre une goutte de sang, sans aucun effort, et paraissant nous désaltérer. Après une telle mort, nul oiseau, nul quadrupède ne vient toucher le corps ; et celui qui n’existe déjà plus pour lui-même se trouve conservé pour la terre. Avouons la vérité : c’était un remède que la terre avait enfanté pour nos maux ; nous en avons fait un poison : n’abusons-nous pas de même du fer, d’ailleurs indispensable ? Et cependant nous ne serions pas en droit de nous plaindre, quand même elle aurait produit les poisons pour nuire. La terre est le seul élément à l’égard duquel nous soyons ingrats. 5Combien le luxe n’en abuse t-il pas ! à quels outrages n’est-elle pas soumise. On l’entasse dans les mers ; on l’entame pour ouvrir l’entrée aux flots de l’Océan (36). L’eau, le fer, le bois, le feu, la pierre, le froment, tout est pour elle, à toute heure, une cause de tourment, et bien plus pour servir à nos délices qu’à notre nourriture. On dira peut-être que les souffrances qu’elle endure à sa superficie, et, pour ainsi dire, à son épiderme, sont tolérables ; eh bien ! nous pénétrons dans son sein ; nous y fouillons les veines d’or et d’argent, les mines de cuivre et de plomb, et même nous y allons chercher des pierres précieuses et quelques petits cailloux, à l’aide d’excavations profondes. Nous arrachons ses entrailles, pour qu’un doigt soit orné du joyau convoité. Que de mains s’usent à faire briller une seule phalange ! S’il y avait des enfers, depuis longtemps les souterrains creusés par l’avarice et le luxe les auraient mis à découvert. 6Et nous nous étonnons qu’elle ait engendré quelques productions nuisibles ! Quant aux bêtes qui la gardent, comme elles en éloignent bien les mains sacrilèges ! C’est au milieu des serpents que nous creusons les mines, c’est à côté des racines des poisons que nous mettons la main sur les veines d’or. Toutefois, ce qui rend la déesse moins irritée, c’est que toutes ces richesses aboutissent à des crimes, à des meurtres, à des guerres ; et, après l’avoir arrosée de notre sang, nous la couvrons de nos ossements laissés sans sépulture. Néanmoins, comme pour nous reprocher nos fureurs, elle finit par revêtir ces débris d’une couche dernière, et par cacher même les forfaits des mortels.
1 Parmi les crimes de notre ingratitude je compterai aussi notre ignorance de la nature de la terre.
1(LXIV.) D’abord, quant à sa figure, le consentement unanime en décide : nous disons le globe de la terre, et nous convenons que la circonférence en est limitée par les pôles. Ce n’est pas, il est vrai, une sphère parfaite ; il y a trop de montagnes élevées et de plaines étendues ; mais si l’on fait passer une courbe par les extrémités des lignes (37), on décrira de cette façon une surface sphérique régulière. Les lois naturelles veulent qu’elle soit ronde, mais non en vertu des mêmes causes que celles que nous avons rapportées pour le ciel (II, 2). 2En effet, le ciel est une sphère creuse qui pèse de toutes parts sur son pivot, c’est-à-dire sur la terre ; celle-ci, solide et condensée, s’arrondit comme par un mouvement de soulèvement, et se développe. Le monde tend vers le centre, la terre tend hors du centre, et le globe immense qu’elle constitue prend la forme d’une sphère, par l’effet de la révolution perpétuelle du monde autour d’elle.
1(LXV.) Ici s’élève un grand débat entre la science et le vulgaire. La science prétend que les hommes sont répandus sur le pourtour de la terre, qu’ils ont les pieds à l’opposite les uns des autres, que partout le ciel est également sur leurs têtes, et que partout le point de la terre foulé par les pieds de ses habitants est le centre pour chacun. Le vulgaire demande pourquoi les hommes placés à l’opposite ne tombent pas : comme s’il n’était pas facile de répondre qu’eux aussi ont le droit de s’étonner que nous ne tombions pas ! Il y a une opinion intermédiaire, et que la foule si indocile trouve probable : c’est que le globe est inégal, semblable pour la figure à une pomme de pin, et que la terre est habitée tout autour de cette espèce de cône. 2Mais qu’importe si un autre miracle surgit ? Elle est suspendue, et ne tombe pas avec nous : comme si la puissance de l’air, et de l’air renfermé dans le monde, était douteuse ! ou comme si la terre pouvait tomber malgré la nature, qui lui refuse un lieu où elle puisse tomber ! Car, de même que la région des feux n’est que dans les feux, des eaux que dans les eaux, de l’air que dans l’air, de même pour la terre, que tout le reste repousse, il n’y a de place qu’en elle-même. Toutefois, ce n’est pas sans peine qu’on en admet la sphéricité avec la forme aplanie de ses mers et de ses campagnes. Cette objection est réfutée par Dicéarque, très savant homme, qui a mesuré des montagnes par l’ordre des rois. Il a écrit que le Pélion, la plus haute, avait 1250 pas d’élévation perpendiculaire, et que ce n’était rien par rapport au globe terrestre. Pour moi, cette conclusion me paraît incertaine : car je sais que certaines sommités des Alpes s’élèvent par un long développement qui n’est pas moindre de 50 000 pas (38). 3Mais ce qui répugne surtout au vulgaire, c’est d’être obligé de croire que l’eau même prend une figure sphérique : et cependant il n’y a rien de plus manifeste dans toute la nature : partout les gouttes suspendues s’arrondissent en petites sphères ; jetées sur la poussière, déposées sur le duvet des feuilles, elles se présentent avec une sphéricité parfaite. Dans un vase plein, le liquide est plus élevé au milieu ; et ce phénomène, en raison de la ténuité et du peu de consistance de liquide, nous le concluons plutôt que nous ne le voyons. 4En effet, chose encore plus singulière, dans un vase plein, le liquide, pour peu qu’on y en ajoute, déborde ; il ne déborde pas si on y fait glisser des poids qui vont souvent jusqu’à vingt deniers (39). Dans ce dernier cas, les poids introduits ne font qu’augmenter la convexité du liquide ; dans le premier, la convexité déjà existante fait que le liquide déborde incontinent. C’est encore grâce à la convexité des eaux que, du pont d’un navire, on n’aperçoit pas la terre alors qu’on la voit du haut des mâts, et que quand un vaisseau s’éloigne, un objet éclatant, placé au sommet du mât paraît descendre peu à peu, et ne devient invisible qu’après tout le reste. 5Enfin l’Océan, qui, de l’aveu commun, est la borne de toutes choses, par quelle autre figure garderait-il sa cohésion et serait-il empêché de tomber, puisqu’il n’est retenu par aucun rivage ultérieur ? Mais cela ne fait pas disparaître la merveille, et l’on demande comment la mer, bien qu’arrondie, ne tombe pas à son extrémité. Le fait est que la mer, même plane et de la figure qu’elle paraît avoir, ne pourrait tomber : c’est ce que les Grecs, inventeurs de tant de choses, enseignent, à leur grande joie et à leur grande gloire, par une théorie géométrique. 6Les eaux se portent de haut en bas ; on sait que telle en est la nature ; personne ne doute non plus que sur un rivage quelconque elles n’arrivent aussi loin que le niveau le permet ; d’autre part, plus un objet est bas, plus il est près du centre de la terre ; toutes les lignes qui sont menées du centre à la surface des eaux au point le plus voisin sont plus courtes que celles qui sont menées en long d’un bout de la mer à l’autre : donc toutes les eaux tendent de toutes parts vers le centre, et elles ne tombent pas parce que toutes font effort vers les parties intérieures de la terre (40).
1 Il faut croire que la nature, artisan des choses, a voulu que la terre, qui, aride et sèche, ne pourrait subsister par elle-même et sans humidité, et l’eau, qui a besoin de l’appui de la terre, s’unissent par un entrelacement mutuel. La terre ouvre son sein, l’eau y pénètre partout, en dedans, en dehors, en haut ; les veines liquides se disséminent comme autant de liens, l’eau fait éruption même au sommet des montagnes ; poussée par l’air et exprimée par le poids de la terre, elle jaillit à la manière des siphons ; et, loin de courir risque de tomber, elle s’élance, au contraire, jusqu’aux sommités les plus élevées. 2Cela explique comment l’afflux quotidien de tant de fleuves ne fait pas croître les mers.
(LXVI.) La terre est donc, dans toute sa circonférence, entourée par la mer, qui la baigne ; et il n’est pas besoin de chercher des arguments pour le prouver, l’expérience l’a déjà démontré.
1(LXVII.) Aujourd’hui, à partir de Cadix et des Colonnes d’Hercule, on navigue dans tout l’océan Occidental, autour de l’Espagne et des Gaules. L’océan Septentrional a été parcouru dans la plus grande partie sous les auspices du dieu Auguste : la flotte fit le tour de la Germanie jusqu’au promontoire des Cimbres (41) ; de là on aperçut une mer immense, ou l’on en apprit l’existence par des ouï-dire, mer qui s’étend jusqu’aux plages de la Scythie, et à des contrées glacées par un excès d’humidité. Il n’est donc nullement vraisemblable que les mers cessent là où prédomine l’élément humide. 2De même à l’orient, toute la partie est de la mer des Indes, tournée vers la mer Caspienne (42) (VI, 15), a été parcourue par les armes macédoniennes, sous les règnes de Séleucus et d’Antiochus, qui voulurent que ces mers fussent appelées de leur nom Séleucide et Antiochide. Encore, vers la mer Caspienne, beaucoup de rivages de l’Océan ont été explorés, et peu s’en faut que tout le septentrion, d’un côté ou de l’autre, n’ait été sillonné par la rame. Si de pareilles navigations pouvaient laisser place à des doutes, le Palus-Méotide les lèverait ; car, ou c’est un golfe de l’Océan, comme je vois que plusieurs l’ont cru, ou une flaque qui n’en est séparée que par un espace étroit. Dans une autre direction, en partant de Cadix et en marchant vers l’occident, on parcourt aujourd’hui, le long de la Mauritanie, une grande partie de la mer du midi. 3La plus grande partie de cette mer et en même temps de tout l’Orient a été visitée, grâce aux victoires d’Alexandre, jusqu’au golfe d’Arabie ; et sur ce golfe, lors de l’expédition qu’y fit C. César, fils d’Auguste (VI, 31), des débris de naufrage furent, assure-t-on, reconnus comme appartenant à des vaisseaux espagnols. Hannon, pendant que la puissance de Carthage florissait, navigua depuis Cadix jusqu’aux limites de l’Arabie, et mit par écrit l’histoire de sa navigation. Dans le même temps, Himilcon fut envoyé pour explorer les parties extérieures de l’Europe. 4En outre, Cornélius Népos raconte que de son temps un certain Eudoxe, fuyant le roi Ptolémée Lathyre (117-81 av. J.-C.), sortit du golfe Arabique et arriva jusqu’à Cadix. Longtemps avant lui, Cælius Antipater atteste avoir vu un marin qui, dans des vues commerciales, avait fait par mer le trajet d’Espagne en Éthiopie. Le même Cornélius Népos, au sujet du circuit septentrional, dit que Quintus Métellus Céler, collègue de Lucius Afranius dans le consulat, mais alors proconsul de la Gaule (63 av. J.-C.) reçut en présent, du roi des Suèves, des Indiens qui, partis de l’Inde pour leur commerce, avaient été jetés par les tempêtes sur les côtes de la Germanie. 5Ainsi les mers, entourant de toutes parts le globe qu’elles divisent, nous en enlèvent une partie, et le trajet n’est praticable ni de notre partie vers l’autre, ni de l’autre vers nous. Ces connaissances, si propres à mettre à nu la vanité des mortels, m’engagent à montrer, pour ainsi dire, en un tableau à quoi se réduit la grandeur de ce tout, quel qu’il soit, dans lequel s’agite l’ambition insatiable de chacun.
