« Ne nous trompons pas, ce que visent les députés de la LFI, c’est la destruction du droit local dans son ensemble. » Au ton belliqueux adopté par Frédéric Bierry, on devine la portée de son agacement. Dans le viseur du président de la Collectivité européenne d’Alsace, la proposition de loi « visant à l’application du principe de laïcité » de la France insoumise, enregistrée le 6 décembre par la présidence de l’Assemblée nationale.
Portée par le député insoumis Bastien Lachaud, cette proposition de loi vise à l’abolition du Concordat en Alsace-Moselle. Son premier article énonce l’application de la loi de 1905 sur l’ensemble du territoire français, traduite par la suppression du droit local des cultes dans l’article 2. Le texte précise en revanche que les « droits sociaux hérités du régime bismarckien », c’est à dire le régime local d’assurance maladie ou les jours fériés supplémentaires, seront préservés.
Cosignataire du texte de Bastien Lachaud avec d’autres parlementaires insoumis, le député LFI de la deuxième circonscription du Bas-Rhin enfonce le clou une semaine plus tard. Avec la députée de Moselle Charlotte Leduc (LFI), Emmanuel Fernandes présente en décembre une proposition de loi abrogeant l’heure d’enseignement religieux obligatoire. Dans son article premier, le texte dispose que l’enseignement religieux ne pourra être donné qu’en « dehors du temps scolaire » et « uniquement de manière facultative ». Avec ce nouveau texte, l’élu alsacien cherche une remise en question moins frontale du Concordat, en s’attaquant à une disposition spécifique.
Rue89 Strasbourg : Pourquoi présenter ces propositions de loi maintenant ?
Emmanuel Fernandes : L’occasion, c’était l’anniversaire de la loi de 1905 (adoptée le 9 décembre 1905, NDLR). Bastien Lachaud m’a proposé, ainsi qu’à l’ensemble du groupe parlementaire, de cosigner cette proposition de loi qui n’a rien de nouveau ou de surprenant puisqu’elle reprend nos propositions inscrites dans le livret « laïcité » de notre programme l’Avenir en commun, présenté en 2017.
Ce que nous voulons avec cette loi, c’est mettre fin au financement des cultes. Que des contribuables de toute la France ne payent pas pour les agents des cultes catholique, protestant et israélite ici. La loi mettrait fin également à des actes administratifs désuets et bizarres du Président de la Répubique, qui doit recruter et révoquer les représentants des cultes, comme avec l’ancien archevêque de Strasbourg Luc Ravel. Emmanuel Macron a sûrement des choses plus importantes à faire pour le pays.
Frédéric Bierry vous reproche de vouloir « la destruction du droit local dans son ensemble, et ses bienfaits ». Est-ce le cas ?
Bien sûr que non. Ce que fait Frédéric Bierry, c’est essayer de bloquer toute discussion rationnelle sur le sujet. Il nous prête des intentions qui ne sont pas les nôtres. Tout le procès qui nous est fait, c’est d’expliquer qu’on est des laïcards qui ne comprendraient rien au droit local. Nous sommes au contraire le camp de ceux qui souhaitent, par exemple, étendre le régime locale d’assurance maladie, en le généralisant à l’ensemble du pays. Nous ne souhaitons abroger que les dispositions qui concernent les cultes et les religions.
Au lieu de prendre le temps de déverser ses mensonges, monsieur Bierry ferait mieux de s’occuper à défendre les intérêts des personnes sur son sol. J’aimerais rappeler qu’il est à la tête d’une collectivité ayant 260 millions d’excédent budgétaire, qu’il rechigne à utiliser.
Et je l’incite également à signer la pétition de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, alertant sur le fait que le gouvernement d’Emmanuel Macron s’attaque au droit local en supprimant les deux jours fériés supplémentaires pour les fonctionnaires alsaciens. Peut-être même qu’il pourrait se fendre d’un communiqué pour le dénoncer.
Vous assumez donc clairement votre opposition au Concordat. Ce n’est pas un handicap, pour un élu alsacien ?
Avant le second tour de l’élection législative, mon adversaire Sylvain Waserman (MoDem) faisait explicitement campagne sur le fait que j’étais pour la fin du Concordat, au point de présenter l’élection comme un référendum autour du Concordat.
Effectivement, je suis pour son abolition, je l’ai dit publiquement sans me cacher, notamment durant le débat d’entre-deux tours, et ça ne m’a pas empêché d’être élu. Si on reprend la logique de Sylvain Waserman, j’imagine que les Alsaciens n’y sont pas aussi attachés qu’il le pensait.
D’autres voix à gauche défendent le maintien du Concordat, et prônent pour son extension à l’islam. À défaut d’une suppression, pourriez vous le soutenir ?
Non. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, c’est l’architecture même du Concordat qui est mauvaise. C’est un contrat qui permet par essence à l’Etat de contrôler les religions, et ce n’est pas ce que nous voulons. La loi de 1905 doit s’appliquer à tout le monde : séparation des Églises et de l’État, liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de conscience et libre exercice des cultes, dans la limite de ce que la loi autorise. En somme : l’État chez lui, l’Église chez elle.
Le 14 décembre, vous avez présenté une proposition de loi sur l’enseignement religieux à l’école en Alsace-Moselle. Elle s’inscrit elle aussi contre le Concordat ?
Elle vise d’abord à plus d’équité, comme son intitulé complet l’indique (« Proposition de loi visant à rendre le temps d’enseignement scolaire égal sur l’ensemble du territoire de la République », NDLR) Bien sûr, elle contribue aussi à ouvrir davantage le débat sur le Concordat, après la proposition de Bastien Lachaud. Mais ici, on amène la discussion sur les conséquences négatives concrètes du Concordat, à savoir le problème d’équité entre les élèves alsaciens et mosellans et les autres.
Pourquoi l’enseignement religieux nuit à l’équité entre les élèves du Concordat et les autres ?
Il prive d’une heure d’apprentissage les élèves. Concrètement, pour des enfants scolarisés à l’école élémentaire ayant 24h de cours par semaine, on ponctionne une heure pour l’enseignement religieux. Ils ne leur reste que 23h pour l’apprentissage des savoirs du tronc commun, ils auront donc moins de temps que les autres pour apprendre autant.
Ce que nous voulons avec Charlotte Leduc, c’est rétablir l’égalité des temps scolaires. Cette loi ne supprime rien, elle renforce l’égalité républicaine en rendant l’éducation religieuse facultative, et pas incluse dans le temps dédié au tronc commun. Le texte garantit ainsi qu’un programme scolaire dimensionné pour 24 heures sera enseigné en 24 heures.
Surtout, il faut laisser aux enfants la possibilité de croire ou de ne pas croire. Notre proposition de loi permettra également de sortir du grand flou que constitue l’heure de « morale » pour les élèves dispensés de religion, dont le contenu est très disparate.
Pensez-vous que cette proposition de loi aura des chances d’être adoptée ?
En tout cas, son format est court et son contenu est de nature à rassembler toutes celles et tous ceux qui pensent que c’est important pour des élèves de pouvoir choisir. Ceux qui refuseront devront expliquer pourquoi ils souhaitent que les enfants en Alsace et en Moselle soient obligés d’absorber 24h de programme en 23h. Tout ce que la proposition de loi fait, c’est donner de l’air aux profs et aux élèves.
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