1(LXVIII.) D’abord on semble compter une moitié pour la terre, comme si ce n’était pas faire tort à l’Océan ! Occupant toute la parte moyenne du globe, source et réservoir de toutes les eaux, même de celles qui s’élèvent sous forme de nuages, alimentant les astres eux-mêmes, si grands et en si grand nombre, dans quel vaste espace ne doit-il pas s’étendre ? Le domaine de cette masse énorme d’eau, rebelle à toute mesure, doit être infini. Ajoutez maintenant que, de la portion qui nous reste, plus de la moitié nous est enlevée par le ciel. Le ciel est divisé en cinq parties qu’on appelle zones : un froid rigoureux et des glaces éternelles assiègent toutes les contrées soujacentes[sic] aux deux zones extrêmes, c’est-à-dire qui entourent les deux pôles, l’un appelé boréal, l’autre opposé, appelé austral ; 2une obscurité perpétuelle y règne, l’influence des astres plus doux y est étrangère, et il n’y a d’autre lumière que la réflexion blanchâtre du givre. La zone du milieu, par où passe l’orbite du soleil, est embrasée par les feux, et la chaleur trop voisine la brûle. Deux zones seulement, intermédiaires à la zone torride et aux zones glacées, sont tempérées ; et encore ne sont-elles pas accessibles l’une à l’autre, à cause des feux que laissent les astres. Ainsi, le ciel nous enlève trois parties de la terre, et nous ignorons ce qui est la proie de l’océan. 3Et je ne sais si la portion qui nous reste ne doit pas encore être réduite. En effet, le même Océan, pénétrant, comme nous le dirons (III-IV), dans une foule de golfes, vient mugir si près des mers intérieures, que le golfe Arabique n’est éloigné de la mer d’Égypte que de cent quinze mille pas (V, 12) et la mer Caspienne du Pont-Euxin que de trois cent soixante quinze mille. Entrant par tant de mers dans les terres, et découpant l’Afrique, l’Europe et l’Asie, combien d’espace n’occupe-t-il pas ? Que l’on fasse le compte du terrain pris par tant de fleuves et par de si grands marais ; qu’on y ajoute les lacs et les étangs ; qu’on retranche ces montagnes élevées jusqu’aux cieux, 4et dont les pentes abruptes effrayent même la vue ; les forêts, les vallées en précipices, les déserts et les lieux inhabitables par mille causes ; telle est notre part : ces parcelles de terre, ou plutôt, comme plusieurs l’ont dit, un point du monde (la terre n’est rien de plus dans l’univers) ! telle est la matière de notre gloire, tel est notre séjour ! C’est là que nous remplissons les magistratures, que nous gérons les commandements, que nous ambitionnons l’opulence ; c’est là que nous nous agitons, pauvre espèce humaine, que nous organisons des guerres, même des guerres civiles, faisant par des massacres mutuels l’espace plus grand ; 5et, pour passer les fureurs des nations, c’est là que nous empiétons sur les limites d’autrui, et que par fraude nous ajoutons à notre terrain le bord du terrain voisin. Pourtant, celui qui aura mesuré les champs les plus vastes, qui aura expulsé au loin les propriétaires limitrophes, quelle sera sa part sur la totalité de la terre ? Et quand même il aurait étendu ses propriétés à la mesure de son avidité, mort, quelle portion en occupera-t-il ?
1(LXIX.) La terre est au milieu de l’univers entier : cela se conclut d’arguments non douteux, mais surtout de l’égalité du jour et de la nuit à l’équinoxe ; car si elle n’était au milieu, les jours ne pourraient être égaux aux nuits, comme on le voit à l’aide des dioptres (43) qui démontrent surtout cette position centrale. En effet, le lever du soleil à un équinoxe est sur la même ligne que le coucher à l’équinoxe suivant, et de même le lever du soleil au solstice d’été est sur la même ligne que le coucher au solstice d’hiver ; ce qui ne pourrait se faire si la terre n’était pas située au centre.
1(LXX.) Trois cercles, dans leurs rapports avec les zones susdites, marquent les inégalités des saisons : le tropique d’été commence pour nous à la partie la plus élevée du zodiaque, et se porte vers la zone du nord ; à l’opposite, vers l’autre pôle, est le tropique d’hiver ; et au milieu du zodiaque marche la ligne equinoxiale.
1 Les autres phénomènes qui nous étonnent ont leur cause dans la figure de la terre elle-même, qui, avec les eaux, a une forme sphérique, ainsi que le prouvent les mêmes arguments. De cette façon les astres du nord ne se couchent jamais pour nous, les astres du midi ne se lèvent jamais, et ceux de notre pôle ne sont pas vus par les peuples de l’autre, à cause de la convexité intermédiaire de la terre. 2La grande Ourse n’est pas visible dans la Troglodytique ni dans l’Égypte, qui y touche ; Canope, la Chevelure de Bérénice, et la constellation qui, sous le dieu Auguste, reçut le nom de Trône de César, étoiles remarquables dans ces contrées, ne sont pas visibles en Italie. La terre a une courbure si manifeste, que Canope, pour l’horizon d’Alexandrie, s’élève de la quatrième partie d’un signe environ ; pour l’horizon de Rhodes, rase pour ainsi dire la terre, et cesse absolument d’être visible dans le Pont, où la grande Ourse est très élevée. Cette dernière constellation se couche dès l’île de Rhodes, elle se couche bien davantage pour Alexandrie ; en Arabie, au mois de novembre, cachée durant la première veille (le premier quart de la nuit), elle se montre à la seconde (le second quart) ; à Méroé, elle apparaît un peu au solstice d’été le soir, et, pendant quelques jours avant le lever d’Arcturus (12 février) (XVIII, 65), elle est également visible au matin. Ces phénomènes s’observent surtout dans les voyages maritimes, suivant que les navigateurs remontent ou descendent la mer : alors des astres que cachaient les parties proéminentes du globe brillent soudainement aux yeux, comme s’ils sortaient des flots. 2Ce n’est pas, comme l’ont dit quelques-uns, que le monde soit plus élevé à notre pôle, car alors les astres qui l’entourent seraient vus de toutes parts. Mais les astres paraissent élevés pour ceux qui sont voisins, paraissent abaissés pour ceux qui en sont loin ; et tandis que le pôle sous lequel nous sommes nous semble à une grande hauteur, d’autres astres s’élèvent, les nôtres s’abaissent pour ceux qui passent de l’autre côté de la terre ; ce qui ne peut être que dans une figure sphérique.
1 Aussi les éclipses de soleil et de lune qui arrivent le soir sont invisibles pour les Orientaux, celles qui arrivent le matin pour les Occidentaux ; celles qui arrivent vers midi sont plus généralement visibles. Lors de la célèbre victoire remportée par Alexandre le Grand à Arbelles, la lune s’éclipsa à la deuxième heure de la nuit ; et, à la deuxième heure en Sicile, elle se leva pour cette île. Une éclipse de soleil qui eut lieu, il y a peu d’années, sous le consulat de Vispstanus et de Fonteius (an de Rome 812 ; apr. J.-C. 59), la veille des calendes de mai (30 avril) fut visible en Campanie entre la septième et la huitième heure du jour (la première heure était comptée du lever du soleil). Corbulon, qui commandait en Arménie, rapporte qu’elle fut visible entre la dixième et la onzième heure. La rondeur du globe fait, suivant les lieux, les apparitions et les occultations. 2Si la terre était plane, tout apparaîtrait à tous en même temps, et les nuits ne descendraient pas inégales ; car ceux même qui ne sont pas placés au milieu verraient égaux les intervalles de douze heures ; or, ces intervalles de jour et de nuit ne se correspondent pas en tout lieu.
1(LXXI.) En conséquence, un jour quel qu’il soit et une nuit quelconque ne sont jamais les mêmes en même temps pour toute la terre, l’interposition successive du globe produisant la nuit, et la marche du soleil amenant le jour. Beaucoup d’observations en témoignent : en Afrique et en Espagne les tours d’Hannibal, en Asie des constructions semblables destinées à donner l’alarme en cas d’invasion des pirates, ont montré plus d’une fois que les feux des signaux de la première tour, allumés à la sixième heure du jour (au milieu de la journée), ont été vus à l’autre extrémité de la ligne à la troisième heure de la nuit. 2Philonidès (VII, 20), coureur d’Alexandre, allant de Sicyone à Élis, qui en est à douze cents stades (myriam. 22,08), arrivait en neuf heures de jour ; mais d’Élis à Sicyone, quoique le circuit fût descendant, il n’arrivait qu’à la troisième heure de la nuit : c’est qu’en allant il cheminait dans le sens du soleil, et qu’en revenant il marchait en sens contraire de cet astre. Pour cette raison, les navigateurs qui font route vers l’occident font plus de chemin le jour que la nuit, même pendant les jours les plus courts, attendu qu’ils accompagnent le soleil (44).
1(LXXII.) De plus, le même cadran solaire ne peut pas servir partout. Au bout de trois cents stades ou de cinq cents au plus (myriam. 5,4-9), les ombres du soleil changent. L’ombre du gnomon, en Égypte, à midi, le jour de l’équinoxe, est un peu plus de la moitié du gnomon lui-même ; à Rome, la différence n’est que de la neuvième partie du gnomon ; à Ancône, l’ombre est plus longue d’un trente-cinquième (VI, 34) ; et dans la partie de l’Italie appelée Vénétie, au même moment elle est égale au gnomon.
1(LXXIII.) De même on rapporte qu’à Syène (V, 10), qui est située au-dessus d’Alexandrie à la distance de cinq mille stades (myr. 92), le soleil ne projette aucune ombre le jour du solstice d’été à midi, et qu’un puits creusé pour en donner la preuve expérimentale y est éclairé tout entier ; d’où il résulte qu’alors le soleil y est vertical, ce qui, d’après Onésicrite, a lieu à la même époque dans l’Inde au-dessus du fleuve Hypasis. 2Il est certain qu’à Bérénice, ville des Troglodytes, et, quatre mille huit cent vingt stades plus loin (myr. 88,32), à Ptolemaïs, ville située aussi chez les Troglodytes, sur le bord de la mer Rouge, et fondée pour les premières chasses des éléphants, on observe le même phénomène quarante-cinq jours avant le solstice d’été et quarante-cinq jours après, et que pendant ces quatre vingt-dix jours les ombres sont projetées du côté du midi. À Méroé (VI, 35) (c’est une île et la capitale des Éthiopiens, située à cinq mille stades (myr. 92) de Syène, dans le Nil), les ombres disparaissent deux fois par an, lorsque le soleil est dans le dix-huitième degré du Taureau et dans le quatorzième du Lion. 3Dans l’Inde, chez les Orètes (VI, 25), il est une montagne appelée Malée (VI, 22), auprès de laquelle les ombres sont tournées, en été vers le midi, en hiver vers le nord ; la grande Ourse n’y est visible que pendant quinze nuits. Dans l’Inde encore, à Patala (XII, 25), port très célèbre, l’Orient est à la droite [de celui qui regarde le soleil à midi] ; et les ombres sont projetées au midi. On a noté, pendant qu’Alexandre y séjournait, que la grande Ourse n’y est visible que durant la première partie de la nuit. Onésicrite, un de ses officiers, a écrit que dans les lieux de l’Inde où il n’y a pas d’ombre la grande Ourse n’est pas visible ; que ces lieux sont appelés asciens (sans ombre), et qu’on n’y connaît pas la division du temps en heures.
1(LXXXIV.) Ératosthène a rapporté que dans toute la Troglodytique les ombres sont projetées vers le midi, deux fois pendant quarante-cinq jours dans l’année.
1(LXXV.) Ainsi par les accroissements progressifs de la lumière le jour le plus long est, à Méroé, de douze heures équinoxiales et deux tiers d’heure ; à Alexandrie, de quatorze ; en Italie, de quinze ; en Bretagne, de dix-sept. Dans ce dernier pays les nuits claires de l’été indiquent sans aucun doute ce que la raison force de croire, à savoir qu’aux solstices d’été, le soleil s’approchant davantage de notre pôle et décrivant le cercle le plus étroit, la région polaire a des jours continus de six mois ; par conséquent les nuits sont de six mois quand il est passé au solstice d’hiver. Pythéas de Marseille a écrit que cela arrivait dans l’île de Thulé, éloignée de la Bretagne, au nord, de six jours de navigation. Quelques-uns assurent qu’il en est ainsi dans l’île de Mona (Anglesey) (VI, 30), distante d’environ deux cents milles (myriam. 29,45) de Camaldunum (45), ville de Bretagne.
1(LXXVI.) Cette théorie des ombres et la science qu’on appelle gnomonique ont été inventées par Anaximène de Milet, disciple d’Anaximandre, dont nous avons parlé (II, 6) ; et le premier il a montré à Lacédémone le cadran qu’on appelle sciothérique (σκία, ombre, θήρα, recherche).
1(LXXVII.) Le jour lui-même a été déterminé de manières différentes. Les Babyloniens le comptent entre deux levers du soleil ; les Athéniens, entre deux couchers ; les Ombriens, de midi à midi ; le vulgaire, de la lumière aux ténèbres ; les pontifes romains et ceux qui ont fixé le jour civil, ainsi que les Égyptiens et Hipparque, de minuit à minuit. Le temps pendant lequel le soleil est invisible entre deux levers est plus court vers le solstice d’été que vers l’équinoxe ; car à l’équinoxe la position de l’astre dans le zodiaque est plus basse, au solstice elle est plus élevée.
1(LXXVIII.) Ici viennent les faits qui dépendent de ces influences célestes. Les Éthiopiens sont, en raison de la proximité, brûlés par la chaleur du soleil. Ils naissent comme s’ils avaient été soumis à l’action du feu ; leur barbe et leurs cheveux sont crépus. Dans la plage opposée, dans la zone glaciale, les habitants ont la peau blanche, une longue chevelure blonde. La rigueur du climat rend farouches les peuples du nord ; la mobilité de l’air (VI, 35) rend stupides ceux de la zone torride. La conformation des jambes mêmes montre chez les uns l’action de la chaleur, qui appelle les sucs dans les parties supérieures ; chez les autres, l’afflux des liquides tombant dans les parties inférieures. Au nord, des bêtes pesantes ; au midi, des animaux de formes variées, surtout parmi les oiseaux, qui offrent toutes sortes de figures. 2Des deux côtés la taille des habitants est haute, ici par l’action des feux, là par l’abondance des liquides. Dans l’espace intermédiaire la température est salubre ; le sol est propre à toutes les productions ; la taille est médiocre ; la couleur même de la peau présente un juste mélange ; les mœurs sont douces, les sens pénétrants, l’intelligence féconde, et capable d’embrasser la nature entière. Ce sont ces peuples qui ont l’empire ; les nations des zones extrêmes ne l’ont jamais eu. Il est vrai qu’elles n’ont pas non plus été assujetties par eux ; mais, détachées du reste du genre humain, elles vivent solitaires sous la nature inexorable qui les accable.
1(LXXIX.) D’après les opinions des Babyloniens, les tremblements de terre, les gouffres qui s’ouvrent, ainsi que tout le reste, sont dus à l’action des astres, mais seulement de ces trois auxquels ils attribuent la foudre ; ces phénomènes arrivent quand ces astres sont avec le soleil ou dans un des principaux aspects, particulièrement en quadrature. Le physicien Anaximandre de Milet eut, si nous ajoutons foi au bruit qui en court, une inspiration admirable et digne d’une mémoire éternelle, lorsqu’il annonça aux Lacédémoniens qu’ils eussent à prendre garde à leur ville et à leurs maisons ; qu’un tremblement de terre était imminent. Et, en effet, la ville entière fut renversée, et une partie considérable du mont Taygète, qui, coupé en forme de poupe, dominait Sparte, s’écroula, et augmenta le désastre. 2On attribue à Phérécyde, maître de Pythagore, une autre prévision également divine. De l’eau ayant été tirée d’un puits, il pressentit et prédit qu’en ce lieu un tremblement de terre allait se faire sentir. Si ces récits sont vrais, quelle différence trouvera-t-on entre la Divinité et ces hommes, à l’immortalité près ? Au reste, j’abandonne ces récits à l’opinion de chacun. Quant à la cause, je ne doute pas qu’elle ne réside dans les vents. 3En effet, la terre ne tremble jamais que lorsque la mer est assoupie, et le ciel tellement tranquille que le vol des oiseaux ne se soutient pas par défaut d’un souffle qui les porte ; elle ne tremble non pas qu’après qu’il a régné des vents dont le souffle a pénétré dans les veines et dans les cavités secrètes du globe terrestre. Le tremblement est pour la terre ce qu’est le tonnerre pour le nuage ; les abîmes qui s’ouvrent sont l’analogue de la nue qui se fend : le souffle renfermé lutte, et fait effort pour se délivrer.
1(LXXX.) La terre éprouve donc des secousses variées, et des changements singuliers s’opèrent : ici les murailles sont renversées, là elles s’abîment dans des gouffres profonds ; tantôt des masses se soulèvent, tantôt des rivières nouvelles surgissent ; parfois apparaissent des feux ou des sources chaudes, ailleurs le cours des fleuves est détourné (XXXI, 30). Le tremblement est précédé et accompagné d’un bruit terrible, semblable tantôt à un murmure, tantôt à des mugissements ou a des clameurs humaines, ou au fracas d’armes qui s’entre-choquent ; cela dépend des qualités de la matière excipiente, et de la forme des cavernes ou des souterrains par où le son chemine : étranglé dans les espaces étroits, rauque dans les anfractuosités, faisant écho contre les corps durs, bouillonnant dans les lieux humides, fluctuant dans les eaux dormantes, frémissant contre les matières solides. Souvent aussi un bruit se fait entendre sans tremblement. Les secousses ne sont pas simples, mais c’est un mouvement d’oscillation et de vibration. 2Les gouffres qui s’ouvrent tantôt restent béants et montrent ce qu’ils ont englouti, tantôt se referment ; et le sol se rejoint si exactement, qu’il ne reste pas trace des villes dévorées et des campagnes englouties. Les plages maritimes sont particulièrement sujettes à ce fléau, qui n’épargne pas cependant les contrées montagneuses. Je sais par ma propre expérience que les Alpes et l’Apennin ont plus d’une fois tremblé. Les tremblements, comme les foudres, sont plus fréquents en automne et au printemps. 3Aussi les Gaules et l’Égypte n’en éprouvent-elles pas, ici à cause de l’été, là à cause de l’hiver. Ils sont aussi plus fréquents la nuit que le jour. Les plus violents tremblements se font le matin et le soir ; ils sont communs à l’approche du jour ; on en ressent aussi dans la journée, vers midi. Ils se produisent pendant les de soleil et de lune, parce qu’alors les tempêtes s’assoupissent ; et ils se produisent surtout quand les pluies sont suivies de chaleur, ou les chaleurs de pluies.
1(LXXXI.) Les navigateurs reconnaissent aussi les tremblements de terre par un phénomène qui ne leur laisse pas de doutes : sans un souffle d’air le flot se soulève subitement, ou bien le bâtiment reçoit un choc. Les objets placés dans les navires tremblent comme dans les maisons, et avertissent par leur cliquetis. 2Les oiseaux restent perchés, non sans terreur. Il y a aussi dans le ciel un signe qui précède le tremblement de terre : dans le jour, ou peu après le coucher du soleil, le temps étant serein, un nuage ténu s’étend au loin, sous la forme d’une traînée. Dans les puits l’eau se trouble, et contracte une odeur nauséabonde.
1(LXXXII.) Les puits sont un préservatif ; il en est de même d’excavations nombreuses : ce sont des soupiraux donnant une issue à l’air ; cela se voit dans certaines villes, qui souffrent moins des secousses parce qu’elles sont creusées de souterrains nombreux pour l’écoulement des immondices. Là aussi des parties qui sont comme suspendues sont les plus sûres ; on en a un exemple à Naples, en Italie, où la portion la plus solide éprouve le plus de dommage. Les voûtes résistent le mieux, de même que les murailles qui font un angle, et où le coup porté sur un côté est annulé par le coup porté sur l’autre. 2L’ébranlement endommage moins les murailles en briques. Il y a aussi une grande différence d’effet suivant l’espèce même de secousse ; car la terre s’ébranle de plus d’une façon. Le danger est le moindre quand elle vibre et cause dans les édifices une sorte de frémissement, ou quand elle se soulève et retombe par un mouvement alternatif ; le dommage est nul aussi quand les bâtiments s’entre-choquant sont portés en sens contraires : une impulsion arrête l’autre. Mais une espèce de mouvement ondulatoire qui, revenant sur lui-même, imite les flots, est funeste ; il en est de même d’un mouvement qui agit en un sens unique. Les tremblements de terre cessent quand le vent s’est fait jour ; mais s’ils persistent, ils ne s’arrêtent pas avant quarante jours : quelquefois ils durent plus longtemps, et quelques-uns se sont fait sentir pendant l’espace d’un même de deux ans.
1(LXXXIII.) Il est arrivé une fois (ce que je trouve dans les livres de la doctrine étrusque) un phénomène terrestre prodigieux, sous le consulat de L. Marcius et de Sex. Julius (an de Rome 663), dans le territoire de Modène : Deux montagnes s’avançant, puis reculant, se heurtèrent à grand fracas, avec une éruption de flamme et de fumée dans l’espace intermédiaire, pendant le jour et à la vue d’une foule de chevaliers romains, de domestiques et de voyageurs, qui contemplaient ce spectacle de la voie Émilienne. Ce choc broya toutes les maisons de campagne interposées, et tua une multitude d’animaux qui y étaient renfermés : cela arriva un an avant la guerre sociale, plus funeste peut-être à l’Italie que n’ont été les guerres civiles. Un phénomène non moins étrange a été vu de notre temps, la dernière année du règne de Néron (an de Rome 821, après J. C. 68) ; nous en avons parlé dans l’histoire de ce prince : des prés et des plants d’oliviers, séparés les uns des autres par la voie publique, changèrent de position à l’égard de cette voie, dans le territoire des Marruciniens : ces prés et champs appartenaient Vectius Marcellus (XVII, 38), chevalier romain, intendant des propriétés de Néron.
1(LXXXIV.) Les tremblements de terre s’accompagnent de débordements de la mer, que le même souffle soulève sans doute, et qui se répand sur la terre affaissée. Le plus grand tremblement de terre dont on se souvienne est celui qui arriva sous le règne de Tibère (après J.-C. 17) : douze villes de l’Asie furent renversées en une seule nuit. Les tremblements furent très fréquents durant la guerre punique ; dans la même année (an de Rome 537, avant J.-C. 217) on en annonça cinquante-sept à Rome. Ce fut dans cette année que se livra la bataille du lac de Trasimène ; et le tremblement de terre, quoique violent, ne fut senti ni par les Carthaginois ni par les Romains. 2Ce n’est pas d’ailleurs simplement un fléau comportant d’autres périls que la secousse elle-même ; les périls qu’il présage sont égaux ou plus grands. Jamais tremblement n’a ébranlé la ville de Rome sans annoncer en même temps quelque catastrophe imminente.
1(LXXXV.) La même cause produit des terres nouvelles, lorsque le souffle qui secoue la terre, suffisant pour soulever le sol, est trop faible pour faire éruption. En effet, ce n’est pas seulement par les alluvions des fleuves que naissent des terres nouvelles, comme les îles Échinades par les dépôts du fleuve Achéloüs, et la plus grande partie de l’Égypte par ceux du Nil de l’Égypte, qui, si nous en croyons Homère (Od. IV, 354), était séparée de l’île de Pharos (V, 34) par un jour et une nuit de navigation. Ce n’est pas seulement non plus par la retraite de la mer, ainsi que cela est arrivé à Circeii (III, 9) dont le même Homère fait une île (Od. X, 195). 2Il y a un retrait semblable d’une étendue de dix milles (myr. 1,4725), dans le port d’Ambracie. On en cite un de cinq (kil. 7,362) dans l’Attique, au Pirée (IV, 11) ; et à Éphèse, où les flots venaient jadis battre le temple de Diane. Si nous ajoutons foi à Hérodote (Eut. p. 93), la mer couvrait jadis l’Égypte au delà de Memphis, jusqu’aux montagnes d’Éthiopie ; elle occupait aussi les lieux plats de l’Arabie. Les environs d’Ilium et toute la Teuthranie (V, 33) furent une mer dans laquelle le Méandre finit par apporter la terre ferme.
1(LXXXVI.) Des terres naissent aussi d’une autre façon ; elles surgissent soudainement dans une mer, comme si la nature se donnait à elle-même des équivalents, et restituait dans un lieu ce qu’elle a englouti dans un autre.
1(LXXXVII.) Des îles depuis longtemps célèbres, Délos et Rhodes, sont, d’après la tradition, nées de cette façon. Dans la suite, il en a surgi d’autres plus petites, Anaphé, au delà de Mélos ; Néa, entre Lemnos et l’Hellespont (IV, 13) ; Halone (V, 38), entre Lébedos et Téos ; entre les Cyclades, l’an 4 de la 135e ol. (av. J.-C. 237), Théra et Thérasia : entre ces dernières, cent trente ans plus tard, Hiéra, qui porte aussi le nom de Automaté ; et derechef, cent dix ans plus tard, de notre temps, sous le consulat de M. Janus Silanus et de L. Balbus (après J.-C. 19), le 8 des ides de juillet (le 8 juillet), Thia, à la distance de deux stades de la précédente (mètres 368) (46).
2(LXXXVIII.) En face de nous et près de l’Italie, il s’en est formé une entre les îles Éoliennes (II, 110) ; une autre est sortie de la mer, près de la Crète, ayant une étendue de deux mille cinq cents pas (kil. 3,681); et des sources chaudes. Une troisième est apparue l’an 3 de la 163e ol. av. J.-C. 126), dans le golfe d’Étrurie, tout embrasée, avec un souffle violent ; on rapporte qu’une multitude de poissons flottait autour, et que tous ceux qui en mangèrent expirèrent subitement. 3D’après la tradition, les Pithécuses sont nées de cette façon dans le golfe de Campanie ; plus tard l’Épopus, montagne de ces îles, ayant jeté subitement des flammes, s’écroula, et fut réduit au niveau de la plaine. Dans la même île, une ville fut engloutie par la mer ; un autre tremblement de terre y forma un étang ; et un autre, ayant renversé les montagnes, donna naissance à l’île de Prochyta.
1 C’est, en effet, par cette même puissance que la nature a créé des îles : elle a séparé la Sicile de l’Italie, Chypre de la Syrie, l’Eubée de la Béotie (IV, 21), de l’Éubée Atalante et Macris, de la Bithynie Besbycus (V, in fine), du promontoire des Sirènes Leucosie.
1(LXXXIX.) En revanche, elle a enlevé des îles à la mer et les a jointes aux terres : Antissa à Lesbos, Zephyrium à Halicarnasse, Æthusa à Myndus, Dromiscus et Perné à Milet, Narthécuse (V, 36) au promontoire Parthénius. Hybanda, jadis île sur la côte de l’Ionie, est maintenant éloignée de la mer de deux cents stades (myriam. 3,68). À Éphèse s’est jointe l’île de Syrié ; à Magnésie, qui en est voisine, les Dérasides (V, 31) et Sophonie. Épidaure et Oricum (III, 26) ont cessé d’être des îles.
1(XC.) La mer a englouti des terres entières : d’abord celle où est maintenant l’océan Atlantique, continent immense qui a disparu, si nous en croyons Platon ; puis dans la Méditerranée nous voyons aujourd’hui l’Acarnanie submergée par le golfe d’Ambracie, l’Achaïe par le golfe de Corinthe, l’Europe et l’Asie par la Propontide et le Pont ; en outre, la mer a arraché Leucade et Antirrhium (IV, 3) et percé l’Hellespont et les deux Bosphores.
1(XCI.) Sans parler des golfes et des étangs, la terre se dévore elle-même ; elle a absorbé le Cybotus, montagne très-élevée, avec la ville de Curis, Sipylus dans la Magnésie, et auparavant, dans le même lieu, une ville très célèbre qui s’appelait Tantalis ; Galanis et Gamale, villes de Phénicie, ont été englouties avec leurs campagnes ; le Phégius, montagne très-élevée d’Éthiopie, a disparu ; comme si l’on ne voyait pas les rivages eux-mêmes être infidèles et disparaître.
1(XCII.) Ainsi Pyrrha et Antissa se sont abîmées dans les Palus-Méotides ; Élice et Bura (IV, 6), dans le golfe de Corinthe, et on en voit encore les vestiges sous les flots. Une étendue de plus de trente milles (4 myr., 4175) a été subitement arrachée de l’île de Céos (IV, 10) par les eaux, qui noyèrent une foule d’habitants ; en Sicile, elles ont enlevé la moitié de la ville de Tyndaris et les terres qui unissaient cette île à l’Italie (III, 14) ; même catastrophe en Béotie, à Éleusine.
1(XCIII.) Mais ne parlons plus des tremblements de terre, et de toutes ces catastrophes terrestres qui laissent du moins subsister les tombeaux des villes ; parlons plutôt des merveilles que des crimes de la nature ; et certes les merveilles célestes ne sont pas plus difficiles à raconter. 2Les trésors métalliques, si variés, si abondants, si féconds, renaissant depuis tant de siècles, malgré la destruction quotidienne qui s’en fait sur tout le globe par le feu, par les ruines, par les naufrages, par les guerres, par les fraudes, mal- gré ce qu’en consomment le luxe et les besoins de tant d’hommes ; les gemmes, où jouent tant et de si belles couleurs ; les pierreries si diversement veinées ; et entre autres ce marbre d’une blancheur diaphane (XXXVI, 46) qui ne laisse rien passer, exceptée la lumière ; les vertus des fontaines médicinales ; les feux qui font éruption en tant de lieux, et qui brûlent sans relâche depuis tant de siècles ; les exhalaisons mortelles, tantôt venant d’excavations faites de main d’homme, tantôt sortant spontanément du sol ; les unes nuisibles aux oiseaux seulement, comme à Soracte, dans le voisinage de Rome, les autres à tous les animaux, excepté l’homme, quelquefois à l’homme lui-même, comme dans le territoire de Sinuesse et à Putéoles ; ces soupiraux, dits cavités de Charon, exhalant un air empoisonné ; 3la vallée d’Amsancti chez les Hirpins, près du temple de Méphitis, lieu où meurent ceux qui y pénètrent ; un lieu semblable à Hiérapolis en Asie, où seul le prêtre de la Grande Déesse n’éprouve aucun mal ; les cavernes fatidiques dont les exhalaisons enivrent et donnent la prescience de l’avenir, comme au célèbre oracle de Delphes. À tous ces phenomènes quelle cause un mortel pourrait-il assigner, si ce n’est la divinité de la nature, qui, répandue en tout, se manifeste sous des formes diverses ?
1(XCIV.) Quelques terrains tremblent sous les pas : par exemple, dans le territoire de Gabies, non loin de Rome, il y a environ deux cents jugères (50 hectares) qui tremblent sous les pas des chevaux ; il en est de même dans le territoire de Réate.
2(XCV.) Quelques îles sont toujours flottantes dans le territoire de Cécube et dans celui de Réate, de Modène et de Statonie. Le lac de Vadimon et les eaux Cutiliennes (III, 17) renferment une forêt épaisse qu’on ne voit jamais au même lieu le jour et la nuit. En Lydie, les îles appelées Calamines obéissent à l’impulsion non seulement des vents, mais même des crocs ; elles furent, dans la guerre de Mithridate, le salut d’une foule de citoyens romains. 3Il y a aussi dans le Nymphæum (47) (II, 110 ; III, 9 ; V, 22 ; VI, 31 ; XXXI, 19) de petites îles appelées Saliaires, parce qu’elles se meuvent au bruit de la symphonie et des pieds, qui battent la mesure. Dans le lac de Tarquinie, qui est un des grands lacs d’Italie, il y a deux bois qui, sous le souffle des vents, prennent tantôt une figure triangulaire, tantôt une figure arrondie, jamais une figure carrée.
1(XCVI.) Paphos a un temple célèbre de Vénus, dans une cour duquel il ne pleut jamais. Il en est de même à Néa, ville de la Troade, autour de la statue de Minerve ; dans le même lieu, les restes de sacrifices abandonnés ne se corrompent pas.
1 Auprès de Harpasa (V, 29), ville d’Asie, est une roche énorme qu’un doigt fait mouvoir, et qui résiste si l’on donne l’impulsion avec le corps entier. À Parasinus (48), ville de la péninsule Taurique, il y a une terre qui cicatrise toutes les plaies. Dans les environs d’Assus, en Troade (V, 32), naît une pierre qui consume tous les corps ; on l’appelle sarcophage (XXVIII, 37; XXXVI, 27). Il y a auprès du fleuve Indus deux montagnes, dont l’une retient et l’autre repousse toute espèce de fer (XXXVI, 25) ; de la sorte, si l’on porte des clous aux souliers, dans l’une on ne peut pas retirer son pied, dans l’autre on ne peut pas le poser. 2Il a été noté que Locres et Crotone (III, 10) n’ont jamais été affligées d’aucune peste ni d’aucun tremblement de terre, et qu’en Lycie les tremblements de terre sont toujours suivis de quarante jours sereins. Dans le territoire d’Arpos (III, 16) le froment semé ne pousse pas. Aux autels Muciens (49), dans le pays de Veïes, ainsi que dans celui de Tusculum et dans la forêt Ciminienne, il y a des terrains d’où l’on ne peut enlever ce qu’on y a mis. Le foin qui vient dans le territoire de Crustuminum, nuisible sur place, ne l’est pas ailleurs.
1(XCVII.) J’ai déjà beaucoup parlé de la nature des eaux ; mais ce qu’elles présentent de plus singulier est le flux et le reflux de la mer. La cause de ce phénomène, qui offre beaucoup de variétés, est dans le soleil et dans la lune. La mer, entre deux levers de lune, monte et redescend deux fois, toujours en vingt-quatre heures. À mesure que le ciel s’élève avec la lune, les flots se gonflent ; puis ils reviennent sur eux-mêmes lorsque, après son passage au méridien, elle descend vers le couchant ; derechef, quand elle passe dans les parties inférieures du ciel et gagne le méridien opposé, l’inondation recommence, et enfin le flot se retire jusqu’au lever suivant. 2La marée ne se fait jamais au même temps que le jour précédent, comme si elle était l’esclave de cet astre avide (50) qui attire à lui les mers, et qui, chaque jour, se lève à un autre endroit que la veille. Le flux et le reflux alternent à des intervalles toujours égaux, qui sont de six heures chacun, non pas des heures d’un jour, d’une nuit ou d’un lieu quelconque, mais des heures équinoxiales. Aussi ces intervalles, évalués en heures vulgaires, paraissent-ils inégaux suivant le rapport des heures équinoxiales avec les heures vulgaires du jour et de la nuit ; ils ne sont égaux partout qu’aux équinoxes. 3Il y a donc de la stupidité (en voilà une preuve considérable, pleine de lumière et parlant, pour ainsi dire, chaque jour) (51) à nier le passage des astres sous la terre et leur réapparition de l’autre côté. La face de la terre et même de la nature entière est semblable dans tous les sens ; les effets sont les mêmes au lever et au coucher des astres ; et l’influence de la lune quand elle marche au-dessous de la terre n’est pas différente de celle qu’elle exerce quand elle passe au-dessus de nos têtes. 4L’action de la lune présente aussi des différences variées, d’abord tous les sept jours : en effet, les marées, médiocres depuis la nouvelle lune jusqu’au premier quartier, augmentent ensuite et atteignent le plus haut point à la pleine lune, puis elles diminuent, et redeviennent après sept jours ce qu’elles étaient au premier quartier ; elles augmentent derechef au troisième, et redeviennent pleines dans la conjonction. Elles sont moindres quand la lune est au nord et davantage éloignée de la terre, que lorsque, arrivée au midi, elle exerce son influence de plus près. 5Tous les huit ans, au bout de cent révolutions lunaires, elles recommencent dans le même ordre, et passent par la même série d’accroissements. Toutes ces influences sont augmentées par les influences annuelles du soleil. Les plus fortes marées sont aux deux équinoxes, et elles le sont plus à l’équinoxe d’automne qu’à celui du printemps ; elles sont très basses au solstice d’hiver, et surtout au solstice d’été. Toutefois ces modifications ont lieu non aux époques mêmes que j’ai indiquées, mais peu de jours après : quant à celles que causent la pleine lune et la nouvelle, elles ne se font sentir également qu’un peu après. Ce n’est pas non plus quand la lune se lève ou se couche ou quand elle est au méridien que son influence se manifeste, mais c’est environ deux heures équinoxiales plus tard : les phénomènes qui se passent dans le ciel ne produisant jamais leurs effets qu’un certain temps après avoir été vus, comme pour l’éclair, le tonnerre, et la foudre (II, 55).
6 Toutes les marées de l’Océan couvrent par leur débordement de plus grands espaces que celles des autres mers, soit qu’un système agissant dans sa totalité ait plus d’énergie qu’agissant dans une de ses parties, soit que l’immense étendue d’une mer ouverte à l’influence illimitée de l’astre y soit plus sensible qu’une mer circonscrite. C’est ce qui fait que ni les lacs ni les rivières n’ont de marées. Pythéas de Marseille rapporte qu’au delà de la Bretagne les marées s’élèvent de quatre-vingts coudées. Les mers intérieures sont renfermées par les terres comme dans un port ; cependant, en certains lieux, l’espace étant plus large obéit à l’empire de la lune. Il y a beaucoup d’exemples de navires qui, partis d’Italie, sont arrivés par une mer tranquille, sans l’action des rames, à Utique le troisième jour, par l’impulsion seule de la marée. 7Ces mouvements se font sentir le long des rivages plus que dans la haute mer, de la même façon que dans le corps humain les extrémités ressentent davantage le battement des veines, c’est-à-dire de l’air vital. Dans la plupart des estuaires les marées présentent des différences à cause du lever des astres, qui diffère selon chaque localité ; la variation porte sur le temps et non sur le mode, exemple, les Syrtes.
1 Il y a cependant des marées particulières en certains lieux : ainsi le flux vient plusieurs fois dans le détroit de Messine à Tauromenium III, 14), et sept fois le jour et la nuit dans l’Euripe, auprès de l’Eubée (IV, 21) La marée est au plus bas pendant trois jours dans le mois, au septième, au huitième, au neuvième jour de la lune. À Cadix, la fontaine proche du temple d’Hercule, laquelle est renfermée dans une espèce de puits, augmente et diminue, tantôt en même temps que l’Océan, tantôt à des époques opposées. 2Dans le même lieu, une autre fontaine s’accorde avec les mouvements de l’Océan. Sur le bord du fleuve Bétis est une ville dont les puits diminuent à la mer montante, augmentent à la mer descendante, et sont immobiles dans l’intervalle. Dans la ville d’Hispalis un seul puits offre ce phénomène ; les autres n’ont rien de particulier. Le Pont-Euxin s’écoule toujours dans la Propontide, mais le flot ne se reporte jamais dans le Pont-Euxin.
1(XCVIII.) Toutes les mers se purgent à la pleine lune, et quelques-unes dans une saison déterminée. Auprès de Messine et de Myles, les flots rejettent sur le rivage des ordures semblables à du fumier, d’où la fable que les bœufs du Soleil ont là leurs étables. À cela Aristote (car je ne veux rien omettre sciemment) ajoute qu’aucun animal n’expire, si ce n’est au reflux. Ce fait a été l’objet de beaucoup d’observations dans l’Océan des Gaules, et il ne s’est vérifié que sur l’homme.
1(XCIX.) On en conclut avec raison que la lune est, à bon droit, regardée comme l’astre du souffle vital ; c’est elle qui sature les terres ; elle est pour les corps cause de réplétion par son approche, d’inanition par son éloignement : ainsi, quand elle croît, les coquillages croissent (II, 41) ; et les êtres qui ressentent le plus l’action de son souffle sont ceux qui n’ont pas de sang. 2De plus, le sang de l’homme augmente et diminue avec la lumière de cet astre ; le feuillage et les pâturages, comme nous le dirons en son lieu (XVIII, 75), en éprouvent l’influence ; et la force qu’elle possède pénètre partout.
1(C.) Au contraire, le soleil par sa chaleur, dessèche les liquides ; c’est, d’après l’opinion reçue, un astre mâle qui brûle et absorbe tout.
1 Ainsi la mer, malgré sa vaste étendue, en reçoit une saveur salée, soit que la force ignée en attire les parties douces et ténues qui sont les plus faciles à enlever, et laisse ce qui est plus âpre et plus épais (raison qui fait que l’eau profonde est plus douce que l’eau de la superficie, et par laquelle on explique bien plus véritablement le goût amer qu’en disant que la mer est la sueur éternelle de la terre), soit que le mélange de vapeurs arides produise cet effet, soit que la terre par sa nature gâte le goût des eaux de mer, comme elle gâte celui des sources médicinales. 2On rapporte qu’au moment où Denys, tyran de Sicile, fut chassé du trône, la mer, par un prodige, devint douce dans le port pendant un jour.
3(CI.) Au contraire, on regarde la lune comme un astre femelle et mou, qui résout les humidités nocturnes, et sans les enlever, violemment les attire. On dit en preuve que les cadavres des animaux tombent en putréfaction sous son regard ; qu’elle jette dans le coma les personnes endormies : qu’elle fond la glace, et qu’elle relâche tout par son souffle humide : 4qu’ainsi les choses se compensent, et que la nature se suffit toujours à elle-même par l’action des astres, dont les uns condensent et les autres raréfient les éléments. On ajoute que l’aliment de la lune est dans les eaux douces, celui du soleil, dans les eaux de la mer.
1(CII.) Selon Fabianus, la plus grande profondeur de la mer est de quinze stades (mètres 2,760). D’autres assurent que dans le Pont-Euxin, en face de la nation des Coraxiens, dans un lieu appelé les Abîmes du Pont, à trois cent stades (kil. 55,2) environ du continent, la mer a une profondeur sans bornes, et qu’on n’y a jamais trouvé le fond.
1(CIII.) Ce qu’il y a de plus singulier dans la salure de la mer, c’est que, sur le bord, des eaux douces jaillissent comme par des tuyaux. Au reste, l’eau est un élément qui ne cesse de présenter des merveilles. Les eaux douces surnagent celles de la mer, en raison de leur plus grande légèreté sans aucun doute. Aussi les eaux marines, dont la nature est plus pesante, soutiennent mieux les corps qui y sont plongés. Il y a même des eaux douces qui se surnagent l’une l’autre, 2comme, dans le lac Fucin, la rivière (XXXI, 24) qui le traverse ; dans le lac de Laris, l’Adda ; dans celui de Verbanum, le Tésin ; dans le Bénac, le Mincio ; dans le lac Sevin, l’Ollius ; dans le lac Léman le Rhône (celui-ci est au delà des Alpes, les autres sont en Italie). Tous ces fleuves, recevant pour ainsi dire, l’hospitalité dans un trajet de plusieurs milles, n’emmènent que leurs eaux, et ne sortent pas plus gros qu’ils ne sont entrés. On rapporte le même fait de l’Oronte (V, 18), rivière de Syrie, et de plusieurs autres (VI, 31).
3 Quelques cours d’eau, par antipathie pour la mer, en gagnent le fond : telle est l’Aréthuse, source de Syracuse, où se retrouvent les choses jetées dans l’Alphée, qui, traversant Olympie, a son embouchure sur le rivage du Péloponnèse. Il y a des fleuves qui deviennent souterrains, puis reparaissent à la lumière : le Lycus en Asie, l’Érasinus dans l’Argolide, le Tigre dans la Mésopotamie (VI, 31). Les choses jetées dans la fontaine d’Esculape, à Athènes, reparaissent dans la fontaine de Phalère. Dans le territoire d’Atinum un fleuve s’engloutit, et reparaît au bout de vingt mille pas (kil. 29,45) ; le Timave en fait autant dans le territoire d’Aquilée.
4 En Judée, le lac Asphaltite, qui produit le bitume, ne laisse rien s’enfoncer (V, 15); il en est de même du lac Aréthuse dans la grande Arménie (VI, 31) : celui-ci, bien que nitreux, nourrit des poissons. Dans le territoire de Salente, auprès de la ville de Mandurie, se trouve un lac plein jusqu’aux bords ; le niveau n’en diminue pas quand de l’eau en est tirée ; il n’augmente pas quand de l’eau y est versée. 5Dans le fleuve des Ciconiens (IV, 18) et dans le lac Vélin du Picenum (III, 18), un morceau de bois qu’on y jette se recouvre d’une couche pierreuse. Dans le Surius (VI, 4), fleuve de Colchide, la pétrification s’empare du cœur du bois, tout en laissant subsister l’écorce. Dans le Silare (III, 9), au delà de Surrente, non seulement les branches, mais encore les feuilles qui y sont jetées, se pétrifient : du reste, les eaux en sont bonnes à boire. À l’issue du marais de Réate (III, 17 ; XXXI, 8), la roche croît en volume, et dans la mer Rouge il naît des oliviers et des arbrisseaux verdoyants (XIII, 48).
6 Plusieurs sources présentent le phénomène singulier d’une grande chaleur, et cela même sur les sommets des Alpes, même au milieu de la mer, entre l’Italie et Ænaria, comme aussi dans le golfe de Baïes, dans le fleuve de Liris, et en beaucoup d’autres points. Quant à l’eau douce, il y en a des jets en plusieurs endroits de la mer, aux îles Chélidoniennes (V, 35 ; IX, 85), à Aradus (V, 17), et dans l’Océan de Cadix. 7Dans les eaux chaudes de Pavie on trouve des herbes verdoyantes ; dans celles de Pise, des grenouilles ; des poissons, à Vétulonium, en Étrurie, non loin de la mer. Dans le territoire de Casinum, une rivière appelée Scatebra est, en été, froide et plus abondante ; on y trouve, comme dans le lac Stymphalis de l’Arcadie, des rats d’eau (XXXI, 10). À Dodone, la source de Jupiter, qui est glaciale et qui éteint les torches qu’on y plonge, les rallume si on les en approche éteintes ; cette même source tarit toujours à midi, ce qui l’a fait appeler Άναπαυόμενον, intermittente ; puis elle croît et arrive à déborder vers le milieu de la nuit ; à partir de ce moment, elle recommence à décroître peu à peu. 8Dans l’Illyrie, des étoffes étendues au-dessus d’une fontaine qui est froide prennent feu. L’étang de Jupiter Hammon, froid pendant le jour, s’échauffe pendant la nuit. Chez les Troglodytes (V, 5 et 8) il y a une source appelée source du Soleil ; elle est douce et très froide vers midi, puis elle tiédit peu à peu ; vers le milieu de la nuit elle prend beaucoup de chaleur et un goût amer.
9 La source du Pô est toujours à sec dans le milieu des jours d’été, par une sorte d’intermittence. Dans l’île de Ténédos (V, 39), une source déborde toujours au solstice d’été, depuis 3 jusqu’à 6 heures de nuit. Dans l’île de Délos, la source Inopus décroît et augmente de la même façon que le Nil, et dans le même temps. En face de l’embouchure du Timave est une petite île avec des sources chaudes qui croissent et diminuent avec la marée. Dans le territoire de Pitinum, au delà de l’Apennin, le fleuve Novanus (52) devient torrentueux au solstice d’été, et tarit au solstice d’hiver.
10 À Falisque (III, 8), toutes les eaux blanchissent le poil des bœufs qui en boivent. Dans la Béotie, le Mélas rend les brebis noires. Le Céphise, qui provient du même lac, les rend blanches ; le Pénée (IV, 15), comme le Mélas, les rend noires ; le Xanthe, près d’Ilion, fauves, d’où vient le nom du fleuve. Dans le Pont, le fleuve Astaces (53) arrose des campagnes où les juments donnent un lait noir, servant de nourriture à la population. Au territoire de Réate (II, 96 ; III, 17), une source, appelé Neminia, change de lieu d’origine, et annonce par là les variations de la récolte. Dans le port de Brindes, une source fournit aux navigateurs des eaux excellentes. 11Auprès de la ville de Lyncus (IV, 17), une eau dite acidule enivre comme le vin (XXXI, 13) ; des sources semblables se trouvent dans la Paphlagonie et dans le territoire de Calenum. Mucianus, trois fois consul, croit que dans l’île d’Andros (IV, 23 ; XXXI, 13) le temple de Bacchus a une source qui, aux nones de janvier (le 5 janvier), ne manque jamais à couler avec le goût de vin : on l’appelle Don de Jupiter. Auprès de Nonacris (XXXI, 19), en Arcadie, le Styx, dont l’eau ne présente rien de remarquable ni pour l’odeur ni pour la couleur, tue immédiatement ceux qui en boivent : de même, à Librosus (54), colline de la Tauride (IV, 26), se trouvent trois sources causant la mort sans remède, sans douleur. Dans le territoire de Carrinum, en Espagne, deux sources sont voisines, dont l’une repousse tout, et l’autre absorbe tout. Dans le même pays, une autre source montre tous les poissons avec une couleur d’or : quand on les retire de cette eau, ils ne diffèrent en rien des autres. 12Dans le pays de Come, près du lac Larius, une source abondante se gonfle et décroît régulièrement toutes les heures. Dans l’île de Cydonée (V, 39), en avant de Lesbos, une source chaude ne coule qu’au printemps. Le lac Sinnaüs, en Asie, a un goût amer, à cause de l’absinthe qui croît autour. À Colophon, dans la caverne d’Apollon Clarien, est une flaque d’eau qui fait rendre à ceux qui en boivent des oracles merveilleux ; mais elle abrège leur vie. Des fleuves ont remonté vers leur source ; cela s’est vu même de nos jours, dans les dernières année du règne de Néron, ainsi que nous l’avons rapporté dans son histoire.
13 Qui ne sait aussi que toutes les sources sont plus froides en été qu’en hiver ? Qui ne sait (merveilles de la nature) que le cuivre et le plomb en masse s’enfoncent, en feuilles surnagent ; que parmi des corps de même pesanteur, les uns s’enfoncent, les autres se soutiennent : que les fardeaux se meuvent plus facilement dans l’eau ; que la pierre de Scyros (XXXVI, 26) surnage sous un grand volume, et qu’elle s’enfonce quand elle est réduite en fragments ; que les cadavres récents vont au fond, qu’ils viennent à la surface lorsqu’ils se gonflent ; 14 que les vases plongés dans l’eau ne sont pas plus faciles à en retirer vides que pleins, que les eaux de pluie sont plus utiles dans le traitement des salines que les autres (XXXI, 39), et qu’il ne se fait du sel que par le mélange des eaux douces ; que les eaux de mer se congèlent plus lentement, et prennent feu plus rapidement (55) ; que la mer est plus chaude en hiver, plus salée en automne ; que toute mer est apaisée par de l’huile ; que pour cette raison les plongeurs en mettent dans leur bouche pour la répandre, parce que cette substance est un calmant pour l’orageux élément, et y apporte de la transparence ; que la neige ne tombe pas en haute mer ; 15que, malgré la tendance de toute eau à se porter en bas, les sources jaillissent de la terre, et qu’il en sort même au pied de l’Etna, siège d’un incendie assez vaste pour lancer, avec des globes de flamme (56), une pluie de sable sur un espace de plus de cent cinquante mille pas ?
1 Rapportons maintenant quelques merveilles du quatrième élément de la nature, du feu, et d’abord du feu dans l’eau.
1(CIV.) À Samosate en Commagène est un étang qui jette un limon enflammé qu’on appelle malthe (XXXVI, 58). Ce limon adhère aux corps solides, et vainement on fuirait pour s’en débarrasser. C’est avec cette substance que les habitants défendirent leur ville contre Lucullus : le soldat brûlait avec ses armes. L’eau en active la combustion ; l’expérience a appris qu’on ne pouvait l’éteindre qu’avec de la terre.
1(CV.) La nature du naphte est semblable : on appelle ainsi une substance qui coule comme du bitume liquide, dans les environs de Babylone et dans l’Astacène, province de la Parthie. Le feu a une grande affinité pour elle, et il s’y jette dès qu’il est à portée. C’est ainsi qu’on rapporte que Médée brûla sa rivale : celle-ci, au moment où elle s’approchait de l’autel pour y faire un sacrifice, eut sa couronne aussitôt envahie par le feu.
1(CVI.) Au nombre des merveilles du feu dans les montagnes il faut placer l’Etna, qui brûle toutes les nuits, et qui suffit à un incendie de tant de siècles ; chargé de neige en hiver, les cendres qu’il rejette se couvrent de frimas. Et ce n’est pas la seule montagne où sévisse la nature, annonçant ainsi la combustion générale de la terre. Dans la Phasélis (V, 26) [province de la Lycie] brûle le mont Chimère, et la flamme ne s’en éteint ni le jour ni la nuit ; l’eau en active les feux, la terre ou le foin les éteint, d’après le rapport de Ctésias de Cnide. Dans la Lycie encore, les monts Hephæstiens (V, 28), à l’approche d’une torche enflammée, s’embrasent aussitôt, tellement que les cailloux et le sable des ruisseaux brûlent au sein des eaux mêmes : ce feu est alimenté par les pluies ; 2si on y allume un bâton avec lequel on tracera des sillons, on dit qu’il se forme des ruisseaux de feu. Dans la Bactriane, le mont Cophante brûle pendant la nuit. Il y a des feux allumés dans la Médie et dans la Sittacène (VI, 31), sur les confins de la Perse ; il y en a à Suse (VI, 31), à la Tour blanche, qui sortent par quinze soupiraux, dont le plus grand est visible même de jour. 3La plaine de la Babylonie présente une sorte de piscine enflammée, grande d’un jugère (25 ares). En Éthiopie, près du mont Hesperius (VI, 35), les campagnes paraissent la nuit comme étoilées ; il en est de même dans le territoire des Mégalopolitains (IV, 10); mais ce feu, quoique placé au milieu d’un bois, est agréable, et ne consume pas le feuillage qui le recouvre. Le cratère toujours ardent du Nymphæum (II, 96 ; III, 26) est placé près d’une fontaine glaciale, et prédit aux Apolloniates ses voisins les maux qui les menacent, ainsi que Théopompe l’a rapporté : il s’accroît par les pluies, et rejette un bitume qu’il faut mêler avec l’eau de cette fontaine, laquelle n’est pas potable ; sans quoi ce bitume est plus liquide que tous les autres. 4Mais pourquoi s’étonner de ces phénomènes ? Au milieu de la mer, Hiéra, île éolienne (III, 14), située près de l’Italie, a brûlé avec la mer même pendant quelques jours, lors de la guerre sociale (an de Rome 663, avant J.-C. 91), jusqu’à ce qu’une légation du sénat eût fait les expiations nécessaires. En Éthiopie, la montagne appelée Theon Ochema (VI, 35) est toujours en proie au plus violent incendie, et, sous les rayons ardents du soleil, elle lance des torrents de flamme. Tant sont grands et nombreux les incendies que la nature a allumés sur la terre !
1(CVII.) Ajoutez que cet élément, qu’une étincelle suffit pour développer, est le seul qui soit fécond et s’engendre lui-même. Que doit-il donc en être avec tant de bûchers qui brûlent sur le globe ? Quelle est cette nature, qui, sans dommage pour elle-même, satisfait à la voracité de l’élément le plus avide de l’univers ? Qu’on y ajoute les astres innombrables et le soleil immense ; qu’on y ajoute les feux allumés par l’homme, ceux que renferme le sein de la pierre, ceux qui jaillissent de bois frottés l’un contre l’autre (XVI, 77), ceux qui viennent des nuées et qui engendrent les foudres ; 2certes c’est un miracle surpassant tous les miracles, qu’il y ait eu un seul jour sans une conflagration générale. Songez que même des miroirs concaves, réfléchissant les rayons du soleil, allument les objets plus facilement qu’aucun autre feu ; songez encore que de petits feux innombrables sont semés partout dans la nature. Dans le Nymphæum (II, 110) il sort d’une roche une flamme que les pluies activent ; il en sort une semblable près des eaux Scantiennes (57) ; celle-ci est faible quand elle se communique à un autre objet et n’y dure pas longtemps. 3Un frêne qui ombrage cette fontaine de feu est couvert d’un feuillage toujours vert. Dans le territoire de Modène, il jaillit une source enflammée les jours consacrés à la fête de Vulcain (au mois d’août). On trouve chez les auteurs que dans les campagnes placées au-dessous d’Aricie (III, 9) le sol s’embrase si un charbon y tombe ; qu’une pierre frottée d’huile s’enflamme dans le territoire des Sabins et dans celui des Sidicins (III, 9) ; que dans la ville d’Egnatia, du territoire de Salente, un morceau de bois posé sur une certaine pierre consacrée prend feu aussitôt ; que sur l’autel de Junon Lacinienne, situé en plein air, la cendre reste immobile, malgré le souffle de la tempête.
4 Bien plus, des feux subits apparaissent dans les eaux, et même sur des corps humains. Le lac Trasimène tout entier s’est embrasé. À Servius Tullius (XXXVI, ch. dernier), enfant, une flamme jaillit de la tête pendant son sommeil. Valerius Antias raconte que, L. Marcius en Espagne haranguant les soldats après la mort des Scipions, et les exhortant à la vengeance, une flamme s’alluma de même sur sa tête. J’entrerai bientôt dans des détails plus précis ; en ce moment je montre, comme en un groupe, les merveilles de toutes les choses : mais, sortant de l’explication de la nature, je me hâte de conduire, pour ainsi dire par la main, le lecteur sur la surface de globe entier.
1(CVIII.) La portion du monde que nous habitons, et dont j’entends parler, flottant en quelque sorte sur l’Océan, qui, comme on l’a vu (II, 66), l’entoure de toutes parts, a la plus grande dimension de l’est à l’ouest, à savoir de l’Inde jusqu’aux Colonnes d’Hercule, consacrées près de Cadix, dans une longueur de 8,568,000 pas (1261 myr., 6380), d’après Artémidore, de 9,818,000 (1445 myr., 7005) d’après Isidore. Artémidore ajoute en plus depuis Cadix, en doublant le promontoire Sacré jusqu’au promontoire Artabrum, dernière limite de la côte d’Espagne, 491,000 pas (58). 2La mesure peut se prendre par deux lignes. Du Gange et de son embouchure dans l’océan Oriental, à travers l’Inde et la Parthyène jusqu’à Myriandre, ville de Syrie, située dans le golfe d’Issus, 5,215,000 pas ; de là, naviguant en droite ligne par Chypre, Patare de Lycie, Rhodes, Astypalée, îles de la mer Carpathienne, Ténare de la Laconie, Lilybée de la Sicile, Calaris de la Sardaigne, 2,103,000 pas ; de là à Cadix 1,250,000 pas, ce qui porte la mesure totale, à partir de la mer orientale à 8,568,000 (1261 myr., 6380).
3 L’autre mesure, presque tout entière par terre, a plus de certitude : du Gange à l’Euphrate, 5,169,000 pas ; de là à Mazaca de la Cappadoce, 319,000 pas ; de là, par la Phrygie et la Carie, jusqu’à Éphèse, 415,000 ; d’Éphèse, à travers la mer Égée, jusqu’à Délos, 200,000 ; jusqu’à l’isthme, 2,12,500[sic] ; 4 de là, par terre, de la mer Léchaïque (IV, 5) et du golfe de Corinthe jusqu’à Patras, du Péloponnèse, 90,000 ; jusqu’à Leucade (IV, 5), 87,500 ; jusqu’à Corcyre, autant ; jusqu’aux monts Acrocérauniens, 132,500 ; jusqu’à Brindes, 87,500 ; jusqu’à Rome, 360,000 ; jusqu’au bourg de Scingomagus, dans les Alpes, 519,000 ; à travers les Gaules, jusqu’à Illiberis, dans les Pyrénées, 927,000 ; jusqu’à l’Océan et à la côte d’Espagne, 331,000 ; pour le détroit de Cadix, 7,500. Ces distances, données par Artémidore, font 8,945,000 pas (1317 myriamètres, 1512).
5 Quant à la largeur de la terre, du midi au nord, elle est considérée comme étant à peu près moitié moindre, 4,490,000 pas ; on voit, par cette différence, combien d’espace est enlevé, d’un côté par la chaleur, de l’autre par le froid. Je ne pense pas qu’il manque quelque chose à la terre et que la forme n’en soit pas sphérique, mais les deux zones extrêmes étant inhabitables sont inconnues. La mesure en largeur part des rives de l’Océan Éthiopique, là du moins où se trouvent des habitants, et jusqu’à Méroé comprend un million de pas ; de Méroé à Alexandrie, 1,250,000 ; jusqu’à Rhodes, 563,000 ; jusqu’à Cnide, 87,500 ; jusqu’à Cos, 25,000 ; jusqu’à Samos, 100,000 ; jusqu’à Chios, 94,000 ; jusqu’à Mitylène, 65,000 ; jusqu’à Ténédos, 94,000 ; jusqu’au promontoire Sigée, 12,500 ; 6jusqu’à l’entrée du Pont-Euxin 312,500 ; jusqu’au promontoire Carambis, 350,000 ; jusqu’à l’ouverture des Palus-Méotides, 312,500 ; jusqu’à l’embouchure du Tanaïs, 275,000 ; trajet qu’on peut abréger de 89,000, en le faisant par mer. À partir de l’embouchure du Tanaïs, les auteurs les plus exacts n’ont donné rien de précis. Artémidore a pensé que les contrées intérieures étaient inconnues, avouant que les nations sarmatiques s’étendent autour du Tanaïs dans la direction du nord. 7Isidore a ajouté 1,250,000 pas jusqu’à Thulé, devinant plutôt que conjecturant. Quant à moi, je sais que l’on connaît le territoire des Sarmates dans un espace égal au moins à tout ce qui vient d’être énuméré. D’ailleurs, combien cet espace ne doit-il pas être grand, puisqu’il renferme des nations innombrables, qui changent, par intervalle, d’habitation ? Aussi pensé-je que l’étendue de ces contrées si rigoureuses à leurs habitants est beaucoup plus grande qu’on ne la fait ; car je sais que du côté de la Germanie sont des îles immenses, connues depuis peu de temps (59).
8 Voilà ce que je regarde comme digne d’être rapporté au sujet de la longueur et de la largeur de la terre. Ératosthène, d’une habileté supérieure dans toutes les sciences et surtout dans celle-ci ; Ératosthène, à qui tout le monde rend hommage, a évalué le tour entier de la terre à 250,000 stades (mètres 46,000,000), 9ce qui, exprimé en mesures romaines, fait 31,500,000 pas : assertion hardie, mais appuyée sur des arguments si pressants, qu’on aurait honte de ne pas y croire. Hipparque, admirable et quand il contrôle Ératosthène, et quand il se livre à toutes ses autres recherches, ajoute à cette mesure un peu moins de 25,000 stades (mètres 4,600,000).
10(CIX.) Dionysodore n’inspire pas la même confiance ; mais je ne veux pas priver le lecteur de l’exemple le plus grand de la trinité grecque. Il était de Mélos (IV, 24), et célèbre par ses connaissances en géométrie. Il mourut de vieillesse dan sa patrie. Des parentes, à qui revenait son héritage, lui rendirent les derniers devoirs. Ces femmes, accomplissant, les jours suivants, les cérémonies d’usage, trouvèrent, dit-on, dans son tombeau une lettre écrite au nom de Dionysodore, et adressée aux gens de ce monde-ci. La lettre disait que de son tombeau il était arrivé au plus bas de la terre, et qu’il y avait jusque-là 42,000 stades (mètres 7,728,000). 11Il ne manqua pas de géomètres qui expliquèrent ainsi la chose : La lettre est envoyée du milieu de la terre ; car le milieu, vers le bas, est le point le plus éloigné de la surface, et est en même temps le centre de la sphère. Cela posé, le calcul montre que la terre a, de tour, 252,000 stades (mètres 46,368,000) (60).
1 La raison de proportion, qui oblige la nature à être en rapport avec elle-même, nous donne en sus 12,000 stades (mètres 2,208,000), et fait de la terre la quatre-vingt seizième partie du monde entier.
(1) Cursus Vulg. — Cursui Tolet. cod.
(2) Orbona, déesse que les parents imploraient pour la conservation de leurs enfants.
(3) Fœtidos cibos et alia similia Vulg. — Fœtidas cepas, allia et similia, Chifflet.
(4) Fateatur ? irridendum vero agere… summum ? Anne… credamus, dubitemusve ? Vix prope est judicare Vulg. — Fateatur irridendum ? Agere curam… summum, anne… credamus dubitemusve ? Vix prope est judicare Ed. princeps. — Fateatur irridendum ? Tum vero agere… summum, anne… credamus ? dubitemus vere vix prope judicari Sillig. — M. Sillig a corrigé ce passage par conjecture, suivant cependant le cod. Chiffl., qui a : Dubitemusve. Ne vix prope judicari. On voit qu’il y a deux leçons : l’une de Vulg., qui a vero ; l’autre de l’édition princeps, qui n’a pas cette particule : je pense qu’on peut les combiner en lisant verum. Quant au reste, on s’est vainement fatigué à changer un texte excellent : il faut regarder anne comme une particule alternative, et mettre une virgule après pollui. Dès lors tout se comprend sans peine.
(5) Monstra quoque quæ colunt Vulg. — Quæ manque dans des éditions anciennes ; leçon que j’ai suivie.
(6) Præferendo Vulg. — Præferenda Sillig. — Tous les mss. ont præferenda.
(7) M. Alexandre, dans l’édition Lemaire, propose de supprimer sicut. Cette correction me paraît fort heureuse ; je l’ai adoptée, mettant sicut entre crochets.
(8) Inventoribus Chifflet, Sillig. — Inventionibus Vulg.
(9) À gauche, c’est-à-dire vers l’orient ; à droite, c’est-à-dire vers le couchant.
(10) Fundatur cod. Tolet., Sillig. — Findatur Vulg. — Ex eo Hard., Sillig. — Ex om. Vulg.
(11) Brotier a mis LXII et CCXXII ; des mss. portent XXXII et CXIII. Il vaut mieux laisser les chiffres des anciennes éditions, quelques doutes qu’ils soulèvent, que de faire une correction arbitraire. La 42e olympiade et l’an 142 de Rome répondent à l’an 611 avant l’ère chrétienne. On place d’ordinaire la naissance de Pythagore l’an 533 avant J.-C.
(11*) Plusieurs mss. et entre autres celui du Mans, comme l’a noté M. Richelet dans des notes communiquées au Pline de Panckoucke, t. II, page 390, ont Cydenas au lieu de hic idem ; d’autres ont Ctesias. Peut-être Cydenas est-il un nom d’astronome, inconnu d’ailleurs.
(12) Vicistis Vulg. — Vinxistis cod. Dalech. — Vinxistis me paraît meilleur. Comp. ce que dit Pline plus loin, ch. 24, sur l’affinité de l’esprit humain avec les astres.
(13) Horisque sub terra ; nec tamen Vulg. — Le changement de ponctuation conseillé dans les notes de l’édition de M. Ajasson de Grandsagne me paraît suffire à l’intelligence de ce passage.
(14) Beaucoup de mss. ont patre et filio (et Sillig a adopté) consulibus ; les anciennes éditions patre III, filio iterum consulibus ; Hardouin et Vulg. patre IV, filio iterum consulibus. Les astronomes ne sont pas d’accord sur ces éclipses : les uns les placent le 8 février et le 22 février de l’an 72 ; les autres, le 23 juillet et le 6 août de l’an 73 après J.-C.
(15) Et stationes Vulg. — Et om. Chiffl., Sillig.
(16) Pline me paraît confondre ici sous l’appellation d’apsides, et dans une exposition commune, les orbites des planètes, leurs excentriques et leurs épicycles. Cela rend son explication astronomiquement inextricable ; cependant, en prenant les choses en gros, on voit à peu près ce qu’il a voulu dire.
(17) J’ai mis ut sol entre deux crochets, et ne l’ai pas traduit. Ces mots me paraissent et ont paru à la plupart des critiques une interpolation inconciliable avec le reste du texte.
(18) Sub terra Vulg. — Il faut lire subter, comme les anciennes éditions. Sub terra est inintelligible. Pline veut dire qu’un angle ayant, par exemple, son sommet à la terre, embrasse autant de degrés des apsides des planètes inférieures que des apsides des planètes supérieures. Cela est manifeste quand il s’agit de l’orbite même de la planète, orbite que Pline comprend dans les apsides. Voy. note 16.
(19) Les chapitres 12, 13 et 14, sont très-obscurs ; et les commentateurs ne sont pas parvenus à les éclaircir. À en juger par les autres objets scientifiques dont Pline a traité, on peut penser qu’il a rendu, avec confusion, inexactitude, impropriété de terme et erreur, les théories des astronomes grecs ; de sorte qu’il n’est pas possible de tirer de son texte un sens complètement satisfaisant.
(20) Il s’agit ici de pieds romains. La moyenne fournie par la mesure des pieds romains qui sont conservés est en millimètres 294,5. voy. Saigey, Métrologie, p. 66. Les mesures de Posidonius donnent en kilomètres 7,360 pour l’atmosphère, 224,007 pour la distance de la terre à la lune, et 92,368,007 pour la distance de la terre au soleil.
(21) La 108e olympiade répond aux années de Rome 406, 407, 408, et 409. Aussi a-t-on proposé de lire quadringentesimo octavo. Mais les mss. ont unanimement 398. Il est préférable de laisser subsister la discordance. Car est-ce le chiffre de l’olympiade, ou celui de l’année de Rome, qui est altéré ?
(22) Les mss. ont octoginta ; on a corrigé ce nombre en centum octoginta, parce que Sénèque, Quæst. Nat. VII, 21, parle d’une comète qui parut du temps de Néron, et fut visible pendant cent quatre-vingts jours. Il est encore plus sûr de garder la leçon des mss. que de corriger l’un par l’autre.
(23) Arist., Meteor. I, 6.
(24) Pline a mal traduit Aristote, qui dit, Meteor. I, 6 : « Toutes les comètes qui ont été vues de notre temps ont disparu, sans se coucher, au-dessous de l’horizon. »
(25) Pline a mal traduit le passage correspondant d’Aristote, Meteor. III, 2, qui dit : « On voit des parhélies toujours à côté, jamais au-dessus, jamais près de terre, jamais à l’opposite. » Pline n’a pas bien compris Aristote, et l’a développé d’une manière peu intelligible.
(26) Hardouin et à sa suite Sillig omettent ut. C’est avec raison que dans Vulg. cette conjonction a été rétablie ; elle ne manque ni dans 776 suppl. lat. Bibl. roy., ni dans 263 Bibl. du Mans, ni dans l’Ed. princeps.
(27) Les mss. et les Éditions ont Phœnician. Hardouin a changé ce mot en Phœnicem, sans raison ; car Φοινικίας est, en grec, le nom d’un vent. M. Sillig a donc eu raison de restituer l’ancienne leçon.
(28) Les mss. ont LX ; Hardouin a substitué à tort LXX, comme l’a fait voir Brotier dans ses notes.
(29) Ac manque dans Vulg., il est donné par Chifflet. et adopté par Sillig.
(30) Quomodo Vulg. — Et quo Ed. princeps.
(31) On ne sait ce que signifie cette qualification. Comme on traduit princeps senatus par prince du sénat, j’ai cru devoir mettre ici princesse. (32) Hardouin propose de lire, au lieu de M. Herennius, Vargunteius, nom qui se trouve dans le récit parallèle de J. Obsequens, cap. 122.
(33) César, De bell. civ. III, 2, dit que Milon fut tué à Compsa, ville des Hirpins ; voy. Velleius Paterculus, II, 68.
(34) Aristote, Meteor. III, 4. Il dit, III, 2 : Dans la pleine lune. De là des éditeurs ont mis dans le texte de Pline quarta decima, au lieu de tricesima.
(35) Voy. pour ce chap. Aristote, Meteor, I, 10, 11 et 12.
(36) J’ai changé la ponctuation : dans les éditions il y a : Eroditur aquis. Ferro, etc.
(37) Pline s’exprime ici avec son inexactitude ordinaire dans les objets scientifiques. D’après Hardouin, il veut dire que si on fait passer une courbe par le sommet des montagnes, on aura une circonférence régulière. Mais c’est supposer que les montagnes ont même hauteur, supposition que Pline ne fait pas. Dans mon opinion, Pline entend que si l’on prend pour rayon la moitié de la distance entre les deux pôles, on pourra construire une sphère qui sera la vraie sphère terrestre.
(38) Autre exemple de l’inexactitude du langage de Pline. L’auteur veut-il dire que la pente a 50,000 pas de développement (ce qui ne préjuge rien sur la hauteur effective), ou 50,000 pas de hauteur perpendiculaire (ce qui serait une bien grossière erreur) ? 50,000 pas font 234,375 pieds ; et le mont Blanc n’en a que 15,180.
(39) Vingt deniers pèsent : grammes 77,14.
(40) Le sens de cette phrase, qui a souvent échappé aux traducteurs et commentateurs, est celui que Hardouin a indiqué : Les lignes menées du centre de la terre à la superficie des eaux les plus voisines de ce centre sont plus courtes que les lignes menées d’un bout de la mer à l’autre. Il faut se rappeler que la démonstration a la prétention d’être générale, la figure de la surface des eaux étant quelconque, même plane. Cela posé, il est reconnu que les eaux tendent, par une vertu naturelle, toujours au plus bas ; il est reconnu aussi que le plus bas est le plus près du centre de la terre. Or, il y a plus loin d’un bout de la mer à l’autre que de la surface de l’eau au centre de la terre ; donc la mer ne peut pas déborder d’une de ses extrémités sur l’autre ; le plus bas pour elle est non une de ces extrémités, mais le centre de la terre. Aussi toutes les eaux tendent vers ce point. Primis aquis, c’est une des origines de la mer supposée plane ; extremum mare, c'est l’autre bout.
(41) La pointe du Skagen, dans le Jutland, a 57° 32’ de latitude.
(42) Les anciens regardaient la mer Caspienne comme un golfe de l’Océan septentrional.
(43) La dioptre était un instrument dont l’ingénieur se servait pour mesurer la hauteur des remparts et des tours, le fontainier pour prendre le niveau, et l’astronome pour reconnaître l’exacte direction des ombres.
(44) Ce chapitre est manifestement erroné. Il est certain, à la vérité, que quand on marche du levant à l’occident le jour dure plus longtemps, en raison directe de la rapidité de la course. Mais les feux allumés au levant, dans le milieu de la journée, ne pouvaient être aperçus à l’extrémité occidentale des signaux vers la troisième heure de la nuit ; car, pour que le retard indiqué provint de la marche du soleil, il faudrait admettre que chacun des bouts de cette ligne de signaux était séparé par un peu moins d’un hémisphère. Ajoutez que Pline ne spécifie pas de quel genre d’heures il se sert ; que si ce ne sont pas des heures équinoxiales, il ne dit pas à quelle époque de l’année ces observations ont été faites. Or, les heures des anciens, étant comptées d’un lever à un coucher du soleil, variaient en longueur suivant la saison et suivant la latitude : peut-être le retard doit-il s’expliquer par le temps qu’il fallait à chaque station pour allumer le feu. Mais il n’en est plus de même pour le coureur Philonidès : Élis est de peu à l’occident de Sicyone ; les heures de la première ne retardent que d’environ cinq minutes sur celles de la seconde. Par conséquent on ne peut comprendre ce que Pline entend lorsque, disant que Philonidès mettait beaucoup plus de temps à aller à Élis qu’à en revenir, il attribue cette différence à la marche du soleil. Enfin l’exemple des navigateurs est encore plus mal choisi : car Pline commet une singulière méprise en paraissant croire que ce qui était gagné le jour ne l’était pas également la nuit, le soleil se levant plus tard, et la nuit étant plus longue pour ceux qui font rapidement route vers l’occident.
(45) On ne sait au juste ce qu’est cette ville. Quelques-uns pensent que c’est Colchester.
(46) D’après les chiffres de Pline, qui paraissent altérés, il faudrait compter entre la naissance de Hiera et celle de Thia non 110 ans, mais 125. Thera est Santorin. Automaté signifie l’île née spontanément.
(47) On ne sait de quel Nymphæum ou Nymphæus il s’agit ici. Pline mentionne dans son ouvrage divers lacs ou fleuves portant ce nom.
(48) Au lieu de Parasinus, nom du reste inconnu, on a proposé de lire Characena. Les Characéniens sont un peuple de la Taurique, mentionné par Pline, IV, 6.
(49) Les anciennes éditions portaient aras Murtias, Hardouin a mis Mucias, donné par les mss. qu’il avait sous la main. On ne sait ce qu’est ce lieu ni quelle est la bonne leçon.
(50) Ancillante sidere, trahenteque secum avido haustu maria Vulg. — Ancillantes sideri avido trahentique secum haustu maria Chiffl. Cod., Sillig.
(51) Diurnæ Edit. — Divinæ vulg. Ex cod. Dalech.
(52) Hardouin propose de lire, au lieu de Novanus, Vomanus, nom d’un fleuve dont Pline fait mention au delà de l’Apennin dans le Picenum, III, 18.
(53) On ne sait ce qu’est ce fleuve Astaces, qui ne paraît avoir rien de commun avec la ville d’Astacum et le golfe d’Astacum, dont il est parlé V, 43.
(54) Ce lieu, dont le nom est dans les mss. Librosus, Liberosus et Berosus, est inconnu.
(55) Il s’agit d’eau de mer qui, jetée sur un brasier, prend feu ; c’est du moins ce qui résulte de la comparaison avec les passages parallèles d’Aristote, Probl. 23, 15, et de Plutarque, Symp. I, 9.
(56) Globus Vulg. — Globo Chiffl. cod., Sillig.
(57) Les eaux Scantiennes étaient sans doute près de Falerne en Campanie ; car Varron (voy. Pline, XIV, 15) donne le nom de Scantienne à la vigne Amminéenne, très-célèbre en cette contrée.
(58) Je n’ai pas évalué en mètres les chiffres qui suivent. Le mille romain (1000 pas) vaut 1472 m., 5, ainsi très-près d’un kilomètre et demi. Il est facile dès lors de se faire une idée des évaluations que Pline a ici consignées.
(59) J’ai suivi dans ces chiffres le texte de Hardouin. Mais il faut remarquer que les mss. varient beaucoup sur ces nombres.
(60) J’ai évalué le stade à 184 mètres, C’est la valeur qu’y donne Pline, II, 21, en l’estimant à 125 pas ou 625 pieds. Si on prenait, comme a fait M. Saigey, Métrol., p. 60, le stade pour 180 mètres, la mesure d’Eratosthène serait de 45,000,000 mètres ; celle de Dionysodore, de 45,360,000 ; celle d’Hipparque, d’un peu moins de 49,500,000. Comme la mesure exacte est de 40,000,000, on voit, pour les deux évaluations du stade, à quel degré chacun de ces trois géomètres s’est approché de la vérité.